Plaignant
France Robertson
Mis en cause
Marc Thibodeau, journaliste et La
Presse (Claude Masson, vice-président et éditeur adjoint)
Résumé de la plainte
La plainte concerne un article et
une photo parus dans le journal La Presse, le 24 avril 1998. Marc
Thibodeau, journaliste, aurait faussé son identité afin d’obtenir une entrevue
avec deux mineurs victimes d’agression par un gang de rue.
À la demande des policiers, les
adolescents avaient été admis à l’hôpital Sainte-Justine sous l’anonymat.
La mère d’un des adolescents dépose
une plainte au Conseil de presse.
Griefs du plaignant
Mme France Robertson rapporte que
le journaliste Marc Thibodeau se serait identifié comme un membre de la famille
auprès du gardien de l’hôpital, dans le but de retrouver la chambre des
victimes.
Rendu à la chambre, M. Thibodeau se
serait présenté aux adolescents comme journaliste. Il aurait demandé
l’autorisation à Daniel Legault, l’une des victimes, de prendre des photos. Ce
dernier aurait dit » oui « , mais la plaignante souligne que son
garçon était alors sous l’effet de la morphine.
Par la suite, les policiers en
service auraient contacté leur supérieur afin d’arrêter la publication.
Cependant, en date du 24 avril 1998, le journal La Presse publie un
article et une photo permettant l’identification complète de Daniel Legault
ainsi que de l’hôpital où se trouvaient les victimes.
La plaignante reproche au
journaliste Marc Thibodeau et au journal La Presse, d’avoir agi de
manière irresponsable en publiant l’article et la photo, craignant pour la
sécurité des adolescents face aux agresseurs en liberté.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Marc Thibodeau,
journaliste :
M. Thibodeau nie le fait qu’il ait
été intercepté dans les corridors de l’hôpital Sainte-Justine par un gardien de
sécurité. Cependant, il avoue avoir feint d’être l’oncle du jeune homme pour
amener la responsable des admissions de l’hôpital à scruter la liste.
Il dit avoir ensuite sollicité un
enquêteur au dossier ainsi que la direction de l’hôpital à ce sujet. Il invoque
que ces derniers n’ont fait que » peu de cas de telles demandes « .
Le journaliste affirme avoir
déambulé dans l’hôpital sans jamais avoir été intercepté par aucun gardien.
Selon Marc Thibodeau, il serait faux de suggérer, comme le fait la plaignante,
qu’il aurait tenté de tromper l’attention d’une quelconque vigile surveillant
la chambre des adolescents, puisqu’il n’y en avait pas.
En arrivant à la chambre, il s’est
présenté à Daniel Legault comme étant un journaliste de La Presse. Il
soutient que l’adolescent, en compagnie de deux amies, semblait parfaitement
lucide. Il dit avoir discuté une dizaine de minutes avec Daniel Legault et
ensuite avoir quitté la chambre à la demande d’une infirmière. Par ailleurs,
c’est un photographe du journal, venu à l’hôpital une heure après le départ du
journaliste, qui aurait pris la photo, avec une seconde autorisation de Daniel
Legault.
Si la vie des deux jeunes était en
danger, Marc Thibodeau s’étonne qu’un journaliste et ensuite un photographe
aient pu facilement se rendre à la chambre des victimes sans jamais croiser de
gardien de sécurité : » Tant l’hôpital que le SPCUM ne prenaient
visiblement pas très au sérieux la menace d’une nouvelle attaque… « .
Concernant l’arrêt de publication
de l’article en cause, le journaliste affirme qu’aucun policier de la SPCUM n’a
appelé au journal pour relayer quelque demande de cette nature.
Marc Thibodeau ne partage pas
l’opinion de Mme Robertson voulant que La Presse ait agi de façon
irresponsable en identifiant Daniel Legault, dans l’article paru le 24 avril
1998.
Commentaires de Claude Masson,
vice-président et éditeur-adjoint :
M. Masson fait remarquer que la
version des faits de son journaliste Marc Thibodeau constitue une version tout
à fait opposée à celle émise par la plaignante. Il ajoute que c’est sur la base
des informations reçues du journaliste et du photographe qu’ils ont décidé de
publier l’entrevue réalisée avec Daniel Legault.
Il soutient qu’en aucun temps la
direction de La Presse n’a reçu une demande des policiers
« afin d’arrêter la publication » de l’article en cause.
Enfin, M. Masson soulève deux
aspects qu’il considère fondamentaux :
l’attaque des Black Dragons est un fait d’actualité qui
s’est déroulé dans des lieux publics et a donné lieu à une large «
couverture » de presse, le suivi était tout autant d’intérêt public;
– le fait
d’obtenir, à deux reprises, le consentement explicite de Daniel Legault, tant
pour l’entrevue que pour la prise de photos, constitue des autorisations
suffisantes, donnant droit à la publication du texte et de la photo.
Réplique du plaignant
Mme France Robertson met l’accent
sur la version des faits des policiers en service. Le journaliste Marc
Thibodeau aurait téléphoné à l’hôpital en demandant à parler aux victimes en
invoquant qu’il était un membre de la famille. La conversation aurait été
interrompue par l’infirmière qui avait pris l’appel, lorsque le journaliste
aurait dévoilé son identité. C’est après cet appel que Marc Thibodeau se serait
présenté à l’hôpital.
La plaignante dit maintenir sa
plainte contre le journaliste Marc Thibodeau.
Analyse
Dans le traitement de drames humains, les professionnels de l’information doivent prendre les plus grandes précautions pour éviter d’exploiter le malheur d’autrui, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une personne mineure. Les faits doivent être traités avec discernement et prudence. Cela s’impose d’autant plus lorsque des adolescents sont touchés par ces drames, étant donné les conséquences et les dangers potentiels que la publication d’informations permettant de les identifier peut avoir sur leur vie.
Dans le présent cas, le Conseil de presse convient, au départ, de la justesse de l’argument invoqué par La Presse à l’effet que l’agression des adolescents par un gang de rue étant survenue dans un lieu public et ayant donné lieu à une large couverture médiatique, le suivi de l’événement était alors d’intérêt public.
Mais l’intérêt public du suivi commandait-il ou justifiait-il de la part du média en cause de lever le voile complet comme l’a fait le journaliste – avec publication d’une photo par surcroît – sur l’identité de l’une des victimes et l’identification de l’hôpital où il reposait?
Devant une telle situation, le Conseil de presse est d’avis que les médias devraient soupeser l’intérêt public et l’intérêt des adolescents concernés. Ils devraient toujours se demander si l’intérêt public est tel qu’il surpasse les inconvénients et les répercussions négatives qui pourraient découler de leur identification. Et dans le cas où subsisterait le doute, considérer qu’il est préférable d’aller dans le sens de la prudence.
Dans le dossier en cause, reconnaissons que les policiers avaient jugé nécessaire de protéger l’anonymat des deux victimes pour mieux assurer leur sécurité. Cette seule mesure aurait dû inciter La Presse à plus de discrétion dans son traitement et cela, même si la chambre d’hôpital des deux adolescents n’était pas surveillée aussi étroitement que l’on pouvait s’y attendre.
En ce qui a trait au recours à une fausse identité de la part du journaliste Marc Thibodeau, le Conseil rappelle que l’usage de procédés clandestins de ce type ne doit être qu’exceptionnel et commandé par l’intérêt public de l’information recherchée.
Tel n’était pas le cas, aux yeux du Conseil, dans le présent dossier. Aussi, pour l’ensemble de ces considérations, le Conseil accueille la plainte de Mme Robertson.
Analyse de la décision
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C23C Recours à une fausse identité
- C23H Interview et images d’enfants
Date de l’appel
18 August 1999
Décision en appel
Les membres de la Commission
d’appel accueillent partiellement l’appel. La Commission d’appel en est venue
aux conclusions suivantes :
À la lumière des arguments invoqués
dans l’appel par M. Thibodeau, la Commission convient que le journaliste
mis-en-cause n’a pas fait usage de procédés clandestins – soit l’utilisation
d’une fausse identité – auprès du jeune Daniel Legault, lorsque celui-ci a
recueilli son témoignage volontaire. La Commission considère également que ce
témoignage était pertinent autant que sa publication était d’intérêt public. Le
Conseil se ravise donc sur ce point, tout en rappelant que les professionnels
de l’information sont tenus de s’identifier en tout temps, dans l’exercice de
leurs fonctions.
En ce qui a trait cependant au
dévoilement complet de l’identité de la victime, de même que sur le lieu précis
de son hospitalisation, la Commission maintient, sur cet aspect, la décision
rendue en première instance, estimant que La Presse a manqué de prudence
dans le traitement de ce drame humain. Cette prudence s’impose de soi lorsque
des adolescents sont touchés par des drames, étant donné les conséquences que
la publication d’informations permettant de les identifier peut avoir sur leur
vie.
Griefs pour l’appel
M. Claude Masson et M. Marc
Thibodeau interjette appel à la décision du Conseil de presse.