Plaignant
Jacques Bellemare, avocat
Mis en cause
Martine Biron, journaliste et
Émission Montréal Ce soir (Société Radio-Canada, Jean Pelletier,
directeur des nouvelles télévisées)
Résumé de la plainte
La plainte concerne un reportage
présenté le 6 octobre 1998, à 18 h 00, à l’émission Montréal Cesoir.
Le reportage portait sur les honoraires payés à des avocats ayant représenté
des participants à la Commission d’enquête Poitras.
Le plaignant considère les propos
de la journaliste calomnieux et contraires aux règles de l’éthique des
journalistes, et de nature à nuire à sa réputation.
Griefs du plaignant
Le plaignant considère les propos
de la journaliste calomnieux et contraires aux règles de l’éthique des journalistes,
et de nature à nuire à sa réputation. Me Bellemare reproche à Mme Biron d’avoir
affirmé, sans explications, qu’on a payé au plaignant des honoraires de 191 000
$ pour un mémoire de trois pages. Cette information a eu pour effet de
l’exposer à des réactions négatives dans son univers professionnel, alors qu’il
avait agi selon le mandat de ses clients.
Le plaignant estime que la
journaliste a agi ainsi pour se venger de plaintes qu’il avait faites contre
elle lors d’un rapport sur les pratiques policières au Québec en 1996. Me
Bellemare expose ensuite le mandat qui lui avait été donné par ses clients et
réitère que c’est selon leurs instructions qu’il a déposé un court mémoire
devant la Commission. Il ajoute qu’il était le représentant de ses clients et
non l’avocat de la Commission ou du Procureur général, et que le remboursement
par le Ministère de la Justice n’altérait pas ce lien.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du directeur des
nouvelles télévisées Jean Pelletier :
M. Pelletier explique que les frais
élevés de la Commission Poitras – plus de 8 millions – justifient que l’on
s’intéressât à ce dossier. Il ajoute que les honoraires du plaignant ayant été
de 191 000 $, » il allait de soi que pour les non initiés, la facture
semblait corsée « . Tout en disant comprendre l’agacement du plaignant, le
directeur des nouvelles télévisées ne partage pas sa conclusion voulant qu’il y
ait eu de la part des mis-en-cause une intention délibérée de l’embarrasser ou
encore de mettre en doute son intégrité ou sa compétence. Le terme «
mémoire » a été » donné par le secrétariat de la Commission Poitras
» à la journaliste qui a également relevé les honoraires des autres
avocats impliqués dans les travaux de la Commission. Le directeur des nouvelles
télévisées regrette le désenchantement qu’a pu causer le reportage, affirmant
que nul ne peut mettre en doute l’immense contribution de Me Bellemare au droit
et à l’exercice du travail policier.
Commentaires de la journaliste
Martine Biron :
Mme Biron précise d’abord que
l’objectif de son reportage était » d’informer l’opinion publique sur les
coûts reliés à la tenue d’une telle commission d’enquête « , et expose la
structure de son reportage pour situer les éléments factuels rapportés. Elle
fait ensuite valoir ses arguments explicatifs, réaffirme l’intérêt public de
son reportage et précise qu’elle a obtenu les renseignements de la Commission
d’accès à l’information.
Elle souligne également qu’aucun
des éléments factuels rapportés n’est contesté par Me Bellemare dans le cadre
de sa plainte. De plus, le reportage ne présente pas le cas du plaignant de
façon isolée et rappelle qu’elle a traité des honoraires de neuf avocats
représentant des individus et de six autres chargés de mandats de surveillance.
Mme Biron ajoute que le reportage ne porte aucune forme de jugement sur la
qualité professionnelle du travail exécuté par le plaignant, non plus que sur
sa stratégie juridique; on n’y trouve aucune allusion, de façon directe ou
indirecte, à quelque volonté de la part de Me Bellemare pouvant être assimilée
à une intention malveillante. La journaliste rappelle que dans l’ouverture du
reportage elle indiquait que les avocats étaient généralement présents aux
audiences, certains avocats étant très actifs alors que d’autres l’étaient moins.
Elle a choisi d’expliquer ce qu’était un mandat de surveillance et cela, par
des exemples ou des faits observés sur le terrain. Elle donne l’exemple de
trois autres avocats ayant obtenu des mandats de surveillance qui faisaient
autre chose durant les audiences ou qui étaient souvent absents.
Mme Biron indique que la
description du travail de Me Bellemare concluait l’analyse des mandats des
autres avocats et qu’elle ne visait nullement à dénaturer ou ridiculiser son
travail. Elle précise que le plaignant reconnaît qu’il avait bel et bien un
mandat de surveillance, que ses clients n’avaient pas été requis de
comparaître, qu’aucun de ses clients n’a été mis en cause par les témoignages
entendus et qu’ils n’étaient pas visés par le décret créant la Commission. La
journaliste insiste sur le fait que l’exemple du mandat de Me Bellemare faisait
suite, dans le reportage, aux exemples précédents. Les mots et les informations
diffusés venaient illustrer le mandat de Me Bellemare à la Commission Poitras.
Mme Biron réaffirme que Me
Bellemare a agi conformément à son mandat qui a été effectué dans le cadre des
droits prévus par la loi. Elle reconnaît, à l’instar du Premier ministre du
Québec, le lendemain du reportage, qu’une commission d’enquête avait un prix. Mais
si la justice a son prix, il est du mandat premier des entreprises de presse
d’expliquer où et comment se dépensent les deniers publics.
La journaliste affirme enfin que la
forme et le contenu du reportage ne dérogent en aucune façon aux normes et
pratiques en vigueur à la SRC et qu’elle est attristée par le fait que Me
Bellemare puisse penser qu’elle a agi par vengeance. Elle ajoute que Me
Bellemare mérite tout son respect pour ses connaissances, sa compréhension et
ses travaux qui méritent une pleine et entière considération.
Réplique du plaignant
Le plaignant n’a présenté aucune
réplique
Analyse
L’information communiquée au public fait nécessairement l’objet de choix rédactionnels et subit un traitement journalistique. Or, ces choix et ce traitement, de même que la façon de présenter l’information, relèvent du jugement et des prérogatives des médias et des professionnels de l’information.
Le reportage soumis à l’examen du Conseil de presse visait à démontrer que la Commission Poitras avait coûté cher au public et avait été profitable pour les avocats qui avaient eu à y travailler. L’exposé succinct – de deux minutes dix secondes – des coûts généraux et des honoraires versés aux 15 procureurs ne faisait pas l’analyse du travail de chacun. Il ne permettait pas non plus des explications détaillées de chacun des cas.
Le reportage ne prétendait pas pour autant que les sommes versées l’avaient été de façon abusive. De plus, la place qu’occupait la portion consacrée au plaignant ne présentait aucune disproportion dans le contexte. Elle arrivait au douzième rang de présentation et les sommes impliquées étaient inférieures à la majorité des montants mentionnés pour ses collègues. De plus, on ne pouvait y observer aucune inexactitude ni erreur sur les faits.
Le reproche du plaignant était à l’effet que l’information était calomnieuse et de nature à nuire à sa réputation. Le Conseil de presse a considéré que même si l’information était incomplète aux yeux du plaignant, elle n’avait pas la portée qu’il semble lui attribuer dans les circonstances. De plus, le Conseil n’a rien relevé dans le reportage qui indique chez la journaliste une intention de nuire ou de se venger du plaignant.
Pour ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte de Me Jacques Bellemare contre la journaliste Martine Biron, et l’émission Montréal Ce soir de la Société Radio-Canada.
Analyse de la décision
- C03C Sélection des faits rapportés
- C12B Information incomplète
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17G Atteinte à l’image