Plaignant
Mme Sophie
Pascal (pigiste)
Mis en cause
Ici [Montréal]
et M. Sylvain Rompré (journaliste)
Représentant du mis en cause
Mme Nora
BenSaâdoune (rédactrice en chef, Ici [Montréal])
Résumé de la plainte
L’hebdomadaire
Ici refuse de publier un texte rédigé par la plaignante, puis fait paraître
quelques jours plus tard un article, signé par le journaliste Sylvain Rompré,
qui en reprend les éléments après les avoir remaniés.
Faits
La plaignante
reproche au mis-en-cause d’avoir repris des éléments d’un texte qu’elle avait
écrit, de les avoir remaniés et publiés sous sa signature dans un article de
l’édition du 12 mars 1998 d’ici.
Griefs du plaignant
La plaignante
précise qu’elle a envoyé le 4 mars 1998 à la rédaction de l’hebdomadaire Ici,
un texte intitulé «Le magasin Hibiscus ferme ses portes: La disparition de
l’icône de la musique du monde à Montréal dérange». Dans les jours qui suivent,
le mis-en-cause informe la plaignante au téléphone de sa décision de ne pas
publier l’article qu’elle a soumis. Plusieurs raisons sont invoquées: le texte
serait trop long; le public n’est pas intéressé par le sujet et finalement, ici
préfère favoriser le travail de ses journalistes.
Or la plaignante
constate que, dans son édition du 12 mars, ici publie un article du
mis-en-cause portant précisément sur la fermeture du magasin Hibiscus, article
où elle croit reconnaître plusieurs éléments de son propre texte. Elle écrira à
ce sujet au mis-en-cause «En fait, vous avez pris mon texte pour un fil de
presse. Quelques changements transparents sur les thèmes de mon texte et vous
prenez tout le crédit pour l’acquisition de ces nouvelles connaissances».
Pour ces
raisons, la plaignante porte plainte contre Sylvain Rompré pour vol d’idées.
Commentaires du mis en cause
Le mis-en-cause
a une version bien différente de la conversation téléphonique qu’il aurait eue
avec la plaignante. Selon lui, il a évoqué plusieurs raisons pour justifier sa
décision de ne pas publier le texte de Mme Pascal: le texte en question
n’apportait pas de faits nouveaux; le mis-en-cause connaissait déjà par
ailleurs la mauvaise situation du magasin et enfin, il en suivait les
développements et avait l’intention d’en toucher mot, avec son point de vue.
Le mis-en-cause
rappelle que la situation du magasin Hibiscus était un fait bien connu dans le
milieu des disquaires indépendants «dont j’ai longtemps fait partie à titre de
disquaire, et ce jusqu’au 18 décembre 1997 […] Mon inspiration était donc
ailleurs que dans son texte».
Après une
analyse critique des points de convergences présumés entre les deux textes,
Sylvain Rompré fait finalement remarquer que «Partant d’un même point (la
fermeture du magasin), mon texte bifurquait rapidement vers la situation des
disquaires montréalais indépendants de tous styles et des petits commerces en
général, ainsi que des aléas de leur survie parfois précaire, pour en arriver à
des constats et des conclusions diamétralement opposés à ceux de madame
Pascal».
Pour ces
raisons, et bien que reconnaissant qu’il aurait été plus délicat de sa part de
prévenir madame Pascal de son intention d’écrire un article à ce sujet, le
mis-en-cause demande au Conseil de presse de rejeter la plainte de la
plaignante.
Réplique du plaignant
La plaignante
n’a pas choisi de répliquer aux commentaires du mis-en-cause.
Analyse
Arès une analyse minutieuse des griefs de la plaignante, le Conseil rejette sa plainte à l’endroit du journaliste Sylvain Rompré.
La lecture des deux textes et les arguments fournis par la plaignante et le mis-en-cause mettent clairement en lumière que, hormis le sujet lui-même et l’explication donnée par chacun pour expliquer la fermeture d’Hibiscus, rien n’apparente un texte à l’autre.
Dans le cas de Mme Pascal, il s’agit d’un article de fond qui donne la parole à plusieurs témoins de premier plan de la scène musicale, et qui présente une analyse du marché spécialisé dans lequel se mouvait Hibiscus. Pour elle, la fermeture du producteur et disquaire est clairement une lourde perte à la fois pour certains musiciens et les amateurs de musique tropicale. Dans le cas de M. Rompré, son court article déplore la fermeture d’Hibiscus, mais se console rapidement à l’idée que d’autres disquaires devront prendre la relève. Ni le point de vue donc, ni la structure, ni le ton ou le choix de mots n’indiquent d’emprunts chez le mis-en-cause au texte de la plaignante. D’ailleurs, celle-ci n’a pas accusé le mis-en-cause de plagiat ou de repiquage, mais bien de «vol d’idées».
Producteur et disquaire spécialisé en musique dite tropicale, Hibiscus a fermé les portes de son magasin rue Sainte-Catherine à Montréal, au début de janvier 1998. L’hebdomadaire ici publie l’article à ce sujet le 12 mars 1998, deux mois et demi après le fait, mais une semaine à peine après avoir reçu copie du long texte de la plaignante expliquant la fermeture. Est-ce que l’envoi de son projet d’article a alerté le journaliste d’ici à l’opportunité de couvrir l’événement? Le Conseil ne peut en être certain, tout en reconnaissant que cela soit possible. Or, même si cela était le cas, est-ce que l’événement «appartenait» à la plaignante? La réponse est évidemment non.
Dans le cas contraire, il suffirait à un journaliste de produire le premier un article non sollicité sur un événement, pour s’en réserver l’exclusivité ou le crédit. Les conséquences sur la liberté des médias de déterminer sans contrainte leur choix rédactionnel et celui du public de recevoir une information complète et diversifiée seraient alors gravement compromis. Quand l’information peut être considérée du public, comme le serait la fermeture d’un magasin spécialisé et connu comme Hibiscus après plus de deux mois, il semble au Conseil déraisonnable d’en réclamer, sous une forme déguisée ou non, l’exclusivité.
En ce qui concerne la raison expliquant la fermeture du disquaire, attribuée dans les deux cas «à un problème de gestion interne», le Conseil ne peut y voir un emprunt évident à sa recherche comme l’affirme la plaignante. L’argument du mis-en-cause à l’effet que les difficultés du disquaire étaient de notoriété publique, son expérience et sa connaissance du milieu nous portent à croire qu’après deux mois, le problème de gestion interne d’Hibiscus n’était plus un secret. Le seul fait d’attribuer à la même cause la fermeture du magasin ne saurait justifier, de l’avis du Conseil, une accusation de vol d’idées.
Pour ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte à l’endroit de Sylvain Rompré et l’hebdomadaire ici. Le Conseil note cependant l’admission du mis-en-cause à l’effet qu’il aurait dû avoir la délicatesse de prévenir madame Pascal qu’il faisait un texte sur ce sujet. Le Conseil partage ce point de vue.
Analyse de la décision
- C23G Plagiat/repiquage