Plaignant
Mme Claudine
Trépanier
Mis en cause
CHEM-TV [TVA, Trois-Rivières]
et Mme Chantale Carignan (animatrice)
Représentant du mis en cause
M. Harold Gagné
(directeur de l’information, CHEM-TV [TVA, Trois-Rivières])
Résumé de la plainte
Le 19 février
1998, lors d’un bulletin de nouvelles, l’animatrice Chantale Carignan de
CHEM-TV rapporte le décès d’une personne infectée par le streptocoque de type A
(«la bactérie mangeuse de chair») en mentionnant son nom et sa ville d’origine.
Cette annonce, qui a semé l’inquiétude dans la municipalité concernée, s’avère
inexacte puisque le décès est attribuable à un arrêt cardiaque. Les médias
devraient être soumis aux mêmes règles de confidentialité dans de tels cas que
le personnel des services de santé et des services sociaux.
Faits
Mme Claudine
Trépanier porte plainte contre l’animatrice Chantale Carignan et la station de
télévision CHEM de Trois-Rivières pour avoir annoncé le décès de Madame
Danielle Bellerive en mentionnant inutilement le nom de la victime, le fait
qu’elle venait de Notre-Dame-de-Mont-Carmel, et pour avoir affirmé erronément
que le décès était dû à une infection au streptocoque de type A.
Griefs du plaignant
La plaignante reproche
à l’animatrice et à la station de télévision CHEM d’avoir, le 19 février 1998,
divulgué dans le cadre du bulletin de nouvelles de 18 heures, des informations
personnelles et confidentielles relativement au décès de Mme Danielle
Bellerive. Plus précisément, la plaignante reproche aux mis-en-cause d’avoir
identifié Mme Bellerive, la ville d’où elle provenait, et d’avoir affirmé
qu’elle aurait été victime du streptocoque de type A.
La plaignante
n’accepte pas que des médias puissent divulguer certains éléments
d’information, alors que le personnel des services de santé et des services
sociaux, dont elle fait partie, est tenu à la confidentialité par la Loi.
Reconnaissant que la maladie est à déclaration obligatoire, la plaignante
considère néanmoins que le nom et la ville d’où provient la victime ne l’est
pas.
De plus, la
plaignante fait remarquer que Danielle Bellerive n’a pas succombé aux ravages
de la bactérie mais bien à un arrêt cardiaque. Finalement, la diffusion de
cette nouvelle a causé, selon la plaignante, un état de panique dans la petite
municipalité de Notre-Dame-de-Mont-Carmel, situation qu’elle attribue
directement à l’arrogance et au sensationnalisme des mis-en-cause.
Commentaires du mis en cause
Selon les
mis-en-cause, le service des nouvelles de CHEM Télé-8 a fait son travail
correctement et de façon responsable, en traitant du décès de Mme Danielle
Bellerive. Les mis-en-cause indiquent qu’il s’agissait du deuxième décès
attribué à «la bactérie mangeuse de chair» à l’intérieur d’une quinzaine de jours,
les premiers cas de mortalité à survenir dans la région depuis 1996. Dans ce
contexte, CHEM et l’animatrice Chantale Carignan estiment qu’il y avait non
seulement matière à nouvelle, mais qu’il était d’intérêt public de diffuser une
information qui touche la santé des gens.
Par ailleurs,
les mis-en-cause ajoutent que lors des deux bulletins du 4 et 19 février 1998
où la station a traité des décès des deux victimes, CHEM a conclu la nouvelle
en disant que «la direction de la santé publique tient à souligner que la
population n’a pas à craindre une épidémie».
Finalement, les
mis-en-cause font remarquer que le décès de Mme Bellerive était signalé dans la
chronique nécrologique du journal Le Nouvelliste du 19 février, avant donc que
CHEM ne diffuse son bulletin. Ils soulignent aussi que la nouvelle était
accompagnée d’une mise au point du directeur de la santé publique qui
spécifiait bien que les quatorze personnes qui avaient été identifiées comme
«cas contact» avaient été traitées aux antibiotiques. Le bulletin concluait
qu’il s’agissait donc d’un cas isolé.
Pour ces
raisons, les mis-en-cause disent ne pas comprendre l’accusation d’avoir semé la
panique à Notre-Dame-de-Mont-Carmel, et demandent au Conseil de presse de
rejeter la plainte.
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, la plaignante considère que les explications de l’animatrice du
bulletin de nouvelles et du directeur de l’information de CHEM ne sont pas de
nature à la faire changer d’idée. Contrairement aux mis-en-cause, Claudine
Trépanier allègue qu’en plus de constituer une violation de l’éthique
professionnelle, la nouvelle incriminée était entachée d’erreurs de faits. Bien
qu’elle admette que la victime ait été atteinte du virus du streptocoque, la
plaignante affirme que Danielle Bellerive est en fait décédée d’un arrêt
cardiaque consécutif à une infection pulmonaire. Par ailleurs, Mme Trépanier
croit que le bulletin contenait aussi une erreur sur la date du décès.
Pour la
plaignante, l’argument des mis-en-cause à l’effet que l’apparition de deux cas
d’infection en autant de semaines justifie le traitement qui en a été fait est
irrecevable. D’autant plus que la nouvelle concernant Mme Bellerive mentionnait
que toutes les personnes ayant été en contact avec elle avaient été traitées
aux antibiotiques. Mais que devaient penser les personnes qui avaient eu des
contacts avec la victime, mais n’avaient pas été traitées ? Devaient-elles
deviner que la période de contact pendant la phase contagieuse de la maladie
n’avait pas été assez longue? Si la panique s’est installée chez une partie de
la population de Notre-Dame-de-Mont-Carmel, c’est que la nouvelle de CHEM ne
fournissait pas suffisamment d’éléments de compréhension de l’infection pour
informer correctement la population.
Finalement, le
fait que CHEM ait aussi diffusé le nom de la première victime du streptocoque
n’explique ni ne justifie la diffusion du nom de Danielle Bellerive en
association avec la maladie de la «bactérie mangeuse de chair». Dans les deux
cas selon la plaignante, il y a eu violation de l’éthique professionnelle. «Le
sceau de confidentialité auquel nous sommes tenus, nous des affaires sociales
et de la santé, n’a pas été respecté, d’autant plus que les gens qui avaient
côtoyé Mme Bellerive n’étaient pas en danger».
Pour ces raisons,
Claudine Trépanier maintient sa plainte.
Analyse
Notons a priori que le grief de la plaignante à l’effet que les médias devraient être liés par le sceau de confidentialité imposé aux employés des services sociaux et de la santé par la Loi est irrecevable. Les médias doivent respecter un code d’éthique qui balise la pratique de leur métier, mais ne sauraient être tenus d’appliquer les règles particulières régissant d’autres professions sans que cela ne constitue une entrave importante à leur devoir d’informer librement et de façon responsable.
Cela étant dit, le Conseil est d’avis que la journaliste Chantale Carignan et la station CHEM de Trois-Rivières étaient justifiées de diffuser le nom et l’endroit de provenance de Mme Bellerive. La victime était atteinte d’une maladie à déclaration obligatoire, et la nature contagieuse de son infection au streptocoque de type A explique que la station et son animatrice aient traité cette information comme un cas d’intérêt public.
Le Conseil note par ailleurs que le contenu de la nouvelle était sobre, factuel, et que l’entrevue donnée par le directeur de la santé publique précisait bien que quatorze (14) personnes avaient été traitées aux antibiotiques, parce qu’elles répondaient à la définition de «cas contact» pour ce type de maladie. En diffusant cette information, CHEM jouait son rôle de service public et permettait aussi de rassurer toutes les personnes pour lesquelles un contact avec la victime présentait des risques.
Selon le Conseil, le fait que la plaignante ait passé de longues heures à rassurer des gens qui avaient eu des contacts avec la victime, mais n’avaient pas été traitées aux antibiotiques ne prouvent pas que la nouvelle était incorrecte. Cela souligne seulement que les professionnels de la santé ont un rôle à jouer et une crédibilité que les médias ne supplantent pas par la diffusion d’une simple nouvelle, aussi précise soit-elle.
Pour ce qui est des griefs de la plaignante concernant des erreurs contenues dans la nouvelle de CHEM au sujet de Danielle Bellerive, le Conseil n’y voit aucune faute de la station et de son animatrice au sujet de la date du décès. La nouvelle précisait bien que la victime avait été hospitalisée le dimanche et décédait deux jours plus tard, ce qui est exact, le décès ayant été constaté le mardi 17 février 1998.
Finalement, le dernier grief de la plaignante concerne la cause du décès de Mme Bellerive, qui serait dû selon elle à un arrêt cardiaque consécutif à des problèmes pulmonaires, plutôt qu’à l’infection au streptocoque de type A.
Sur la base des éléments fournis à son attention, il n’est pas possible pour le Conseil de déterminer si l’arrêt cardiaque fatal de Mme Bellerive est une conséquence de l’infection au streptocoque de type A dont souffrait la victime ou s’il en est totalement indépendant, comme le laisse entendre la plaignante. Le Conseil note que dans son bulletin, CHEM dit bien que Danielle Bellerive a été hospitalisée à cause de symptômes pulmonaires et une forte fièvre, et qu’elle est décédée deux jours plus tard, des suites d’une infection au streptocoque A. L’entrevue du directeur de la santé publique, le docteur Dontigny, se situe dans ce contexte et en l’absence de démenti des autorités médicales et hospitalières, le Conseil ne voit aucune raison de mettre en doute les conclusions de CHEM quant à la cause directe ou indirecte de la mort de Danielle Bellerive.
Pour ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte de Claudine Trépanier à l’encontre de Chantale Carignan et la station CHEM de Trois-Rivières.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte