Plaignant
Evelyn Dumas
Mis en cause
Nathalie Labonté, journaliste, et Recto/VERSO
(Jean Robitaille, directeur général)
Résumé de la plainte
Dans son édition de mars-avril
1998, le journal Recto/VERSO consacre sa page-couverture et cinq de ses
pages intérieures à un reportage sur la journaliste Evelyn Dumas. En
page-couverture, le dossier est coiffé du titre : « Evelyn Dumas : le
goût amer du pouvoir d’une journaliste maniaco-dépressive « . La plaignante
considère ce titre injurieux et porte plainte.
Griefs du plaignant
Selon la plaignante, le titre de la
une serait une double injure à son égard : elle déclare ne pas avoir
» le goût amer du pouvoir « , comme le suggère le titre, et fait
remarquer que rien dans l’article ne vient prouver une telle allégation; elle
considère également que la qualification de » journaliste
maniaco-dépressive » constitue une injure à toute sa vie professionnelle.
Selon elle, cette qualification revient à la décrire comme une » journaliste
folle « . Elle reproche au journal » une exploitation sensationnelle
» de sa souffrance.
Au-delà du titre, la plaignante
exprime une insatisfaction plus générale à l’égard du traitement de
l’information : » les auteurs affirment plus qu’ils ne peuvent prouver par
leurs propres recherches ».
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Nathalie Labonté,
journaliste:
La mise-en-cause se dit surprise
par le titre qui a été donné à son article. Tel n’aurait pas été son choix.
Cependant, elle reconnaît que ce » titre accrocheur » était légitime
: dans son texte, la journaliste explique la chute sociale de la plaignante par
sa maniaco-dépression.
La mise-en-cause considère que la
plaignante, en assimilant le terme de » maniaco-dépressive » à celui
de » folle « , vient soutenir les préjugés populaires à l’égard de la
maniaco-dépression.
Or toute la démarche de la
mise-en-cause visait justement à » démystifier cette maladie méconnue et
démontrer la fonctionnalité des personnes atteintes « . La journaliste
affirme ne jamais avoir cru que la plaignante était folle. Elle conclut en
évoquant les commentaires positifs que son article a suscités.
Commentaires de Jean Robitaille,
rédacteur en chef:
Le mis-en-cause tient à réagir aux
deux motifs de reproches de la plaignante :
Il maintient que l’expression
» goût amer du pouvoir » était justifiée. Elle l’était d’une part
pour décrire les relations que la plaignante entretenait avec le Parti
québécois, parti pour lequel elle fut un temps très active, puis qui l’aurait
déçue sur certains aspects; ce qui l’aurait amenée à le critiquer sévèrement.
Le mis-en-cause appuie ses commentaires par des citations de la plaignante
contenues dans l’entrevue, telles : » Sous la gouverne du Parti québécois,
l’administration de la Sécurité du revenu est devenue de plus en plus mesquine
« .
De même, selon le mis-en-cause,
l’expression » goût amer du pouvoir » contenue dans le titre de la
une rendait compte des difficultés professionnelles que la plaignante a connues
à la suite de problèmes de santé. Il cite à l’appui de ses commentaires une des
déclarations de la plaignante contenues dans l’article : » Pour des motifs
politiques, certains ont sciemment et activement répandu le bruit que j’étais
inemployable à cause de mon état mental « .
Le mis-en-cause maintient également
que la qualification de » journaliste maniaco-dépressive » était
appropriée. Il rappelle que la plaignante est atteinte de maniaco-dépression
depuis les années 70, et que l’objet de l’article, en accord avec la plaignante,
était de montrer » cette relation complexe vie-carrière-maniaco-dépression
« . Le mis-en-cause affirme qu’il n’a jamais été question de traiter la
plaignante de folle, mais de se borner à appeler la maladie qu’est la
maniaco-dépression par son nom, en se refusant à toute rectitude politique.
Réplique du plaignant
La plaignante ne réplique qu’aux
commentaires de M. Robitaille, considérant que Mme Labonté, malgré son
désaccord initial avec le titre, s’est quand même ralliée au choix éditorial du
journal.
Elle conteste les arguments dont se
sert le mis-en-cause pour justifier l’expression » le goût amer du pouvoir
» :
Selon elle, ce que le mis-en-cause
nomme amertume n’est rien d’autre que de » la critique sociale
» à l’égard du Parti québécois. L’interprétation que fait le mis-en-cause
de sa vie serait loin d’être exhaustive et ne justifiait en rien un tel
titrage.
Les citations qu’il utilise pour
appuyer ses dires ne sont pas, selon la plaignante, d’une grande pertinence.
Notamment celle où elle déclare : » Pour des motifs politiques, certains
ont sciemment et activement répandu le bruit que j’étais inemployable à cause
de mon état mental « . La plaignante tient à rappeler que ces propos n’ont
pas été prononcés lors de l’entrevue, mais dans un texte datant de 1989, qui
n’a jamais été publié, et qu’elle avait remis à la journaliste mise en cause.
La plaignante maintient donc que
rien ne justifiait un titre aussi réducteur que celui qui coiffe la page
frontispice du journal, d’autant qu’il sera répété deux fois en gros caractères
dans les pages intérieures, dont une où le mot journaliste disparaît.
Analyse
Rappelons d’abord l’enjeu difficile de l’article incriminé : brosser le portrait d’une journaliste de carrière atteinte de maniaco-dépression. Le sujet était assez délicat pour mériter un traitement rigoureux et sans faille. Les mis-en-cause se devaient d’éviter les écueils du sensationnalisme et de l’imprécision, car leur article se nourrissait de la souffrance d’une personne en proie à une maladie mentale encore taboue : la maniaco-dépression.
Si le Conseil reconnaît que le choix des titres appartient en propre au journal, il semble utile de rappeler que ce dernier se doit d’éviter le sensationnalisme et de veiller à ce que les titres soient en accord avec la lettre et l’esprit des textes auxquels ils réfèrent. Dans le cas soumis à l’attention du Conseil, force est de constater que le titre ne reflétait pas exactement l’esprit du texte et son contenu.
En ce qui a trait à l’article, le Conseil n’y décèle aucun manquement à l’éthique journalistique. Il n’est pas empreint de sensationnalisme. Et malgré le sentiment d’insatisfaction général exprimé par la plaignante, le Conseil reconnaît que la journaliste a trouvé le ton juste et la rigueur nécessaire pour aborder un sujet aussi délicat et traiter de la maladie de la plaignante de façon respectueuse.
En conclusion, en regard du titre de l’article, le Conseil adresse un reproche au journal Recto/VERSO, mais n’accueille pas la plainte à l’endroit de la journaliste Nathalie Labonté, qui n’a pas participé à la confection du titre incriminé.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11F Titre/présentation de l’information
- C11H Terme/expression impropre
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15D Manque de vérification
- C17C Injure
Date de l’appel
23 April 1999
Décision en appel
Les membres de la Commission
d’appel du Conseil de presse du Québec maintiennent la décision rendue en
première instance.
La décision repose sur la base
suivante:
L’article en cause est coiffé du
titre » Le goût amer du pouvoir d’une journaliste maniaco-dépressive
« . Or, rien dans l’article ne vient démontrer l’assertion voulant que la
journaliste Evelyn Dumas conserverait un » goût amer du pouvoir « .
L’agencement des mots «
journaliste maniaco-dépressive » apparaît par surcroît discutable. Peut-on
réduire toute la carrière de Mme Dumas en l’enfermant dans cette juxtaposition
à connotation encore là négative? Serait-il plus logique, dans le même esprit,
de qualifier une journaliste atteinte de cancer de » journaliste
cancéreuse? « .
Ce titre globalement péjoratif
annonce erronément un article dont le contenu a une toute autre teneur.
Griefs pour l’appel
La revue Recto/VERSO
interjette appel à la décision du Conseil de presse.