Plaignant
Les Centres de
la jeunesse et de la famille Batshaw
Mis en cause
La Presse [Montréal]
et Mme Marie-Claude Malboeuf (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Claude Masson
(vice-président et éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Le 18 mars 1998,
la journaliste Marie-Claude Malboeuf de La Presse traite d’une affaire de bébé
abandonné en identifiant sa mère, contrevenant ainsi à la Loi sur la protection
de la jeunesse. Cette loi interdit de publier tout renseignement qui permet
d’identifier directement ou indirectement un enfant confié à la Direction de la
protection de la jeunesse.
Faits
La plainte
concerne un article publié dans La Presse le 18 mars 1998 et intitulé «Une
soixantaine d’offres d’adoption pour le bébé jeté aux poubelles». Dans cet
article, la journaliste Marie-Claude Malboeuf rend compte de l’état de santé du
bébé et des poursuites judiciaires contre la mère, dont elle dévoile
l’identité.
Les Centres de
la jeunesse et de la famille Batshaw portent plainte pour non-respect de
l’anonymat.
Griefs du plaignant
Les plaignants
font observer que l’article traite du cas d’un bébé confié à la Direction de la
Protection de la Jeunesse et que la mise-en-cause identifie la mère de
l’enfant. Ils indiquent que cette information, comme tout renseignement
permettant d’identifier un enfant ou ses parents dans le cadre de l’application
de la Loi sur la protection de la jeunesse, sont confidentiels.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de
Marie-Claude Malboeuf, journaliste:
La mise-en-cause
souligne au départ que les conflits de nature criminelle sont publics et que la
Loi prévoit que l’identité des accusés doit elle aussi être rendue publique,
sauf dans de rares exceptions. Mme Malboeuf reconnaît que la Loi sur la
protection de la jeunesse interdit d’identifier les enfants confiés à la
Direction de la protection de la jeunesse, ce qu’elle a respecté dans son
article. Elle explique également que si la Loi interdit la divulgation de
l’identité des parents, c’est pour que le public ne parvienne pas à identifier
ces mêmes jeunes d’une manière indirecte.
Elle ajoute que
comme la mère s’est séparée du bébé quelques minutes après l’accouchement,
personne ne peut les associer l’un à l’autre. Mme Malboeuf rappelle que
l’enfant n’a pas reçu de nom et ne portera probablement jamais celui de sa
mère.
Enfin, la
mise-en-cause s’étonne que seule La Presse ait été montrée du doigt, alors que
le réseau de Télévision Quatre Saisons avait déjà nommé la mère du bébé, la
veille de la publication de son article.
Commentaires de
Claude Masson, vice-président et éditeur adjoint de La Presse:
M. Masson
utilise la même argumentation que la journaliste et récuse l’accusation faite
contre le quotidien La Presse.
Selon lui, la
règle de confidentialité s’applique aux personnes devant rendre compte devant
le Tribunal de la protection de la jeunesse. Mais la mère identifiée dans
l’article fait l’objet de deux accusations qui relèvent du Code criminel, qui
seront jugées devant une instance autre que le Tribunal de la protection de la
jeunesse. Il conclut que dans ce cas il n’y avait aucune interdiction de
publier, et rappelle que les normes de publication de La Presse s’inscrivent
dans le respect intégral des interdits de publication prescrits par la Loi.
Réplique du plaignant
Selon le
plaignant, la Loi sur la protection de la jeunesse doit se lire à travers une
interprétation plus large: dans l’esprit des législateurs, il ne s’agissait pas
de restreindre l’application de cette loi aux seuls parents et enfants déférés
devant la Chambre de la jeunesse.
En outre, le
plaignant tient à faire remarquer que l’angle de traitement de l’article de la
mise-en-cause concerne essentiellement la protection et le sort réservé à
l’enfant. Dans ce contexte, nommer la mère équivaut à un mépris de l’objectif
de la Loi qui est de ne pas stigmatiser l’enfant en identifiant publiquement sa
mère.
Analyse
L’administration de la justice est publique et il importe qu’elle soit rendue comme telle, malgré le caractère privé et souvent très délicat de certains dossiers, par exemple les causes familiales et les causes impliquant des mineurs.
Par ailleurs, qu’elles soient publiques ou non, les personnes ont le droit fondamental à la protection de leur vie privée et de leur intimité. Si des événements de leur vie privée peuvent, dans des circonstances particulières, contenir certains éléments d’intérêt public, la presse peut en rendre compte, mais avec prudence et discernement.
La plainte formulée par Les Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw visait un manquement à l’interdiction de dévoiler l’identité d’un mineur – d’un nouveau-né dans ce cas-ci – en vertu de la Loi de la protection de la jeunesse.
Les mis-en-cause invoquaient que les conflits de nature criminelle sont publics et que la Loi prévoit que l’identité des accusés doit elle aussi être rendue publique, sauf dans de rares exceptions.
La décision du Conseil vise évidemment à trancher ici la question d’éthique journalistique qui lui est posée et non à statuer sur la partie qui relève des tribunaux, à savoir quelle loi a préséance sur l’autre.
L’examen de la plainte révèle que la mise en accusation de la mère, en cour criminelle, a été rendue publique par le ministère de la Justice, et que les médias, dont La Presse, ont diffusé subséquemment cette information qui était déjà publique.
Cependant, à partir du moment où l’enfant était confié à la Direction de la protection de la jeunesse, les médias avaient le devoir de s’abstenir de publier toute mention propre à permettre son identification.
L’anonymat de l’enfant était alors requis afin de ne pas compromettre ses chances de réinsertion sociale et familiale. L’enfant pouvait tout aussi bien être adopté par une famille d’accueil que par sa propre parenté.
Conséquemment, le Conseil de presse accueille la plainte sur cet aspect, tout en estimant que la bonne foi de La Presse et de sa journaliste n’est pas mise en doute dans le présent cas.
Analyse de la décision
- C16B Divulgation de l’identité/photo