Plaignant
Mme Anne-Marie Simard
Mis en cause
M. Guy Roy, journaliste et Le Journal de Montréal, (Paule Beaugrand-Champagne, rédactrice en chef); LeDroit (Pierre Bergeron, président et éditeur); Hugo Dumas, journaliste et La Presse (Claude Masson, vice-président et éditeur adjoint); Radio-Nord (CHOT-TV, Jean-Claude Surprenant, directeur de l’information); CJRC-AM (Pierre Lindley, directeur de l’information)
Résumé de la plainte
Le 26 octobre 1998, plusieurs médias rapportent le meurtre d’André Simard, cousin de la plaignante. Mme Anne-Marie Simard, qui est elle-même journaliste, a recensé les reportages relatant l’affaire et se dit choquée du manque d’impartialité et de professionnalisme dont ont fait preuve certains de ses collègues dans le traitement médiatique.
La plaignante indique qu’à part les trois membres de la famille de l’accusé, personne d’autre n’était présent sur les lieux du drame; et que, par conséquent, la version des événements transmise à la police est celle de l’accusé et de sa famille.
Griefs du plaignant
1. LE CAS DU JOURNAL DE MONTRéAL :
La plaignante dénonce, en premier lieu, le traitement du journaliste Guy Roy du Journal de Montréal. Mme Simard lui reproche d’avoir endossé aveuglément la position de l’accusé, allant même jusqu’à prendre partie en sa faveur. Selon Mme Simard, le titre choisi manquerait d’objectivité, et l’article renfermerait une grossière erreur de fait, celle d’avoir affirmé sans preuve que la victime était un « malotru harceleur ».
Le journaliste Roy aurait ajouté la négligence à la mauvaise foi en indiquant que l’accusé avait tiré une balle dans la poitrine de la victime alors que l’enquêteur de la Sûreté du Québec aurait indiqué à Mme Simard que c’est dans le dos qu’il aurait reçu des coups de feu. La plaignante en conserve donc une impression d’insouciance, de mépris du lectorat et de désinformation.
2. LE CAS DU JOURNAL LEDROIT D’OTTAWA :
Le second média visé est le quotidien LeDroit. L’article mis en cause est paru le 4 novembre 1998, en page 13, mais n’est pas signé. La plaignante reproche à l’auteur d’avoir fait preuve de manque de rigueur et de laxisme en mettant dans la bouche de l’enquêteur des paroles qui seraient, en fait, celles de l’accusé mais rapportées par le policier. Dans une conversation avec la plaignante, l’enquêteur Christian Plourde aurait infirmé certaines affirmations concernant le déroulement probable des événements.
3. LES CAS DU JOURNAL LA PRESSE ET DES STATIONS CHOT-TV ET CJRC-AM:
Les trois autres médias visés sont La Presse, Radio-Nord (CHOT-TV) et CJRC-AM. La journaliste plaignante leur reproche « une faute fondamentale dans la pratique du métier, bien que beaucoup moins grave, celle de ne pas avoir utilisé le conditionnel, comme il se doit quand l’action décrite est hypothétique ». La plaignante explique qu’en déposant ces plaintes, elle visait à la fois la réhabilitation de la mémoire de son cousin et la dénonciation du laxisme et du manque d’éthique qui guettent les médias québécois.
Commentaires du mis en cause
1. Commentaires de la rédactrice en chef Paule Beaugrand-Champagne et du journaliste Guy Roy pour Le Journal de Montréal :
Les mis-en-cause affirment que les renseignements publiés le 28 octobre leur ont été fournis par le relationniste de la Sûreté du Québec et reposaient sur certains faits connus qui donnent de la victime une image différente de celle qu’en rapporte la plaignante : quelques semaines avant le meurtre, André Simard aurait rencontré Philippe Hamel et son fils Michel dans un stationnement, à Duhamel, et il les aurait attaqués à coups de poing; au moment du drame, la SQ venait de terminer son enquête et s’apprêtait à recommander au procureur de la Couronne de déposer des accusations de voies de fait contre André Simard; celui-ci serait entré par effraction dans la demeure des Hamel et aurait attaqué Philippe et Simon Hamel à coups de poing avant d’être atteint d’une balle au thorax.
Les mis-en-cause disent comprendre la douleur de la plaignante devant le drame qui concerne un homme qu’elle a connu sous un autre jour, mais récusent le grief de ne pas avoir rapporté des faits qui n’étaient pas encore connus le 27 octobre. Ils conviennent enfin que l’expression « malotru harceleur » est sans doute déplacée dans le contexte, et qu’ils auraient dû utiliser le conditionnel dans la description des événements rapportés par la police.
2. Aucun commentaire du quotidien Le Droit.
3. Pour La Presse, commentaires du journaliste Hugo Dumas et du vice-président et éditeur adjoint Claude Masson :
Au reproche de ne pas avoir utilisé le conditionnel dans son article, le journaliste répond qu’il n’avait aucunement l’intention de présumer des actions de M. Simard ou d’entacher sa réputation. Il voulait simplement rapporter fidèlement l’information fournie par l’agent de la Sûreté du Québec à Hull, Gilles Couture.
Le vice-président confirme que La Presse appuie l’argumentation déposée par son journaliste.
Pour la station Radio-Nord (CHOT-TV), commentaires du directeur de l’information, Jean-Claude Surprenant :
M. Surprenant répond qu’il ne garde pas les rubans d’archivage plus de 30 jours et que par conséquent, il n’a plus de copie du bulletin de 12h15 du 27 octobre. Le reporter étant en direct, il n’a pas non plus le texte de son intervention. Il inclut cependant copie du bulletin de 18h en indiquant que l’utilisation du conditionnel y est omniprésente.
Pour la station CJRC-AM, commentaires du vice-président, planification, Michel Arpin :
M. Arpin indique que la station CJRC-AM ne peut fournir une copie du ruban témoin, la lettre du Conseil lui étant parvenue le jour même de la limite de conservation de 28 jours que requiert le règlement du CRTC. Il inclut cependant copie du texte du reporter Louis-Philippe Boulé utilisé lors de la diffusion de la nouvelle le 30 octobre, au bulletin de nouvelles de 12h15.
En ce qui regarde le grief d’avoir utilisé le présent plutôt que le conditionnel, pour décrire l’événement, le mis-en-cause reconnaît que « le texte de continuité montre l’utilisation de l’imparfait plutôt que le présent ». Il fait également observer que le paragraphe précédent fait usage du conditionnel en ce qui regarde le présumé meurtrier, et qu’à son avis l’intention du journaliste était alors de faire usage du conditionnel. Par conséquent, il pense que le Conseil ne devrait retenir aucun blâme contre le journaliste et la station.
Réplique du plaignant
1. Au Journal de Montréal :
Des commentaires de la rédactrice en chef et du journaliste du Journal de Montréal, la plaignante conclut à un manque de distance critique du journaliste Guy Roy envers les représentants de la Sûreté du Québec. Elle y voit un signe de paresse intellectuelle et de connivence tacite entre ce corps policier et le quotidien. Elle apprécie que le Journal de Montréal reconnaisse comme « déplacée dans le contexte » l’utilisation de l’expression contestée, mais décide de maintenir sa plainte.
2. Au quotidien Le Droit :
Aucune réplique n’a été soumise.
3. à La Presse et les stations CHOT-TV ET CJRC-AM :
Aucune réplique n’a été soumise.
Analyse
La présomption d’innocence est un principe reconnu non seulement par la déontologie professionnelle mais également par notre système de justice et par notre société dans son ensemble.
Par conséquent, dans leur pratique quotidienne, les médias et les journalistes doivent se faire un devoir d’y souscrire sans réserve.
L’application de ces principes emprunte cependant des voies qui ne tiennent pas seulement compte des mots utilisés mais de l’esprit dans lequel s’exerce le métier de journaliste. En pratique, il ne suffirait pas d’utiliser le mode conditionnel dans un reportage pour être à l’abri de toute atteinte à la réputation d’une personne. Non plus qu’il est nécessaire d’utiliser ce mode de la langue française pour présenter comme hypothétiques les motifs et les circonstances d’actes qui seront portés devant la justice.
Dans les reportages des cinq dossiers soumis à l’attention du Conseil de presse, force est de constater que même si certains verbes n’étaient pas toujours conjugués au conditionnel, le contexte général de la présentation de chacun des reportages laissait clairement entendre que les circonstances du meurtre d’André Simard faisaient encore l’objet d’examen et que personne n’avait été désigné responsable ou condamné.
Mais on pouvait également comprendre qu’il y avait eu meurtre, que ce meurtre avait été précédé de violence et que cette violence mettait en cause les personnes concernées dans le présent cas.
Décision
Après examen de ces cinq dossiers, le Conseil décide de ne retenir aucun grief concernant l’atteinte à la présomption d’innocence que dénonçait la plaignante, non plus que des pratiques journalistiques déficientes. En conséquence, le Conseil de presse rejette les plaintes contre les quotidiens LeDroit, La Presse, et les stations Radio-Nord (CHOT-TV) et CJRC-AM.
Quant au Journal de Montréal, qui reconnaissait qu’une expression malheureuse dépassait le cadre souhaitable d’un article sans reproche, le Conseil ne peut qu’accueillir la plainte.
Analyse de la décision
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11F Titre/présentation de l’information
- C12A Manque d’équilibre
- C12D Manque de contexte
- C13A Partialité
- C13C Manque de distance critique
- C15A Manque de rigueur
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C15C Information non établie
- C15D Manque de vérification
- C15E Fausse nouvelle/information