Plaignant
Miville Boily
Mis en cause
Le Lac-St-Jean (Gaston
Martin, directeur général et France Paradis, éditorialiste et journaliste)
Résumé de la plainte
Le 20 septembre 1998, Le
Lac-St-Jean publie un article portant sur M. Gaston Martin. Ce dernier est
à la fois directeur général de ce journal, directeur général des opérations aux
Hebdos UniMédia et conseiller municipal de Métabetchouan. Dans sa fonction de
conseiller, il a été accusé de s’être placé en situation de conflit d’intérêts
au sein de sa municipalité, en approuvant des dépenses faites au restaurant de
son épouse.
Le ministre des Affaires
municipales, Rémy Trudel, saisi de ce dossier, a envoyé deux personnes enquêter
sur ce dossier et a finalement recommandé au conseil de la ville de consulter
son conseiller juridique pour obtenir un éclairage sur la situation. Lorsque
l’avis juridique fut rendu public, le journal mis en cause l’aurait utilisé
pour blanchir la réputation de son dirigeant.
Griefs du plaignant
Le plaignant, citoyen de
Métabetchouan, considère que cet avis juridique n’avait pas valeur de jugement
final, mais seulement d’opinion légale. Selon lui, le journal s’en serait servi
comme d’un plaidoyer en faveur de son dirigeant.
Le plaignant accuse M. Martin
d’avoir manipulé l’opinion publique et d’avoir dérogé au principe d’impartialité
qui aurait dû prévaloir dans les circonstances. Il aurait utilisé son journal
et ses employés non seulement pour des fins mercantiles mais pour se disculper
d’une accusation, en livrant au public une interprétation personnelle et non
une information complète, comme l’a fait Le Quotidien.
Le plaignant s’étonne également que
les journalistes n’aient pas respecté leur devoir de réserve.
Le plaignant demande donc une
rétractation publique du mis-en-cause, de son journal, et de son éditorialiste
ainsi qu’une sanction proportionnelle à leurs erreurs.
Dans un complément de plainte, le
plaignant ajoute à son dossier un article paru dans le journal mis en cause le
27 septembre 1998. Selon lui, cet article est un commentaire personnel du
mis-en-cause, dans lequel il dénonce le gouvernement, le ministère des Affaires
municipales, les médias, et ce qu’il appelle » un quelconque comité de
défense des intérêts des citoyens « .
Enfin, le plaignant s’interroge sur
la crédibilité d’un tel journal.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de France Paradis,
éditorialiste :
Avant de répondre aux accusations
du plaignant, l’éditorialiste présente le journal et son fonctionnement,
notamment en ce qui concerne le respect des règles journalistiques. Il tient à
rappeler les événements dans leur ordre chronologique pour compléter ceux
exposés par le plaignant. Il affirme qu’il n’y a jamais eu d’ingérence de
l’éditeur du journal Le Lac St-Jean dans le travail quotidien de ses
journalistes et que la rédaction a une liberté totale d’action. Il précise ne
jamais avoir confondu les différentes fonctions de M. Martin qui pouvait donc
jouir du même traitement journalistique que n’importe quel autre personnage
public.
L’éditorialiste répond aux
accusations du plaignant :
Il dément certaines affirmations du
plaignant : le ministre des Affaires municipales n’a pas pris cette affaire
plus au sérieux qu’une autre en dépêchant deux personnes, car une fois saisi
par un citoyen, il avait le devoir d’agir ; ces personnes n’avaient pas pour
mission d’enquêter, mais de vérifier les allégations. La » vérification
» n’aurait pas amené à la conclusion définitive d’un conflit d’intérêt
potentiel comme le laisse entendre le plaignant. Il nuance cette affirmation en
la mettant en contexte à l’aide de la citation de la lettre du ministre. La
lettre invite notamment la Ville à clarifier sa situation, en obtenant l’avis
de son conseiller juridique, si nécessaire, pour s’assurer que les dispositions
de la loi sont respectées.
M. Paradis répond ensuite aux
accusations qui sont adressées au journal. Le plaignant aurait répété une
fausse accusation dont le conseiller Martin aurait été blanchi par l’avis
juridique. En outre, M. Martin ne se serait jamais ingéré dans le choix de la
couverture médiatique, qui relèverait exclusivement de lui. M. Paradis ne
considère pas non plus avoir dérogé à son devoir de réserve en rédigeant son
commentaire, dans lequel il avait inclus une mise en situation rappelant la
délicate position du journal. Quant au traitement qu’a pu en faire Le
Quotidien, le mis-en-cause rappelle que ce journal a reçu de façon anonyme des
informations partielles venant salir la réputation du conseiller municipal
Martin. Avant publication, le journal n’aurait pas cherché à obtenir la version
des faits des personnes incriminées et aurait publié des informations
fragmentaires. Pour sa part, le journaliste du Lac St-Jean aurait livré au
public un compte rendu fidèle et détaillé de la conférence de presse de la
municipalité. L’avis juridique, en blanchissant le conseiller municipal, aurait
ainsi clos le dossier. Seul le journal Le Lac-St-Jean aurait assisté au
discours public de M. Martin, afin de rendre compte de l’ensemble des éléments
dans le dossier.
Commentaires de Gaston Martin,
éditeur et directeur général :
Le mis-en-cause tient à resituer la
plainte dans son contexte. Trois de ses adversaires politiques seraient à
l’origine de la plainte déposée contre lui au ministère des Affaires
municipales. M.Boily serait un de ses anciens concurrents, puisqu’il
aurait tenu un commerce de restauration, aujourd’hui fermé. Il serait en outre
le frère d’un de ses adversaires politiques, lui-même investisseur dans le
restaurant de son frère. Le plaignant aurait eu possession du rapport du
ministère, et l’aurait communiqué à des gens de médias, déclenchant la
couverture de l’événement. Selon lui, la présente plainte ne serait qu’une
tentative de vengeance de M. Boily, après la vaine dénonciation auprès du
ministère.
Il relève que le plaignant vante le
travail des journalistes du Quotidien tout en se gardant de parler des médias
qui n’ont pas fini leur travail. Il rétorque au plaignant que son journal
appartient au Groupe UniMédia, dont il est l’un des cadres, et qu’à ce titre il
aurait été à même de faire appel à son collègue éditeur, s’il l’avait voulu.
Le mis-en-cause termine en
expliquant que ses adversaires politiques n’ayant pas eu le courage de se
commettre eux-mêmes se servent cette fois-ci de M. Boily alors qu’ils avaient
utilisé, la fois précédente, le comité de citoyens.
Réplique du plaignant
Aux commentaires de M. Paradis, le
plaignant réplique point par point :
Il dit ne pas être impressionné par les grands
principes d’intégrité, d’impartialité, et d’éthique soulevés par le journaliste
et il retourne contre lui ses propres arguments en prenant pour exemple son
silence sur les résultats référendaires de 1997 pour le projet de construction
d’une usine de filtration. Le plaignant met en doute que sa couverture
journalistique des événements soit guidée par l’importance de l’information ;
et il explique ce silence du journaliste par le fait que M.Martin, en
tant que conseiller municipal, avait défendu ce projet. Il soupçonne le
journaliste mis en cause de n’avoir pas voulu faire perdre la face à son
dirigeant. Le plaignant généralise ensuite ce cas en affirmant que le journal
traite les dossiers de façon arbitraire, selon qu’ils fassent l’affaire de son
dirigeant ou pas. Il précise cependant qu’il lui est difficile de prouver cette
accusation.
Le plaignant fait également remarquer que les
journalistes syndiqués ne traitent jamais des dossiers concernant M. Martin. Il
reproche au journaliste mis en cause d’avoir le monopole des articles qui
commentent les faits et gestes de son dirigeant.
Le plaignant reproche ensuite au journaliste mis en
cause de jouer sur les mots. Selon lui, le mot enquête convient parfaitement à
la démarche du ministère. Il reconnaît qu’aucune accusation n’a été portée
contre le conseiller municipal, mais selon lui, le débat ne se situe pas autour
de cette question.
Le plaignant maintient que M.
Martin a bien » manipulé » l’opinion publique :
Le plaignant a l’impression que les commentaires du
journaliste Paradis trahissent, plus encore que l’article incriminé, la
mainmise de son dirigeant sur ses propos. Il regrette que le journaliste ne se
soit pas abstenu de tout commentaire public sur ce dossier.
M. Boily répond ensuite aux
commentaires de M. Martin :
Il accuse ce dernier d’avoir porté des accusations sur
des tierces personnes, espérant faire diversion des accusations qui le
concernent ou en espérant les justifier. Il ne comprend pas en quoi le fait
qu’il ait été restaurateur l’empêche de porter plainte honnêtement contre le
mis-en-cause.
Le plaignant admet avoir obtenu copie du rapport des
vérificateurs, en la réclamant pour information personnelle devant la loi
d’accès à l’information. Mais l’accusation qui lui est faite de l’avoir
transmise aux médias, serait injuste et sans preuve. Il regrette d’ailleurs que
le mis-en-cause lance de pareilles accusations non fondées envers les gens des
autres médias.
Il affirme de plus que, contrairement aux prétentions
du mis-en-cause, celui-ci n’aurait pas les preuves nécessaires pour gagner un
procès pour dommages exemplaires en vertu de la Loi de la Presse.
Quant à l’absence des journalistes lors de l’assemblée
publique où le mis-en-cause répondait aux accusations portées contre lui, le
plaignant l’explique par les injures que le mis-en-cause aurait formulé à
l’égard des médias régionaux.
Analyse
Une précision s’impose au départ : le champ d’intervention du Conseil de presse est l’éthique journalistique. Il n’appartient donc pas au Conseil de déterminer, en matière municipale, qui a la bonne interprétation dans sa lecture de la lettre du ministre des Affaires municipales, quand celui-ci traite de l’éventuel conflit d’intérêts entre les fonctions marchandes de M. Martin et son poste de conseiller municipal. De même en est-il pour l’interprétation de l’avis professionnel du conseiller juridique de la ville de Métabetchouan.
L’analyse du Conseil visait à déterminer si, dans les circonstances, le journal Le Lac St-Jean, son directeur général Gaston Martin et son journaliste éditorialiste France Paradis avaient outrepassé les limites déontologiques.
Le premier reproche du plaignant portait sur l’avis juridique qui n’avait pas la portée qu’on lui a prêtée et a été utilisé pour blanchir M. Martin. À cet égard, le Conseil rappelle que la liberté rédactionnelle permettait à l’éditorialiste de formuler un commentaire, d’exprimer une opinion, sur le sujet de son choix, à la condition d’être fidèle aux faits. L’entreprise de presse pouvait donc légitimement choisir de traiter du sujet à sa manière et comme elle l’entendait.
Le plaignant formulait également des accusations de manipulation de l’opinion publique, de dérogation au principe d’impartialité en utilisant son journal et ses employés pour se disculper, à travers une interprétation personnelle des faits et une information incomplète. À ce sujet, le Conseil conclut que ces affirmations, toutes vraisemblables qu’elles apparaissent dans la bouche d’un farouche opposant de M. Martin – tant sur la scène politique que commerciale– n’ont pas été démontrées, sinon par l’invocation de raisons circonstancielles.
Enfin, apparaissait également une accusation de conflit d’intérêts. Cette fois, il s’agit pour M. Martin de conflit entre sa fonction de conseiller municipal et son poste de directeur général du Lac St-Jean.
Après examen, le Conseil considère que si la preuve n’est pas faite que M.Martin soit intervenu auprès de la rédaction dans le but d’influencer le contenu rédactionnel des articles, il est clair qu’il y a tout au long de ce débat apparence de conflit d’intérêts. Le cumul des fonctions de directeur du Lac St-Jean et de conseiller municipal place M. Martin en situation apparente de conflit d’intérêts, dont la double conséquence sera de mettre ses journalistes dans une position inconfortable et de porter ainsi atteinte à la crédibilité du journal.
Qui plus est, le Conseil ne pourrait passer sous silence la pression invisible mais réelle que peut présenter pour un journaliste le traitement d’un sujet qui concerne la réputation du directeur de son média. En cautionnant une telle situation, le directeur Gaston Martin et l’entreprise de presse Le Lac St-Jean se rendaient conjointement responsables d’une situation de conflit d’intérêts.
En conséquence et pour ces raisons, le Conseil de presse accueille la plainte en regard du grief de conflit d’intérêts.
Analyse de la décision
- C02 Choix de couverture
- C06 Indépendance journalistique
- C07 Liberté de l’information
- C12B Information incomplète
- C13 Impartialité de l’information
- C22 Conflit d’intérêts