Plaignant
Guy Falardeau
Mis en cause
Bernard Champoux, rédacteur en
chef, et Le Nouvelliste (Jean Sisto, président et éditeur)
Résumé de la plainte
Le plaignant qui est pédiatre,
porte plainte contre Le Nouvelliste et son rédacteur en chef Bernard
Champoux. Il reproche d’abord à ce dernier, son éditorial intitulé
« Le Ritalin au banc des accusés » publié le 1er
juin 1998. Selon le plaignant, ce texte de Bernard Champoux contient des
erreurs factuelles et présente certaines opinions discutables comme autant de
faits non contestés.
Le plaignant reproche ensuite au
journal et à son éditorialiste, d’avoir publié une réplique à sa lettre au
lecteur, en date du 4 juin, réplique qui fait allusion à des
« insultes et impolitesses » qui ont été expurgées du
texte. Ce faisant, le plaignant considère que les lecteurs ne peuvent pas
distinguer entre « l’ironie » qu’il admet avoir utilisée
dans sa lettre, et la grossièreté que suggèrent les mots « insultes
et impolitesses ».
Griefs du plaignant
Le docteur Guy Falardeau reproche à
l’éditorialiste Bernard Champoux d’avoir affirmé que plus de 175 000 enfants au
Québec prenaient quotidiennement du Ritalin. Cette erreur est d’autant plus
grave, selon le plaignant, que Le Nouvelliste avait déjà publié une
nouvelle quelques jours auparavant corrigeant cette confusion entre le nombre
de prescriptions émises et le nombre d’enfants traités, qui serait plutôt de 18
000.
Autre erreur de fait soulignée par
le plaignant, la confusion chez l’éditorialiste entre la Commission des
citoyens pour les droits de l’homme qu’il présente comme l’ancêtre de
l’actuelle Commission des droits de la personne. Or, la Commission des citoyens
pour les droits de l’homme est l’émanation d’une secte, l’Église de
scientologie, et sa condamnation du Ritalin comme « drogue dangereuse »
se trouve parée de la crédibilité d’un organisme gouvernemental respecté avec
lequel elle n’a rien à voir.
Le plaignant dénonce aussi une
série d’affirmations de Bernard Champoux qu’il estime sans nuances:
Le Ritalin « ne favorise
aucunement le développement des habilités cognitives nécessaires à la
résolution de problèmes, pas plus qu’il n’accentue le développement d’habilités
sociales ». Pédiatre et auteur, Guy Falardeau reproche à
l’éditorialiste de ne pas citer ses sources et de taire l’opinion de plusieurs
autres spécialistes, dont il est, qui pensent le contraire.
« …c’est connu, les médicaments font toujours plus de mal que de
bien à ceux qui en consomment durant de longues périodes ». Voilà une
autre affirmation présentée comme un fait incontesté alors qu’elle est, selon
le docteur Falardeau, éminemment contestable: « Pensez à toutes
les personnes asthmatiques, cardiaques, diabétiques, épileptiques dont la vie
dépend des médicaments ».
« Au dire de grands
spécialistes, la psychothérapie, les approches psychologiques et spirituelles
sont plus efficaces que les médicaments à répétition ». Le plaignant
aurait souhaité savoir qui sont les spécialistes en question puisqu’il en
connaît autant qui affirment le contraire.
Finalement, monsieur Falardeau
reproche à Bernard Champoux et au Nouvelliste d’avoir amputé sa lettre
au lecteur de quelques phrases pour ensuite y faire allusion dans la réplique
de l’éditorialiste comme autant » d’insultes et impolitesses ».
Admettant avoir utilisé l’ironie mais non la vulgarité dans sa lettre, le
docteur Falardeau considère que Le Nouvelliste et son éditorialiste
pouvaient soit publier la lettre au complet s’ils voulaient en critiquer des
passages, ou bien taire ces critiques s’ils décidaient d’amputer les sections
visées par leurs commentaires.
Autre facteur aggravant selon le
plaignant, le refus de l’éditorialiste de reconnaître et corriger son erreur au
sujet de la filiation entre la Commission des citoyens pour les droits de
l’homme et la Commission des droits de la personne.
Commentaires du mis en cause
Le mis-en-cause considère que
l’erreur concernant le nombre d’enfants qui consomment du Ritalin que
« pouvait » contenir son éditorial, ne justifie pas la
plainte du docteur Guy Falardeau. Cela prouve, selon lui, que M. Falardeau est
le genre d’individu qui ne supporte pas la contradiction.
Le rédacteur en chef du Nouvelliste
reproche d’abord au plaignant de citer un jeune patient ou une mère dans sa
lettre sans les nommer, ce qui rend impossible toute vérification des propos
qui leurs sont imputés. « Étant l’un des médecins qui prescrivent le
plus de Ritalin à des enfants, on peut comprendre ce professionnel de la santé
de vouloir conserver la confiance des parents qui croient aveuglément aux
vertus de ce médicament ».
Bernard Champoux revendique son
droit de partager l’avis du professeur et chercheur David Cohen de l’Université
de Montréal, pour qui « toute substance stimulante comme le Ritalin,
risque d’aggraver la situation chez les enfants agités et perturbés ».
Comme le docteur Cohen, Bernard Champoux estime dangereux « l’usage
immodéré de drogues de toutes sortes pour calmer les enfants ». Et
même si l’éditorialiste ne conteste pas la compétence du pédiatre Falardeau
dans ce domaine, il croit qu’ »on peut sûrement trouver des
spécialistes qui vont trouver à redire sur le contenu de son livre intitulé
« Les enfants hyperactifs et lunatiques », ou encore sur la
manie de certains médecins de prescrire du Ritalin dès qu’un enfant est un peu
turbulent ».
En ce qui concerne la lettre du
plaignant, le rédacteur en chef et éditorialiste rappelle que les lecteurs
peuvent exprimer leurs opinions librement, pour peu qu’elles respectent les
politiques éditoriales du journal.
Dans le cas de la réplique du
docteur Falardeau, monsieur Champoux explique l’avoir écourtée parce qu’elle
était trop longue et qu’elle contenait des propos visant à mettre en doute son
jugement et sa compétence.
Pour ce qui est de la confusion
entre la Commission des citoyens pour les droits de l’homme et la Commission
des droits de la personne, Bernard Champoux considère la demande de
rectification du plaignant comme un ultimatum auquel il n’avait pas à se
soumettre. Le « pédiatre de Shawinigan » n’avait selon lui,
ni l’autorité ni le mandat pour lui demander une telle chose. Quoiqu’il en
soit, ajoute l’éditorialiste, « je crois sincèrement que le plaignant
a bénéficié d’un espace plus que suffisant dans la section éditoriale du Nouvelliste
pour rétablir certains faits, pour vanter les qualités du Ritalin et pour se
justifier de prescrire ce médicament en quantité industrielle ».
Réplique du plaignant
Guy Falardeau constate que
l’éditorialiste ne commente vraiment que deux (2) des griefs qu’il a formulés
sur six (6). Bernard Champoux admet son erreur concernant le nombre d’enfants
consommant du Ritalin.
Par ailleurs, il persiste à ne pas
corriger l’impair qu’il a commis en confondant la Commission des citoyens pour
les droits de l’homme et la Commission des droits de la personne. Non seulement
l’éditorialiste ne reconnaît pas son erreur, mais il nie au plaignant son droit
de demander une rectification.
Pour le reste, le mis-en-cause ne
répond pas aux accusations d’affirmations sans fondements, selon le docteur
Falardeau. Il ne commente pas non plus son objection relative à l’utilisation
qui a été faite des coupures dans sa lettre, alors que l’éditorialiste se
permettait de qualifier » d’insultes et impolitesses » des
segments qu’il avait retranchés.
Pour ces raisons, le plaignant
maintient sa plainte.
Analyse
Rappelons que l’éditorial de Bernard Champoux a été publié au plus fort d’une controverse au sujet de la prescription de plus en plus fréquente de methylphénidate aux enfants québécois. L’éditorialiste, qui est contre l’abus de médication consécutive au diagnostic d’hyperactivité, cite à l’appui de sa position un chercheur de l’Université de Montréal, le docteur David Cohen et d’autres spécialistes qu’il n’identifie pas nommément. L’ensemble de l’argumentation de Bernard Champoux veut inciter à la prudence dans la prescription de « Ritalin », et à l’exploration d’alternatives familiales, scolaires et psychologiques avant la médication.
Nulle part dans son éditorial, monsieur Champoux ne dit que le Ritalin est absolument à proscrire. Il admet que des psychologues considèrent que le médicament améliore la situation de l’enfant. Il dénonce cependant l’abus de la « pilule miracle », l’intolérance du milieu scolaire face à ceux qui dérangent, les risques liés à un mauvais diagnostic, bref il donne son opinion. À ce sujet, le Conseil de presse a déjà énoncé ceci:
L’éditorial et le commentaire se distinguent de l’information brute en ce qu’ils constituent des tribunes réservées soit à l’éditeur, soit à l’éditorialiste, soit au commentateur pour qu’ils expriment leurs convictions, leurs tendances et leurs points de vue.
Selon le Conseil, le rédacteur en chef pouvait donner son opinion comme il l’a fait sur ce qu’il estime être les dangers de l’abus de médication.
L’éditorial n’étant pas un travail universitaire, l’auteur n’avait pas à fournir le nom de chacune des sources qu’il a utilisées pour soutenir son opinion. L’éditorialiste affiche clairement son point de vue. Les lecteurs sont libres de le partager ou non.
Pour ce qui est des autres griefs du plaignant cependant, le Conseil de presse doit les accueillir.
L’éditorialiste a erré en exagérant le nombre d’enfants québécois qui prennent chaque jour du Ritalin. Il a aussi commis une erreur de fait en confondant une créature de l’Église de scientologie, la Commission des citoyens pour les droits de l’homme et la Commission des droits de la personne.
Ce qui est blâmable ici, ce n’est pas d’avoir fait erreur. C’est la résistance à reconnaître et à corriger l’erreur en cause.
Dans sa lettre en réponse à l’éditorial, le plaignant réfute le chiffre de 175 000 enfants prenant du Ritalin avancé par monsieur Champoux. Il propose plutôt celui de 18 000 tiré d’un article récent du Nouvelliste. Cette phrase est coupée par l’éditeur dans la version de la lettre publiée par le journal. L’éditorialiste n’y fait aucune allusion non plus dans la réplique qu’il joint au texte du docteur Falardeau.
Quant à la confusion entre les Commissions, non seulement n’y a-t-il pas admission d’erreur de la part de l’éditorialiste, mais il se sert de sa réplique pour nier au plaignant le droit de demander une rectification, sous prétexte qu’il n’est pas mandaté par l’un ou l’autre organisme.
Sans égard au genre journalistique, le professionnel de l’information est tenu de respecter les faits en tout temps. En soulignant des erreurs de faits, le docteur Falardeau pouvait s’attendre à les voir corrigées d’une façon non équivoque et dans un délai raisonnable. Ce n’est pas la voie choisie par l’éditorialiste et son journal, et pour cela, ils doivent être blâmés.
Analyse de la décision
- C01B Objection à la prise de position
- C01C Opinion non appuyée sur des faits
- C09B Droit de réponse insatisfaisant
- C09C Modification du texte
- C11B Information inexacte
- C11G Rapporter des propos/témoignages erronés
- C15A Manque de rigueur
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C15C Information non établie
- C19A Absence/refus de rectification
Date de l’appel
18 August 1999
Décision en appel
Les membres de la Commission
d’appel ont conclu à l’unanimité de maintenir intégralement la décision de
première instance.
Griefs pour l’appel
M. Bernard Champoux interjette
appel à la décision du Conseil de presse.