Plaignant
Voir [Montréal]
Représentant du plaignant
M. Richard Martineau
(rédacteur en chef, Voir [Montréal]) et M. Pierre Paquet (président éditeur,
Communications Voir Inc.)
Mis en cause
Ici [Montréal]
et Mme Nora BenSaâdoune (journaliste et rédactrice en chef)
Résumé de la plainte
Dans son éditorial
du 26 mars 1998, la rédactrice en chef de l’hebdomadaire Ici, Mme Nora
BenSaâdoune, accuse faussement certains journalistes de son concurrent Voir de
faire des démarches auprès de ses annonceurs afin d’obtenir leur publicité, en
leur promettant des prix plus compétitifs. Elle répète cette accusation dans un
éditorial publié le 16 avril, en refusant toutefois d’identifier les
journalistes concernés.
Faits
Plaignant et
mis-en-cause sont deux hebdomadaires gratuits et concurrents sur l’île de
Montréal: Voir et Ici. Un différend entre les deux journaux s’est déroulé en
trois temps:
– Le 26 mars
1998, la rédactrice en chef de Ici, Nora BenSaâdoune, signe un éditorial dans
lequel elle dénonce le comportement du journal Voir qui agit comme s’il était
en situation de monopole. Elle accuse plus particulièrement certains
journalistes de Voir de mener une guerre commerciale contre son journal en
tentant de «marauder» ses annonceurs.
– Le 2 avril
1998, Richard Martineau, rédacteur en chef de Voir, récuse ces attaques dans sa
chronique.
– Le 16 avril
1998, Mme BenSaâdoune répond à M. Martineau dans son éditorial. Elle maintient
ses accusations mais refuse de dévoiler l’identité des journalistes incriminés.
M. Martineau,
ainsi que M. Pierre Paquet, président éditeur de Communications Voir Inc.,
considèrent que les propos de Mme BenSaâdoune sont graves et sans fondement.
Ils déposent une
plainte au Conseil de presse.
Griefs du plaignant
Les plaignants
rapportent les propos de la mise-en-cause:
D’une part, ils
lui reprochent d’avoir lancé de fausses accusations dans son éditorial du 26
mars 1998 en affirmant: «Certains journalistes du Voir, et non des moindres,
appellent personnellement les gens du milieu culturel qui annoncent dans notre
journal pour leur conseiller gentiment mais fermement de changer de crémerie,
prix plus compétitifs à l’appui».
Selon les
plaignants, ces accusations sont «mensongères et calomnieuses». Elles portent
préjudice à l’intégrité des journalistes de Voir et portent atteinte à la
réputation de Communications Voir Inc. «qui a toujours pris soin de séparer la
rédaction et le département des ventes».
Les plaignants
rapportent également des propos que la mise-en-cause aurait tenus dans un
second éditorial, datant du 16 avril 1998, et qui se voulait une réponse aux
commentaires de M. Martineau. Dans cet article, la mise-en-cause maintient ses
accusations, mais refuse de désigner nommément les journalistes dont elle
dénonce les pratiques: «Pour quel résultat? Les incriminer dans une affaire qui
dépend complètement d’une logique d’entreprise, et pas d’eux-mêmes?».
En refusant de
dévoiler l’identité de ces journalistes, et en avançant des accusations sans
preuve à l’appui, la mise-en-cause fait preuve d’un manque d’éthique flagrant.
Pour les plaignants,
elle n’a pas le courage d’aller au bout de sa pensée, de nommer des noms. Elle
se contente de lancer des accusations floues et gratuites.
Commentaires du mis en cause
La mise-en-cause
affirme ne pas avoir porté de telles accusations à la légère: elles sont fondées
sur «des témoignages recueillis de source sûre et directe auprès d’intervenants
dans le milieu culturel, à des postes de communication plus exactement». Pour
la plaignante, il ne fait aucun doute que ces témoignages, par la «précision»
des informations qu’ils apportaient, et par «la qualité et l’expérience» de
leurs auteurs, étaient assez solides pour être utilisés.
La mise-en-cause
précise, au passage, que ces échanges et ces actions s’inscrivent dans «un contexte
général d’agressivité publicitaire de la part du journal Voir contre le nôtre».
La mise-en-cause
se refuse cependant à dévoiler l’identité de ses informateurs, pour ne pas les
compromettre dans leurs rapports avec Voir et que leurs noms soient associés à
une dénonciation.
Réplique du plaignant
Les plaignants
maintiennent que la mise-en-cause a manqué de rigueur et de professionnalisme.
Ils réitèrent leur reproche d’atteinte à la réputation des journaux du groupe
Communications Voir et de ses journalistes: selon eux, la mise-en-cause «tente
délibérément de nuire à notre réputation journalistique». Ils jugent que ses
propos sur les stratégies commerciales de Voir étaient «déplacés».
En outre, les
plaignants insistent pour dire que, chez Communications Voir, les journalistes
ne peuvent participer aux activités et aux discussions publicitaires,
auxquelles ils ne sont pas invités à prendre part. Si toutefois un journaliste
avait dérogé au code d’éthique et aux directives de l’entreprise, les
plaignants estiment que la mise-en-cause devrait en dévoiler l’identité. Elle
ne devrait pas invoquer le prétexte de la confidentialité des sources pour
ternir l’image de Communications Voir Inc. et de tous les journalistes de Voir,
en laissant entendre qu’il y règne un régime totalitaire où l’on utilise des
méthodes inacceptables du point de vue de l’éthique journalistique.
Analyse
Les plaignants s’insurgent contre deux éditoriaux de leur concurrent Ici, parce que les gestes qui leur sont reprochés sont contraires à l’éthique journalistique et aux principes de leur entreprise. Ils ne font cependant pas la démonstration que les affirmations du journal Ici sont fausses.
De son côté, la mise-en-cause présente des faits difficiles à apprécier, parce qu’ils reposent sur des témoignages impossibles à vérifier pour les lecteurs.
Conscient de la difficulté de voir la vérité dans ce dossier, le Conseil de presse accueille néanmoins la plainte du journal Voir contre son concurrent Ici.
Le Conseil a déjà balisé la question des informations obtenues de sources anonymes:
De façon générale, les médias et les jounalistes doivent mentionner la source de leur information, une telle mention aidant le public à évaluer la crédibilité et l’importance de ladite information. Si ces informations mettent en cause la réputation de personnes, les médias et les journalistes sont alors tenus de faire tous les efforts raisonnables pour leur permettre de donner leur version des faits.
Aux yeux du Conseil, la rédactrice en chef du journal Ici a manqué de rigueur en attaquant son concurrent Voir sur la place publique, en omettant de lui donner la possibilité d’exposer sa version des faits.
La direction de la revue Ici avait le devoir d’obtenir suffisamment de preuves pour justifier les accusations portées dans son éditorial. La version des faits de la direction de Voir aurait non seulement constitué une marque d’équité, mais aurait permis aux lecteurs de connaître l’envers de la médaille sur la question de la concurrence entre les deux médias.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information