Plaignant
Claire Brisson
Mis en cause
Raphaël Hovington, journaliste, et Rive-Nord
Média (Éric Lefebvre, directeur général)
Résumé de la plainte
La plaignante et son mari sont les
fondateurs des journaux mis-en-cause : L’Objectif Plein-Jour de
Baie-Comeau, Plein-Jour sur la Manicouagan de Baie-Comeau, et Plein-Jour
en Haute-Côte-Nord de Forestville. En 1980, ces derniers ont été rachetés
par Quebecor, qui, en 1995, congédie le couple fondateur – dont le licenciement
aurait été, selon la plaignante, jugé injustifié par la Commission des Normes
du Travail – ainsi que le beau-frère de la plaignante. Suite à leur
licenciement, la famille Brisson lance avec succès trois nouveaux
hebdomadaires, en concurrence directe avec ceux du groupe Quebecor.
C’est dans ce contexte que les
journaux mis-en-cause, fonctionnant sous la bannière Rive-Nord Média,
ont couvert une enquête menée par la GRC, puis la mise en accusation de
l’entreprise de la plaignante, Papeterie Commerciale et Industrielle (PCI),
pour avoir mis en vente des exemplaires contrefaits de logiciels encore
Griefs du plaignant
La plaignante considère que les
mis-en-cause ont accordé à l’affaire un traitement abusif et partial: ils
auraient donné une place plus importante à l’information concernant PCI, en
comparaison avec Nexion Informatique, une entreprise concurrente, tout autant
impliquée dans l’enquête de la GRC. De ce fait, la plaignante estime que Rive-Nord
Média aurait tenté de discréditer la plaignante et son entreprise.
La plaignante dénonce cinq articles
parus dans les hebdomadaires mis en cause et les inégalités de traitement entre
PCI et de Nexion Informatique :
Le 8 novembre 1997, le Journal Objectif Plein-Jour
publie un article appuyé d’une photo, relatif à la perquisition du 6 novembre
1997 par la GRC chez PCI et Nexion Informatique.
Le 1er mai 1998, le journal tait l’information selon
laquelle PCI obtient du tribunal que les équipements saisis lui soient rendus.
Le 17 juin 1998, Rive-Nord Média couvre la mise
en accusation de Nexion Informatique, et assure un suivi dans le dossier PCI.
Aucune accusation n’ayant encore été portée à son sujet, le journal s’abstient
de citer le nom de l’entreprise de la plaignante qui fait toutefois remarquer
que Baie-Comeau étant un » petit village « , son entreprise pouvait
facilement être identifiée.
Le 4 juillet 1998, un article est publié, qui met
l’accent sur l’importance de l’enquête menée contre PCI, mais le journaliste ne
précise pas que le tribunal a autorisé PCI à reprendre possession du matériel
saisi par la GRC.
Le 25 juillet 1998, suite au dépôt d’accusations contre
PCI, le journal publie un article placé en évidence, en haut de la page 3, et
illustré d’une photo sur laquelle apparaît du matériel saisi par la GRC :
l’équipement de Nexion Informatique, mais aussi celui de PCI, pourtant déjà remis
à la plaignante sur décision du tribunal. L’auteur tait également le nom de
Nexion Informatique en utilisant l’expression » l’autre
commerce ».
Le même jour, un autre article sur le même sujet est
publié dans le Journal Plein-Jour en Haute-Côte-Nord. La plaignante
soupçonne l’éditeur d’avoir cherché ainsi à porter atteinte à la réputation de
son beau-frère, propriétaire d’un journal concurrent dans cette même petite
localité.
Pour la plaignante, la couverture
abusive, en regard de ce qui a pu être écrit sur Nexion Informatique prouve que
Rive-Nord Media aurait voulu régler des comptes :
Les mis-en-cause auraient accordé un espace démesuré à
l’affaire; les titres concernant PCI seraient plus gros, ce qui laisserait
croire que les accusations portées contre PCI seraient plus lourdes; l’éditeur
du journal aurait volontairement choisi l’édition du samedi qui a le plus haut
taux de lecture pour publier l’information sur PCI.
L’éditeur aurait publié l’information concernant PCI,
une entreprise baie-comoise, à la fois dans son journal de Baie-Comeau et dans
celui de Forestville, l’affaire concernant Nexion Informatique n’ayant été
couverte que dans le journal de Baie-Comeau.
Le journaliste mis-en-cause aurait fait preuve
d’exagération et de surinterprétation dans la présentation du communiqué de la
GRC : le journaliste se serait contenté de rendre compte fidèlement du
communiqué en ce qui concerne les peines encourues par Nexion Informatique,
i.e. 25 000 $ par chef d’accusation et six mois de prison; mais concernant PCI,
il aurait grossi l’affaire par des calculs qui auraient amené les peines
encourues à un montant de 150 000 $ et trois ans de prison.
Dans le texte publié dans le journal Plein-Jour en
Haute-Côte-Nord, une phrase pouvait laisser croire que la plaignante
avait plaidé coupable, ce qui n’était nullement le cas : » Ils sont
poursuivis sur déclaration de culpabilité par déclaration sommaire « .
Enfin, la plaignante reproche au journaliste mis en
cause de n’avoir jamais tenté de la joindre pour obtenir sa version des faits,
même s’il la connaissait et savait très bien comment la joindre.
Commentaires du mis en cause
Raphaël Hovington, journaliste mis
en cause et directeur de l’information, répond aux accusations de Mme Brisson,
au nom de Rive-Nord Média et en son nom personnel.
Il refuse de prendre en compte dans
ses commentaires le contexte des relations entre Quebecor et la plaignante,
contexte dont cette dernière se sert pour étayer sa plainte. Le mis-en-cause
tient cependant à corriger l’affirmation de la plaignante selon laquelle le
Commissaire du travail aurait rejeté la plainte de M. Luc Brisson pour
congédiement sans raison valable. Le mis-en-cause précise que les articles
incriminés ne sont pas pertinents à l’étude de la plainte.
Il affirme que Rive-Nord Média
ne saurait utiliser ses journaux à son profit pour régler de telles situations
conflictuelles et reproche à la plaignante d’avoir tenté de le faire dans
l’édition du Consommateur Plus du 24 décembre 1997. Pour le
mis-en-cause, utiliser ces faits contextuels pour étayer une plainte relève du
procès d’intention.
Concernant l’accusation principale
qui lui est faite, celle d’un traitement abusif et partial de l’information sur
PCI, le mis-en-cause maintient que les journaux incriminés ont traité cette
information de façon professionnelle et équitable :
Plein-Jour sur la Manicouagan et Objectif
Plein-Jour sont tous deux diffusés à Baie-Comeau, respectivement le
mercredi et le samedi; Rive-Nord Média s’efforce de diffuser les
nouvelles le plus rapidement possible, dans l’édition la plus rapprochée de
l’émergence de l’information à traiter; c’est ce qui explique que l’information
concernant Nexion Informatique a été publiée le mercredi, l’information ayant
été divulguée trop tard pour être traitée dans l’édition du samedi précédent.
Le mis-en-cause aurait également tenté en vain d’obtenir la version des faits
du dirigeant de cette entreprise.
Concernant le reproche pour la publication de l’article
sur PCI en page 3, l’article concernant Nexion Informatique aurait lui aussi
été publié en page 3, consacrée aux nouvelles de faits divers et de faits
humains.
Le communiqué de la GRC serait parvenu au journal dans
la matinée du 23 juillet, soit assez tôt pour être publié dans l’édition du
samedi; la photo illustrant l’article du 25 juillet était une photo d’archives
et la légende était assez claire à ce sujet.
Le journal ignorait que le matériel saisi avait été
restitué à PCI. La GRC se serait gardée de dévoiler une telle information avant
la mise en accusation officielle. Quoi qu’il en soit, le mis-en-cause
s’interroge sur la pertinence d’une telle information.
La GRC n’aurait pas émis de communiqué de presse dans
l’affaire Nexion. En outre, l’accusation portée contre PCI ne se limitait pas à
l’entreprise, mais visait également deux de ses administrateurs : la plaignante
et son frère, deux anciens habitants de Forestville.
Dans l’article du 17 juin 1998, le nom de PCI aurait
été tu en raison de l’absence d’accusations officielles de la GRC. Même si
Baie-Comeau est une petite localité, l’existence de plusieurs entreprises
d’informatique en son sein ne permettait pas d’identifier formellement
l’entreprise de la plaignante. Nexion Informatique tout autant que PCI ont donc
eu droit à une couverture à peu près équivalente, la première entreprise ayant
même été mentionnée dans deux éditions différentes. Quant à la grosseur des
titres, celle-ci dépend de la mise en page des nouvelles et de leur importance
relative. Les nouvelles concernant Nexion Informatique et PCI ayant été
publiées dans deux éditions différentes, à plus d’un mois d’intervalle, le
reproche de la plaignante ne serait pas fondé.
Concernant la phrase parue dans le journal de
Forestville, et qui, selon la plaignante, pouvait laisser croire que cette
dernière plaidait coupable, le mis-en-cause reconnaît qu’elle a pu être mal
formulée. Mais selon lui, elle ne pouvait semer la confusion dans les esprits
puisque l’article précisait par ailleurs que la comparution devait avoir lieu
le 2 novembre suivant.
Enfin, si le journal n’a pas contacté la plaignante
pour obtenir sa version des faits, c’est que, selon le mis-en-cause, cette
dernière n’avait pas encore inscrit son plaidoyer. Ce n’est qu’après que Nexion
ait formulé son plaidoyer que le journal serait entré en contact avec son
dirigeant.
Réplique du plaignant
La plaignante maintient que le
contexte de ses relations avec Rive-Nord Média permet d’appréhender avec
plus de justesse l’iniquité dont elle et son entreprise auraient été victimes.
Elle rappelle que Rive-Nord Média
avait tu l’information concernant son licenciement et ceux de son mari et de
son beau-frère, et avait préféré évoquer l’arrivée en son sein de figures
locales connues du public.
Ainsi considère-t-elle qu’il était
tout à fait justifié, face au silence des journaux mis-en-cause et à la
désinformation des médias électroniques, que son journal fasse état de sa
victoire et de celle de sa famille devant la Commission des Normes du Travail.
La plaignante précise par ailleurs que le journaliste auteur de cet article n’a
subi aucune pression de sa part et a traité l’information de façon objective.
Afin de démontrer l’existence de
conflit d’intérêts et d’informations orientées au sein de la rédaction des
journaux mis en cause, la plaignante multiplie les exemples. Concernant les
articles incriminés, elle affirme que le fait de ne pas avoir reçu de
communiqué de presse pour Nexion est une fausse excuse des mis-en-cause; ces
derniers connaissaient la date de comparution en justice de cette entreprise;
en taisant le nom de PCI, ils ont montré qu’ils étaient en contact avec la GRC.
Enfin la plaignante remet en cause la pertinence de l’article du 4 juillet 1998
qui n’apporterait rien de nouveau.
La plaignante reprend les reproches
pour lesquels le mis-en-cause n’a fourni aucun commentaireet se demande
pourquoi l’article peu pertinent du 4 juillet n’a été publié que dans l’édition
du mercredi? Pourquoi le nom de Nexion a-t-il été tu dans l’article du 25
juillet, alors que la GRC l’avait rendu public? Parce que le dirigeant de
Nexion et son père sont tous deux des annonceurs de Rive-Nord Média?
La plaignante maintient ses
reproches quant à la longueur des textes relatifs à Nexion et PCI.
À propos de l’article du 25
juillet, elle s’interroge sur la publication et l’adaptation du texte original
dans l’édition de Forestville, qui n’a pourtant rien publié sur Nexion; et
également sur la publication de ce même article dans le Nord-Est de
Sept-Îles, dont elle fut la fondatrice. Les mis-en-cause auraient ainsi
surinterprété le communiqué de la GRC.
Selon la plaignante, ces pratiques
dépassent la responsabilité de M. Hovington, dont elle déplore la soumission
passive aux directives de Quebecor.
La plaignante soumet également au
Conseil des éléments additionnels, comme le fait de n’avoir pas été contactée
par le journal après qu’elle ait inscrit son plaidoyer, le 2 novembre 1998; les
mis-en-cause n’en ayant pas fait état dans leur édition du 4 novembre.
La plaignante relève enfin quelques
incohérences dans les propos du mis-en-cause : qu’il ait oublié, après l’avoir
annoncé dans ses commentaires, la date de l’audition de PCI; qu’il ignorait que
son texte avait été repris dans l’édition de Sept-Îles. La plaignante conclut
en précisant qu’aucune information sur le plaidoyer de PCI n’a été publiée dans
les journaux de Forestville et de Sept-Iles.
Analyse
Une des caractéristiques de la présente plainte est l’omniprésence d’un contexte de concurrence et d’opposition perpétuelle entre plaignants et mis-en-cause, à travers leurs entreprises disséminées sur le large territoire d’une même région. L’étude des griefs met en lumière la difficulté constante de concilier les droits et responsabilités de la presse avec les règles d’un marché restreint.
Un des motifs de plainte invoqué par la plaignante était d’avoir accordé à l’affaire PCI une couverture abusive, comparativement à ce qui a pu être écrit sur Nexion Informatique, ainsi qu’une inégalité dans le traitement.
En vertu du droit au libre exercice du journalisme les mis-en-cause pouvaient légitimement décider des contenus de leurs journaux selon leur jugement. Le Conseil rappelle à ce sujet :
» L’attention que [ les médias] décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre. Nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information. » (DERP, p.4)
En conséquence, même si la plaignante aurait apprécié un traitement semblable pour les deux entreprises ayant fait l’objet d’enquête de la GRC, elle ne pouvait s’attendre automatiquement à une couverture identique pour elle et son concurrent. Le parallélisme n’était pas total entre la situation de PCI et de Nexion Informatique, les accusations ne sont pas tombées en même temps et le nombre des chefs d’accusation n’était pas le même.
En somme, le mis-en-cause pouvait légitimement traiter du sujet au moment de son choix et lui accorder l’importance qu’il souhaitait. Il pouvait également accorder aux entreprises accusées la visibilité qu’il estimait raisonnable, fut-elle différente, et ce, même si ces entreprises sont dans le même domaine et font l’objet d’accusations de même nature.
La plaignante formulait également des reproches en regard de l’exactitude, de l’équilibre, de l’impartialité et de l’exhaustivité de l’information. L’examen des textes et des griefs détaillés formulés par la plaignante révèle davantage le contexte d’opposition mentionné précédemment que de véritables manquements à l’éthique professionnelle. Le journaliste mis en cause reconnaît d’ailleurs qu’une phrase laissant croire que la plaignante avait plaidé coupable était mal formulée. Cependant, après examen de l’ensemble de la plainte, il appert que c’est beaucoup plus sa mise en accusation par la GRC que la phrase ambiguë du journaliste qui constitue la véritable atteinte à la réputation de la plaignante.
En ce qui a trait aux griefs concernant l’omission par le journal de contacter la plaignante pour obtenir sa version des faits, la réponse du mis-en-cause apparaît satisfaisante aux yeux du Conseil. Attendre dans les deux cas la mise-en accusation pour recueillir l’opinion des accusés apparaissait un comportement équitable.
La plaignante dénonçait également les conflits d’intérêts des mis-en-cause dans le dossier. Or, dans les documents soumis à l’attention du Conseil, la plaignante a exposé toutes les raisons contextuelles et historiques pour expliquer pourquoi les mis-en-cause auraient pu vouloir leur nuire, mais elle n’a pas démontré que les liens personnels avaient conduit à outrepasser les limites déontologiques.
Enfin en ce qui a trait aux éventuelles atteintes à la réputation, le Conseil rappelle que le traitement médiatique d’une mise en accusation, qui devient du domaine public, n’a pas pour but de nuire à la réputation d’un individu ou d’une entreprise mais de renseigner le public, comme c’est la responsabilité des journalistes. Et l’examen de la plainte et des textes n’a révélé aucune intention de nuire et de discréditer, que ce soit par les propos, par le vocabulaire ou dans le ton.
Aussi, pour l’ensemble de ces considérations, le Conseil de presse rejette-t-il la présente plainte contre Rive-Nord Média et son journaliste et directeur, Raphaël Hovington.
Analyse de la décision
- C02 Choix de couverture
- C03 Discrétion rédactionnelle
- C11 Exactitude de l’information
- C12 Équilibre de l’information
- C13 Impartialité de l’information
- C17 Respect des personnes
- C22 Conflit d’intérêts