Plaignant
Collège des médecins du Québec
(Joëlle Lescop, secrétaire générale)
Mis en cause
Groupe TVA et l’émission
J.E., (Alain Gazaille, rédacteur en chef délégué)
Résumé de la plainte
Le Collège des médecins du Québec
porte plainte contre l’introduction de journalistes de l’émission J.E.,
accompagnés de caméramen, dans une salle d’attente de cabinets de médecin, et
contre la captation d’images en ces lieux.
La plainte vise à dénoncer cette
pratique. Le Collège des médecins veut ainsi protéger l’intimité et la
confidentialité de l’identité des individus, attendues normalement lors de
consultations chez le médecin.
Griefs du plaignant
La plainte fait suite à une
première démarche du Dr Richard Catchlove, le 24 avril 1998, auprès des
mis-en-cause pour protester contre l’intrusion dans la salle d’attente de son
cabinet de la journaliste Catherine Lafrance qui était accompagnée d’un
caméraman.
Le 8 juin 1998, le Collège des
médecins avait alors avisé par écrit le rédacteur en chef délégué de l’émission
J.E. que selon son organisme, même si aucun patient n’avait été vu à
l’antenne, il s’agissait néanmoins de violation de l’intimité d’un cabinet de
consultation. Il ajoutait que le Règlement sur la tenue du cabinet de
consultation d’un médecin exigeait que celui-ci assure l’intimité de sa
clientèle.
La plainte est déposée le 5
novembre, à la suite d’une seconde intrusion, cette fois de la journaliste
Hélène Drainville, toujours accompagnée d’un caméraman, dans la salle d’un autre
médecin, psychiatre, alors que celui-ci était en entrevue et que deux patients
étaient présents dans la salle d’attente.
Le Collège des médecins considère
qu’une telle visite sans avis dans un cabinet de consultation est tout à fait
inacceptable et porte plainte pour un tel comportement.
Commentaires du mis en cause
M. Gazaille répond à la plainte et
rappelle que son émission fait œuvre utile dans le champ du journalisme
d’enquête car elle représente souvent pour plusieurs la dernière ressource pour
obtenir une réponse à un problème donné. Son utilité a été reconnue
antérieurement par le Conseil de presse et par les tribunaux civils. Selon lui,
l’équipe de J.E. a développé une large expertise en matière de journalisme
d’enquête et elle met tout en œuvre pour se conformer aux principes
journalistiques.
C’est donc dans le cadre de cette
émission que les deux reportages ont été préparés. Le premier traitait de la
difficulté à obtenir des soins postchirurgicaux et le second, non encore
diffusé, de la méthode de facturation d’un médecin spécialiste.
Le rédacteur en chef délégué estime
que le Conseil de presse n’a pas à se prononcer sur la plainte, s’appuyant sur
une décision antérieure du Conseil (D199501-001). Dans le premier cas, le
travail préparatoire de Mme Lafrance n’aurait eu aucune incidence sur le
reportage diffusé car il n’y a eu aucune captation d’images, aucune diffusion
d’images ou aucun commentaire relatif aux patients. Dans le second cas, la
prétendue captation d’images de patients n’aurait aucune incidence sur le
reportage qui pourrait être diffusé, reportage dans lequel aucun patient ne
serait montré.
M. Gazaille réaffirme également le
respect de la confidentialité de l’identité des patients par les membres de son
équipe. Faisant référence au Règlement sur la tenue du cabinet de consultation
d’un médecin, le rédacteur en chef délégué affirme qu’en aucun temps l’équipe
de J.E. ne s’est introduite dans le cabinet du médecin et que les articles 2.01
et 2.02 de ce règlement sont inapplicables aux faits. De plus, les journalistes
ne sont pas tenus au respect du Règlement mais aux règles de l’éthique
journalistique qui, elles, ont été respectées.
Quant au prétendu bris du lien de
confiance médecin-patient, M. Gazaille affirme que rien dans l’attitude ou dans
les propos de Catherine Lafrance n’a pu contribuer à affecter la réputation du
médecin.
Le rédacteur en chef délégué
termine en indiquant que même si le Conseil pensait avoir juridiction dans ce
cas, il considérerait la plainte comme non fondée.
Réplique du plaignant
Le Collège des médecins répond en
précisant que la plainte ne concerne pas uniquement la captation d’images dans
les lieux publics, mais l’introduction dans une salle d’attente privée de
journalistes accompagnés de caméramen. Il explique que la salle d’attente d’un
médecin fait partie de son cabinet et qu’il s’agit d’un endroit privé où
l’intimité des patients doit être conservée confidentielle.
Le plaignant ajoute que sa plainte
au nom du public est justifiée alors que les commentaires de M. Gazaille visaient
à restreindre indûment ce bris de confidentialité à la seule diffusion
d’images.
Analyse
Le droit du public à l’information et le droit d’exercer leur profession dans un contexte de liberté d’expression et d’action confèrent aux médias comme aux journalistes une grande latitude dans leur travail. À ces droits – comme généralement à tous les droits – sont cependant assorties des responsabilités. Une de ces responsabilités concerne la qualité du produit qui est livré au public, mais une autre responsabilité porte sur la manière d’exercer la pratique journalistique.
Dans le cas soumis à l’attention du Conseil de presse, ce n’est pas le produit diffusé en ondes qui était contesté mais certaines pratiques de collecte d’informations devant conduire à des reportages.
Le Conseil a considéré les arguments du Collège des médecins et partage son avis sur la notion d’espace privé concernant les cabinets de médecins, qu’il s’agisse de la salle d’attente ou du bureau d’examen. De plus, le Conseil de presse ne peut qu’endosser la préoccupation du Collège des médecins de vouloir protéger l’intimité de la clientèle.
Les journalistes doivent s’interdire de recourir aux techniques qui s’apparentent à la violation ou à l’invasion de la vie privée, surtout dans un contexte où les personnes sont en droit de s’attendre à une protection particulière de leur intimité.
Dans leur défense, les mis-en-cause invoquaient que le Conseil de presse n’était pas un comité de discipline. Ils en concluaient qu’il n’avait pas juridiction sur la pratique professionnelle.
Depuis sa création en 1973 le Conseil de presse du Québec a pris position dans un grand nombre de conflits, de controverses ou de disputes dans le domaine de l’information. Dans tous ces cas, le Conseil s’est efforcé de définir, de préciser et d’affirmer les conditions d’exercice de la liberté de la presse dans le respect du droit à l’information.
Le Conseil de presse peut examiner toute situation, tout comportement et toute question touchant l’éthique journalistique, que ce soit en regard du produit ou de la pratique professionnelle.
Par conséquent et pour toutes ces considérations, le Conseil de presse accueille la présente plainte qu’il juge fondée.
Analyse de la décision
- C23 Cueillette de l’information