Plaignant
Clinique du pied Expert-Fit
(Richard H. Ostiguy),MartinEverell,journaliste,
Mis en cause
Le Groupe TVA et émission
J.E., Alain Gazaille, (rédacteur en chef délégué),
Résumé de la plainte
Le plaignant accuse le journaliste
Martin Everell d’avoir délibérément trompé le public en présentant, le vendredi
9 octobre 1998 dans le cadre de l’émission J.E., un reportage contenant
des informations et des témoignages faux ou hors contexte. M. Ostiguy
explique que son entreprise a éprouvé des difficultés » de structures et
de croissance » en juin 1998. Mais qu’au moment de la rencontre avec
le journaliste, le 21 août 1998, son entreprise n’avait plus aucun retard et
avait réglé les plaintes de ses clients. Le plaignant affirme en outre avoir
avisé le journaliste de certaines erreurs flagrantes et avoir demandé au réseau
TVA de voir la cassette avant sa diffusion, afin de pouvoir commenter
certaines parties du reportage, ce qui lui a été refusé.
Griefs du plaignant
Le plaignant dit avoir noté dans le
reportage de quatre minutes, 15 fautes ou tromperies. Il présente une plainte
en 17 points, suivant l’ordre chronologique du reportage.
M. Ostiguy reproche aux
mis-en-cause d’avoir utilisé des documents d’information périmés même après en
avoir été avisés par le plaignant; d’avoir présenté les employés de
l’entreprise comme des vendeurs itinérants et des gens sans formation; d’avoir
visé à faire cesser ses activités en pharmacie; d’avoir donné des informations erronées
concernant la consultation d’un orthopédiste et d’un médecin; d’avoir affirmé
que son entreprise a emprunté et utilisé une technologie sans autorisation; et
également d’avoir mentionné que M. Ostiguy trouve facile de berner les gens. Il
commente ensuite les cas de trois patients insatisfaits, pour tenter de
rétablir la vérité.
Le plaignant poursuit son relevé
des erreurs : utilisation au montage d’images d’un produit de mauvaise qualité
fabriqué par un compétiteur pour illustrer la mauvaise qualité de son propre
produit; présentation de factures estampillées » payé » avec la
mention que la marchandise n’a pas été livrée et qu’elle ne le sera pas;
accusation de poser un diagnostic médical; utilisation du témoignage d’une
ancienne employée, hors contexte et sans fondement.
Le plaignant termine sa série de
griefs, dénonçant le journaliste pour avoir pris au piège un médecin; pour
avoir montré à l’écran une boîte d’orthèses prêtes à être livrées en indiquant
que des clients ne recevront peut-être pas leur marchandise parce que la
compagnie est au bord du gouffre; pour avoir laissé entendre qu’en raison des
difficultés financières de l’entreprise le public devrait faire attention; et
enfin, d’avoir laissé entendre, par la dernière image du reportage, qu’il se
sauve et qu’il en a assez.
Commentaires du mis en cause
M. Alain Gazaille, rédacteur en
chef délégué, rappelle que l’émission J.E. s’inscrit dans la tradition
du journalisme d’enquête et que des émissions de ce type représentent, pour
plusieurs, une dernière ressource pour avoir réponse à un problème donné. Il
ajoute que l’équipe de J.E. a, à ce titre, développé une large expertise
en journalisme d’enquête.
Le rédacteur en chef délégué
précise que le reportage faisait suite à une douzaine de plaintes téléphoniques
concernant la Clinique du pied Expert-Fit. Il répond ensuite, en
reprenant les motifs de plaintes tels qu’énoncés par le plaignant : la carte
d’affaires périmée qui n’aurait pas dû être montrée à l’écran est conforme à la
publicité retrouvée en pharmacie; la notion de vendeur itinérant doit être
prise au sens large de clinique » itinérante « .
Le but du reportage serait
prétendument de faire cesser les activités de l’entreprise dans les pharmacies,
omettant que la clinique opérait aussi dans des cliniques médicales et chez des
chiropraticiens. Pour M. Gazaille, le reportage faisait suite à des plaintes de
consommateurs ayant reçu leurs services en pharmacie. Ne pas traiter de la
pratique en cliniques médicales et chiropratiques relevait du choix rédactionnel.
À l’accusation que le reportage
aurait laissé croire qu’il fallait » absolument consulter un orthopédiste
» le mis-en-cause répond que la question indiquée par le plaignant n’a
jamais été posée au médecin et que rien dans les propos de l’expert consulté
dans le reportage, le Dr Leclerc, n’indique qu’il faut absolument consulter un
orthopédiste.
Il répond aux griefs : » J.E.
nous accuse de ne pas demander l’avis d’un médecin « , » le
journaliste savait que les 2/3 des ventes sont faites en cliniques médicales,
par le médecin « , ce qui ne serait pas conforme à la publicité faisant
état que la plupart des points de vente sont en pharmacie. Pour M. Gazaille,
l’essence du reportage visait à démontrer que certaines personnes ont obtenu
des semelles Expert-Fit sans ou avant d’avoir été vues par un médecin.
Concernant la mention dans le
reportage » d’avoir utilisé une technologie sans permission « ,
M.Gazaille répond aux arguments du plaignant, tout en reconnaissant qu’au
moment du montage, une inexactitude s’est glissée concernant l’identification
de M. Laferrière comme président d’Expert-Fit. Il affirme par ailleurs
que le reproche d’avoir prétendu, lors du reportage, que M. Ostiguy trouvait
» facile de berner les gens » n’est pas conforme au reportage.
Le rédacteur en chef délégué répond
ensuite aux reproches formulés en regard des trois entrevues de clients
insatisfaits et, plus loin, en regard de ceux de l’ex-employée Sylvie Boisvert.
Les deux reproches suivants
concernent la présentation à l’écran d’orthèses non fabriquées par le plaignant
et de factures estampillées » payé « . Dans le premier cas, M.
Gazaille reconnaît que les images utilisées peuvent prêter à confusion, mais
que dans le cas des factures, au moins une cliente, Mme Lechasseur, a reçu une
telle facture sans recevoir ses orthèses.
En réponse à l’accusation d’avoir
laissé croire erronément qu’une vente était faite par une vendeuse itinérante
alors qu’il s’agissait d’une infirmière (caméra cachée), M. Gazaille réitère
ses commentaires sur la notion de vente itinérante et explique que jamais la
dame n’a indiqué qu’elle était infirmière. L’utilisation de la caméra cachée
visait à démontrer qu’on pouvait obtenir les orthèses sans prescription, pour
ensuite aller voir un médecin et, a posteriori, obtenir une
prescription.
En ce qui a trait à la boîte
d’orthèses montrées à l’écran avec la mention que les clients ne recevraient
peut-être jamais le produit compte tenu des problèmes financiers de la
compagnie, M. Gazaille rétorque que jamais dans le reportage il n’est mentionné
que les clients ne recevraient jamais leur orthèse, et que cette compagnie
s’était prévalue de la Loi sur la faillite. Enfin, en ce qui a trait à l’image
du reportage montrant M. Ostiguy sortant du bureau et qui laisserait entendre qu’il
se sauve, le rédacteur en chef délégué répond que l’affirmation est purement
subjective.
M. Gazaille termine ses
commentaires en rappelant les nombreuses plaintes reçues avant et après la
diffusion du reportage, ajoutant que le plaignant avait eu l’occasion de
s’expliquer lors de l’entrevue qu’il a donnée volontairement au journaliste et
que les affirmations contenues dans le reportage sont appuyées sur de nombreux
témoignages et documents.
Réplique du plaignant
M. Ostiguy amorce sa réplique en
soulignant le dommage causé par le reportage à son entreprise et à son réseau
de franchisés, et en donnant des exemples. Il compare ensuite le traitement de
l’émission J.E. avec celui de l’émission La Facture avec laquelle
il a déjà été confronté. Le plaignant rappelle ensuite que douze plaintes pour
3 000 transactions donnent un pourcentage bien en deçà du 8 % habituel dans son
type d’industrie; et qu’il n’a connu aucune poursuite devant les tribunaux,
malgré le volume des transactions et le fait qu’il soit dans le domaine de la
santé.
Il réaffirme que le but visé par le
journaliste était de détruire le réseau de Clinique du pied en pharmacie. Il
précise que sa plainte est faite au nom de tous les franchisés et en son nom
personnel. Il indique que malgré la faillite en octobre 1998 de la Clinique
du pied Expert-Fit, il a déposé personnellement un montant d’argent afin
que tous les franchisés puissent honorer toutes les garanties des clients et
les services d’ajustement en 1999.
M. Ostiguy inclut à sa réplique la
transcription de l’enregistrement de l’entrevue qu’il a effectuée avec le
consentement de M. Everell.
Le plaignant reprend ensuite une à
une les 17 réponses du mis-en-cause pour tenter de les réfuter à son tour.
Il apporte des précisions sur
l’utilisation des dépliants et notamment sur le nom Amex; il conteste
l’exactitude du terme » itinérant » utilisé dans le reportage; il
ajoute que le fait d’avoir caché au public que 75 % des transactions ont lieu
en clinique fait qu’on trompe délibérément le public.
Le plaignant affirme que le
journaliste a tout fait pour que le docteur Leclerc » nous traite de
fraudeur à l’écran « ; et qu’en plus, ce médecin est lui-même en conflit
d’intérêts » puisqu’il opère un laboratoire qui nous fait compétition « .
En ce qui a trait à l’accusation de ne pas demander l’avis d’un médecin, le
mis-en-cause qualifie ces propos de mensongers et calomnieux.
À l’accusation d’avoir emprunté une
technologie sans autorisation, le plaignant tente de démontrer que la marque de
commerce Expert-Fit appartient à la société Semap. Il accuse les
mis-en-cause de représenter les intérêts de l’entreprise Ergorecherches.
En ce qui a trait aux plaintes des
patients, le plaignant indique qu’il avait convenu avec le journaliste que les
cas individuels seraient traités un à un, ce qui n’a pas été fait, lui enlevant
ainsi la possibilité de répondre adéquatement. De plus, ces entrevues
contenaient des inexactitudes. Il en est de même pour le témoignage de
l’ex-employée, Mme Boisvert.
L’illustration des problèmes de
qualité au moyen des orthèses bleues abîmées, fabriquées par un concurrent, lui
apparaît comme un manque flagrant d’intégrité. Concernant les factures
estampillées » payé « , M. Ostiguy invoque que la cliente a fourni un
reçu pour un dépôt et non une facture payée. L’émission J.E. aurait
également trompé le public en montrant des factures estampillées et en
indiquant que les patients n’avaient jamais reçu leurs orthèses. De plus,
concernant les deux boîtes d’orthèses à livrer, il réaffirme qu’il est
clairement indiqué dans le reportage que les clients ne les recevraient
peut-être jamais.
Quand l’émission J.E. accuse
les plaignants de poser un diagnostic sans être habilités pour le faire, leur
pratique actuelle serait tout à fait permise et réglementaire. Par ailleurs, en
laissant entendre que l’entreprise était en difficultés financières, les
mis-en-cause auraient nui à une entente concordataire imminente.
Pour ce qui est de la dernière
image du reportage, montrant le plaignant en train de sortir du bureau,
celui-ci réaffirme qu’elle a été placée ainsi pour tromper le public.
Analyse
Le Conseil de presse a pour champ d’intérêt la liberté de presse et le droit du public à l’information. Les plaintes qu’il examine relèvent de l’éthique journalistique. L’étude de la présente plainte vise donc à préciser si, dans le présent cas, le traitement journalistique effectué dans le cadre du reportage diffusé par l’émission J.E. a été fait dans le respect des règles professionnelles.
Dans le cas présent, il est apparu légitime, aux yeux du Conseil, que l’émission J.E. se soit intéressée à l’entreprise la Clinique du pied Expert-Fit et se soit interrogée sur la qualité des services dispensés aux clients. Les plaintes reçues par J.E., l’approche de vente par des cliniques temporaires en pharmacie, le protocole de diagnostic a posteriori conduisant à la fourniture d’orthèses, les nombreux retards accumulés, la demande de protection sous la Loi sur les faillites sont autant de faits troublants qui justifiaient qu’une émission comme J.E. s’intéresse au cas de cette entreprise.
Au cours de l’examen de la plainte, le Conseil a constaté que la majeure partie des arguments invoqués par le plaignant ne pouvaient être retenus, notamment en ce qui a trait à l’intention du journaliste et de l’émission d’avantager un concurrent en prenant partie contre lui et en tentant de lui nuire. Le Conseil ne retient pas non plus les griefs visant à faire du président de l’ordre des orthopédistes du Québec une victime piégée par J.E.
En revanche, deux autres éléments ont retenu l’attention du Conseil en ce qui a trait au traitement de l’information : l’exactitude de l’appellation » vendeurs itinérants « qui, dans le contexte, donne une image péjorative et réductrice des employés de l’entreprise; et le fait d’avoir utilisé le produit d’un commerce concurrent pour illustrer la piètre qualité de son produit.
Hormis ces réserves, le Conseil de presse rejette sur le fond la plainte de M. Ostiguy.
Analyse de la décision
- C03B Sources d’information
- C03C Sélection des faits rapportés
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11G Rapporter des propos/témoignages erronés
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C17E Attaques personnelles
- C17H Procès par les médias
- C22C Intérêts financiers
- C22F Liens personnels
- C22H Détourner la presse de ses fins
- C23D Tromper sur ses intentions