Plaignant
Syndicat de l’enseignement de
l’Estrie (Ghislain Lallier, président)
Mis en cause
Michel Rondeau, journaliste, et La
Tribune (Jacques Pronovost, rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
La plainte concerne des événements
survenus entre les 13 et 19 novembre 1998. Le président du Syndicat de
l’enseignement de l’Estrie (SEE) dénonce la partialité de l’information publiée
dans le quotidien La Tribune de Sherbrooke, plus particulièrement lors
de la couverture de quatre événements. Le Syndicat estime qu’il n’a pas
bénéficié d’un traitement de l’information juste et honnête.
Griefs du plaignant
La première dénonciation concerne
la couverture d’une conférence de presse le 12 novembre. Le plaignant reproche
aux mis-en-cause d’avoir ajouté au contenu du communiqué publié le lendemain,
un texte accordant à un enseignant unique, M. Yves Nadon, la même plate-forme
qu’au représentant dûment mandaté par un groupe d’enseignants.
De plus, il considère tout à fait
gratuite l’affirmation selon laquelle la position du SEE est conforme à celle
de la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) » mais qu’elle commence à
se fissurer « . En réaction à cet article, le plaignant expédie le même
jour (vendredi) par télécopieur une lettre ouverte, qui ne paraîtra pas dans
l’édition du lendemain. Le lundi 16 novembre, communication téléphonique entre
M.Lallier et le journaliste, M. Michel Rondeau. Le lendemain, on trouve
en page A-11 du quotidien un article sur le sujet. Lors de l’entretien, le
journaliste indiquait également au plaignant que sa lettre ouverte n’avait pu
être publiée, faute d’espace.
Second élément : dans la même
édition de mardi 17 novembre, le journal publie en page A-1 un article avec
photo couleur et grand titre affirmant » gratuitement et faussement «
que la CEQ n’a jamais parlé d’échelle unique au moment où elle a organisé sa
grande manifestation à Québec.
Troisième élément : publication
dans l’édition du 18 novembre d’un article où la CEQ est citée. L’article se
termine par un paragraphe concernant des dissidents de l’École
Notre-Dame-du-Rosaire qui tiendront une contre-manifestation. Le plaignant,
insatisfait, dénonce l’acharnement du quotidien à donner une place importante à
quelques personnes, par rapport à une organisation de 3000 personnes. Il
en conclut ainsi que le quotidien est partial.
Dans la même édition du 18 novembre
paraît un éditorial, signé Michel Morin, intitulé « L’hérésie de la
CEQ « . Tout en reconnaissant à l’éditeur le droit d’exprimer son opinion,
le plaignant s’interroge sur la publication de cet éditorial quand un texte
précisant certains éléments du dossier est disponible à la salle de rédaction
depuis le 13 novembre.
Quatrième élément : l’édition du 19
novembre. Au lendemain d’une importante » journée d’étude », le
plaignant conteste la couverture médiatique « presque inexistante
» de la participation de ses membres aux lignes de piquetage, alors que
près de la moitié de l’article relate une rencontre avec le député de la circonscription
Jean Charest, en campagne électorale dans son comté. Le plaignant relève au
passage que M. Rondeau est conscient de l’insatisfaction des syndiqués à
l’égard du traitement journalistique, puisqu’il le mentionne dans son article.
Le même jour, la lettre ouverte du plaignant acheminée le 13 novembre paraît
finalement.
Le plaignant ne comprend pas que
les réactions de M. Nadon, l’enseignant dissident, se retrouvent à l’intérieur
de textes écrits à la suite de communiqués issus de son syndicat. Il ne
s’explique pas non plus le déséquilibre apparent dans le traitement de
l’information et les délais de publication des clarifications qu’il a fait
parvenir au journal.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du rédacteur en chef
Jacques Pronovost :
M. Pronovost rappelle que la
plainte porte sur le caractère soi-disant » partial » de la
couverture des événements survenus entre les 13 et 19 novembre 1998 et sur ses
choix éditoriaux. Le rédacteur en chef s’étonne de ce que le SEE interprète
ainsi les intentions de son journal et ne respecte pas les critères
d’indépendance, d’honnêteté et de recherche exercés par M.Rondeau.
M.Pronovost souligne que le SEE a été assez privilégié, dans le passé,
par l’accès et l’espace qui lui ont été accordés pour des opinions et prises de
position, et pour des critiques à l’égard de la presse.
M. Pronovost répond ensuite aux
arguments du plaignant. Le journaliste n’a fait que compléter la livraison de
ses informations en y ajoutant une autre version, et c’est là le travail d’un
journaliste. Il s’étonne que le SEE semble insinuer que le journaliste doit
être le porte-voix de la position officielle du syndicat. Selon lui, le travail
de journaliste consiste à donner la parole aux sans-voix autant qu’aux
organismes structurés, ce que le journaliste a fait.
Concernant la publication de la
réplique du Syndicat dès sa réception, M. Pronovost répond que la nature que ce
type de texte ne répond pas aux mêmes critères d’urgence que les nouvelles
d’actualité, et que c’est déjà un privilège pour les organismes de pouvoir s’exprimer
sans que les informations soient mises en contexte. M. Pronovost expose ensuite
en détail les contraintes qui ont conduit à ne publier que le jeudi 19 novembre
la réplique du syndicat au professeur dissident.
Au reproche d’avoir accordé
préséance aux propos de M. Nadon, le rédacteur en chef répond que ce choix est
une prérogative d’un média d’information, qui n’appartient qu’à lui. Au
reproche de partialité à cause d’un complément d’information rédigé par le
journaliste pour situer la contestation des dissidents, le rédacteur en chef
répond en reprenant les arguments utilisés au premier point, sur la livraison
complète des informations.
M. Pronovost explique ensuite le
choix éditorial du mercredi 18 novembre contesté par le plaignant. Il termine en
disant ne pas partager la vision du plaignant sur l’allégation de partialité et
sur sa vision » étriquée du traitement de l’information dans les médias
publics « .
Commentaires du journaliste Michel
Rondeau :
Le journaliste reprend un à un les
griefs du plaignant. Au reproche d’avoir mentionné que la position du SEE était
contestée par un enseignant unique et de lui avoir donné la même plate-forme
qu’au président du syndicat, M. Rondeau estime qu’il était de son devoir de
procéder ainsi, si cela pouvait clarifier les enjeux. Le journaliste indique
ensuite les démarches de vérification faites, en réponse aux allégations que
ses affirmations seraient gratuites.
Pour ce qui est de la lettre
ouverte du SEE, il indique que cette matière relève des responsables de la
rédaction. Il en est de même pour l’ordre de priorité pour la publication des
textes qu’il a rédigés. Il donne tout de même des explications détaillées sur
les choix et l’utilisation de la couleur.
Au sujet de la documentation
prouvant que la CEQ avait déjà parlé d’échelle unique et que le journal aurait
reçue antérieurement, M. Rondeau estime que cette information n’apparaissait
pas aussi claire que le SEE l’estimait. M. Lallier a pu clarifier ce point en
entrevue et l’information a paru dans un article publié le 18 novembre. Quant à
la mention de la dissidence à l’école Notre-Dame-du-Rosaire, le journaliste la
considère comme un suivi normal des nouvelles précédentes. Il ajoute des
explications sur le choix éditorial concernant l’espace accordé à Jean Charest,
et rappelle que le choix des photos relève de la rédaction.
M. Rondeau termine en indiquant que
ce n’est pas la conscience de l’indignation des enseignants qui l’a amené à
traiter des blâmes formulés contre le journal, mais parce que c’est un fait
entendu durant la manifestation qu’il a rapporté, preuve de son impartialité.
Réplique du plaignant
M. Lallier réitère que sa plainte
porte exclusivement sur le volet de la partialité de l’information. Il
réaffirme reconnaître, et avoir toujours reconnu, la liberté d’opinion que
possède un éditeur.
Le plaignant signale également que,
conscient des inconvénients que pouvaient causer à la population la
manifestation du 17 novembre, le SEE a agi en organisme responsable en informant
le journaliste. Le plaignant réplique ensuite au rédacteur en chef sur la
notion de » vision étriquée du traitement de l’information », en
affirmant qu’en aucun moment il n’a insinué ou indiqué une vision étriquée. Par
conséquent, il considère ces affirmations gratuites et non fondées.
Le plaignant conteste enfin les
raisons invoquées par M. Pronovost pour publier la lettre ouverte (reçue le 13
novembre) dans l’édition du jeudi 18 novembre suivant seulement.
Analyse
L’information communiquée au public fait nécessairement l’objet de choix rédactionnels et subit un traitement journalistique. Or, ces choix et ce traitement, de même que la façon de présenter l’information, relèvent du jugement et des prérogatives des médias et des professionnels de l’information.
Nul ne peut s’attendre à ce qu’un média soit le reflet intégral de sa pensée et de ses prises de position, comme peut le faire le bulletin de liaison d’un organisme. Une telle conduite équivaudrait à dicter à la presse le contenu de l’information, l’exposant ainsi éventuellement à faire de la censure ou à orienter l’information.
Dans le cas soumis à l’attention du Conseil de presse, le motif principal invoqué par le plaignant concernait la partialité dont aurait fait preuve le quotidien La Tribune. Partialité dans le traitement de l’information et retard dans la publication d’une lettre aux lecteurs apportant des précisions sur la position du Syndicat de l’enseignement de l’Estrie en regard de l’échelle unique de la CEQ.
Le quotidien avait le droit légitime de faire les choix rédactionnels qui lui apparaissaient les plus conformes aux faits et les plus adéquats pour bien informer le public, y compris de donner dans ses articles la contrepartie de la position officielle du SEE.
De plus, la lettre ouverte du Syndicat a été publiée moins d’une semaine après avoir été soumise au journal, ce qui, dans les circonstances expliquées par le rédacteur en chef représente, aux yeux du Conseil, un délai raisonnable et n’indique aucune intention de retenir indûment l’information.
Enfin, en ce qui concerne la rigueur et l’exactitude de l’information, le Conseil ne partage pas la vision de partialité exposée dans la plainte. Une dissidence à sa position, si minime soit-elle aux yeux du plaignant, avait déjà été exprimée sur la place publique. Quant aux précisions du syndicat sur la controverse au sujet de « l’échelle unique « , celles-ci ont pu être exposées dans un délai raisonnable dans un article du quotidien, et par la publication de la réplique du Syndicat dans la section réservée aux lecteurs.
Pour ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte du Syndicat de l’enseignement de l’Estrie contre le quotidien La Tribune.
Analyse de la décision
- C01B Objection à la prise de position
- C02A Choix et importance de la couverture
- C02B Moment de publication/diffusion
- C03A Angle de traitement
- C03D Emplacement/visibilité de l’information
- C07C Entrave à la diffusion d’un communiqué
- C08C Délai de publication
- C09B Droit de réponse insatisfaisant
- C12A Manque d’équilibre
- C15C Information non établie
- C15D Manque de vérification