Plaignant
La famille de l’abbé Jean-Paul
Snyder, (Albert Snyder, requérant)
Mis en cause
Le Journal de Montréal
(Paule Beaugrand-Champagne, rédactrice en chef)
Résumé de la plainte
Le 10 février 1998, Le Journal
de Montréal publie à la une la photo de l’abbé Jean-Paul Snyder, décédé six
jours plus tôt dans un bar de danseuses de la région de Mont-Laurier.
Au nom de la famille du défunt,
Albert Snyder accuse le journal d’avoir utilisé cette photo sans autorisation
et de l’avoir agencée de façon sensationnaliste.
Griefs du plaignant
Le plaignant, en s’appuyant sur la
déontologie du Conseil, formule deux groupes de griefs :
-Plagiat et consentement:
Le plaignant accuse le Journal
de Montréal d’avoir publié la photo du défunt sans autorisation.
D’une part, il explique que cette
photo, propriété de la famille, avait été remise au Droit d’Ottawa, pour
publication seulement dans la section nécrologique. La famille avait alors
précisé au journal que cette photo ne pouvait être utilisée ailleurs que dans
ces pages, et LeDroit s’était vu refuser une demande en ce sens. La
photo n’ayant donc été publiée qu’une seule fois, il ne fait aucun doute pour
le plaignant que le Journal de Montréal l’a repiquée dans les pages
nécrologiques du Droit, avant de la publier en page frontispice de son
édition du 10 février.
Le plaignant accuse donc le Journal
de Montréal de repiquage et de plagiat, en s’appuyant sur les règles
énoncées dans la déontologie du Conseil, et considérant que ce qui est valable
en matière de plagiat pour une information l’est également pour une photo.
D’autre part, le plaignant rappelle que la photo était la propriété de la
famille, et qu’à ce titre, le Journal de Montréal aurait dû obtenir le
consentement ou l’autorisation de la famille, » ce que la direction n’a
jamais tenté de faire auprès de la famille « .
De ce fait, le journal aurait
enfreint les principes déontologiques reconnus par le Conseil, en matière de
droit d’auteurs et de droit des personnes à la vie privée.
-Sensationnalisme et curiosite:
Le plaignant considère que le Journal
de Montréal a fait preuve de sensationnalisme en publiant la photo de
l’abbé Snyder comme il l’a fait.
Il explique en effet que la photo
du défunt a été juxtaposée à celle d’une descente effectuée par la Sûreté du
Québec dans le lieu du décès, un bar de danseuses, mais que cet événement a eu
lieu 24 heures après la mort de l’abbé Snyder. Selon le plaignant, un tel
agencement pouvait laisser croire que le défunt avait été impliqué dans cette
descente, alors que son décès, dû à une crise cardiaque, avait eu lieu le jour
précédent.
Ainsi le plaignant est-il convaincu
que le Journal de Montréal, en publiant la photo du défunt de cette
façon, a fait preuve de sensationnalisme là où il aurait dû montrer plus de
prudence et de discernement compte tenu de son caractère pénible pour les
membres de la famille.
Selon le plaignant, en donnant un
caractère démesuré à une telle information par rapport à son degré d’intérêt
public, le quotidien s’est laissé guider par le désir de faire du
sensationnalisme. Publier cette photo relevait davantage de la curiosité du
public que du souci d’informer.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Paule
Beaugrand-Champagne, rédactrice en chef du Journal de Montréal :
La rédactrice en chef considère
qu’une photo publiée dans un média écrit devient du domaine public. Le Journal
de Montréal était donc en droit de la publier, d’autant plus qu’elle était
celle d’une personne ayant occupé une fonction publique. La mise-en-cause
reconnaît cependant que le journal aurait dû en indiquer la provenance.
D’autre part, Mme
Beaugrand-Champagne considère que la présence du prêtre dans un bar de
danseuses nues était une information d’intérêt public, et que cette dimension
l’emportait sur le droit à la vie privée. Elle explique qu’un prêtre occupe
» une fonction publique liée, par définition, à la défense des valeurs
morales » et qu’il doit ainsi être un modèle pour la société dans laquelle
il occupe un poste d’autorité, même s’il s’est retiré de la vie active.
Enfin, la mise-en-cause rappelle
qu’il avait été précisé dans le texte en page 3 que la descente avait eu lieu
24 heures après la mort du prêtre mais qu’il s’agissait d’une information
pertinente parce qu’elle montrait la nature des lieux fréquentés par le
personnage public qu’était l’abbé Snyder, des lieux bien connus dans la région
pour leurs » services » et faisant l’objet de surveillance policière.
La mise-en-cause conclut ses
commentaires en rappelant que le deuxième texte publié en page 3 invitait le
public à faire preuve de compassion et à nuancer son jugement.
Réplique du plaignant
En guise de réplique, le plaignant
tient les observations suivantes :
– Le Journal de
Montréal admet ne pas avoir indiqué la provenance de la photo mais il omet
de dire qu’elle a été plagiée d’un autre média, ce qui expliquerait d’ailleurs
pourquoi la source n’est pas indiquée. Le plaignant rappelle qu’il s’agissait
d’une photo personnelle fournie au quotidien LeDroit, qu’elle était
destinée à être publiée uniquement dans sa rubrique nécrologique; et que la
publication dans cette rubrique est une annonce payée. Par conséquent, cette
annonce n’aurait pas dû servir à une nouvelle sans le consentement de la
famille.
– Le plaignant s’interroge
sur le partage à faire entre la curiosité du public et l’intérêt public, et
notamment si tous les détails de la vie privée d’une personne publique (si un
prêtre retraité depuis six ans en est une) sont d’intérêt public.
– Il contredit certaines
informations avancées par le journal : l’abbé Snyder se trouvait pour la première
fois dans le bar de danseuses, il n’habitait pas dans la région de Mont-Laurier
et il ne pouvait donc pas savoir ce qui se passait dans ce bar, pas plus qu’il
ne pouvait se douter d’une quelconque surveillance policière.
– Enfin, le plaignant affirme qu’un
travail professionnel aurait permis au Journal de Montréal d’apprendre
la maladie cardiaque grave de l’abbé Snyder et qu’il était en proie à un
infarctus lorsqu’il s’est trouvé dans ce lieu. Il reproche au journal de ne pas
faire mention de ces circonstances et par la superposition des photos, de
laisser entendre que le défunt a été mêlé à la descente de police.
Analyse
La publication d’une photographie dans un média d’information confère à cet élément visuel un caractère indéniablement public.
Dans le cas présent, le Journal de Montréal a repiqué du quotidien Le Droit une photographie de l’abbé Snyder publiée dans ses pages nécrologiques. Le Conseil reconnaît qu’une telle pratique est monnaie courante entre les quotidiens au Québec comme au Canada, lesquels s’échangent régulièrement de l’information écrite et visuelle par le biais de l’agence Presse canadienne dont ils sont tous sociétaires.
Le Conseil de presse est d’avis que le Journal de Montréal avait le droit de traiter du décès de l’abbé Jean-Paul Snyder comme il l’a fait. Ce prêtre était un personnage public et son décès est survenu dans un endroit de réputation douteuse. Aux yeux du Conseil, l’utilisation de la photo en médaillon du prêtre dans les pages du Journal de Montréal pouvait se justifier dans ce contexte.
Cependant, comme le reconnaît la direction du quotidien, l’article du Journal de Montréal aurait dû mentionner la provenance de la photographie de l’abbé Snyder, une absence de mention que déplore le Conseil.
Pour l’ensemble de ces considérations, le Conseil de presse rejette sur le fond la plainte à l’encontre du Journal de Montréal.
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches
- C23G Plagiat/repiquage