Plaignant
Richard B. Holden
Mis en cause
Diane Francis, chroniqueuse et
The National Post (Kenneth Whyte, éditeur )
Résumé de la plainte
Richard B. Holden porte plainte
contre la chroniqueuse Diane Francis suite à un article publié le 10 décembre
1998, dans le journal The National Post. Le plaignant reproche à Mme
Francis des commentaires qu’il estime faux, dérogatoires et antidémocratiques,
contenus dans son article intitulé » Separatists should not own newspapers
« .
Marcel Raymond appuie la démarche
du plaignant auprès du Conseil de presse et de l’éditeur du National Post,
Kenneth Whyte. Selon lui, » la liberté de presse ne permet pas la
diffamation « .
Griefs du plaignant
Le plaignant reproche à la
mise-en-cause d’avoir affirmé dans sa chronique que:
» The late Pierre Péladeau
was not fit to own a newspaper chain « .
» … separatists have
absolutely no business buying media properties and if proven, their goods
and services should be boycotted by advertisers and readers « .
» Quebecor publishes truly
trashy tabloids like the Journal de Montréal and Journal de
Québec for people who move their hips (sic) when they read. Even less
redeeming is the fact these newspapers have no opinion pages or
hard-hitting columnists with credibility « .
» If Quebecor wins, the Sun’s
management will be, like Preston Manning, taking French lessons « .
» And to me, there is
nothing wrong with money. But there is something wrong with separatists
owning newspapers « .
Pour le plaignant, » these statements are false, diffamatory,
spiteful, anti-democratic and contemptuous of the law, the history of Quebec
and the right of every citizen, (enshrined by the Supreme Court of Canada), to
support and promote sovereignty for Quebec « .
En réponse aux critiques soulevées
par Mme Francis, Richard B. Holden rappelle que Pierre Péladeau était non
seulement à la tête d’un empire économique diversifié, mais qu’il était un
entrepreneur haut en couleur, reconnu pour sa générosité, sa présence d’esprit
et son appui aux arts.
» To suggest that he, or any other citizen who endorses Quebec
independence, is not fit to own a newspaper is patently perverse and
unacceptable « .
Le plaignant reproche aussi à la
mise-en-cause son mépris pour plus d’un demi-million de Québécois qui lisent le
Journal de Montréal et le Journal de Québec, et son ignorance du
fait que des chroniqueurs de première qualité oeuvrent dans ces quotidiens.
» Men like Michel C. Auger, Normand Girard and Franco Nuovo write
regular columns and are amongst the best in Canada « .
Pour ces raisons, le plaignant
demande au Conseil de presse de blâmer Madame Francis et son employeur, pour
usage abusif de la prérogative de la chroniqueuse à exprimer ses opinions.
Commentaires du mis en cause
La mise-en-cause n’a pas donné
suite à la correspondance du Conseil de presse.
Réplique du plaignant
Le plaignant maintient sa plainte.
Analyse
Diane Francis est chroniqueuse à la section financière du National Post.
Le Conseil rappelle à ce propos que la chronique et la critique sont des genres d’information qui laissent à leurs auteurs une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue et de leurs jugements. Ils permettent aux journalistes qui les pratiquent d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, ce qu’ils peuvent faire dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire.
Dans le présent cas, la position de Mme Francis est claire. Elle se prononce contre le fait qu’un individu favorable à la souveraineté du Québec, ou ses fils, puisse posséder des journaux au Canada. Or, malgré le caractère négatif des propos de Diane Francis à l’endroit de Pierre Péladeau, le Conseil de presse considère que la mise-en-cause est demeurée à l’intérieur des limites permises par le genre journalistique.
Le Conseil note toutefois qu’il se dégage, de l’ensemble des propos de Mme Francis vis-à-vis les francophones du Québec, une impression générale défavorable; ces propos sont porteurs d’une connotation haineuse.
Les médias et les professionnels de l’information, faut-il le souligner, doivent éviter de cultiver et d’entretenir les préjugés; leur devoir est plutôt de contribuer à les dissiper.
En conclusion et en regard de ces considérations, le Conseil de presse rejette la plainte contre Mme Francis et The National Post eu égard aux principes de liberté d’expression et d’opinion, les invitant à l’avenir, en contrepartie, à être sensibles et attentifs à tout propos pouvant être porteur de connotation haineuse.
Analyse de la décision
- C18A Mention de l’appartenance
- C18B Généralisation/insistance indue
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C18D Discrimination
Date de l’appel
5 May 2000
Décision en appel
Les membres de la Commission en sont
venus unanimement à la conclusion qu’il convenait d’infirmer la décision rendue
en première instance par son Comité des plaintes et d’éthique. La décision de
la Commission d’appel repose sur la base suivante :
Il est vrai, comme l’a souvent
rappelé le Conseil de presse, que la liberté d’expression attribuée aux
citoyens par la Charte universelle des droits de l’homme, la charte canadienne
des droits et libertés et la Charte québécoise des droits et libertés de la
personne confère aux journalistes qui signent des chroniques et des critiques
dans les médias une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue.
Ceux-ci, plus encore que les éditorialistes et les analystes (appelés surtout à
faire connaître les positions de leurs entreprises de presse), engagent leur
responsabilité personnelle et n’hésitent pas à dénoncer avec vigueur les idées
et les actions qu’ils réprouvent, à fustiger impitoyablement les individus
qu’ils en tiennent responsables.
C’est pourquoi, même jugés
excessifs ou injustes par beaucoup de lecteurs qui portent plainte au Conseil
de presse, ces articles d’opinion, chroniques, éditoriaux, textes polémiques,
billets ne sont pas pour autant condamnés par le Conseil de presse du Québec,
qui se borne le plus souvent à en déplorer les excès. Cette liberté, quant au
fond et à la forme, est aujourd’hui plus étendue que jamais dans les médias, au
point que ce qui paraissait inacceptable au public dans les années soixante ou
quatre-vingt, est aujourd’hui monnaie courante. Le seuil de tolérance de
l’opinion publique a beaucoup évolué en Occident et dans notre société. Et,
parmi ceux qui interviennent dans les médias, c’est aux chroniqueurs réguliers
que le public reconnaît le plus de liberté.
Est-ce à dire que la liberté
d’expression est désormais sans limite pour les chroniqueurs ayant acquis une
certaine notoriété, comme madame Diane Francis qui signe des articles dans les
pages financières du National Post?
Le cas très concret dont est saisie
la Commission d’appel du CPQ oblige à faire des distinctions essentielles.
1 – La chroniqueuse, si elle porte
des jugements en toute liberté, n’a cependant pas le pouvoir d’ignorer ou
d’altérer les faits pour justifier l’interprétation qu’elle en tire.
2 – Or, entre le réquisitoire que
prononce madame Francis à l’encontre de M. Pierre Péladeau et la réalité des
quotidiens fondés par celui-ci; entre ce que la chroniqueuse écrit de M.
Péladeau et ce que l’on connaît de lui au Québec, il y a non seulement des
contradictions, il y a un écart qui frise l’absurdité.
3 – Quand elle écrit que Pierre
Péladeau n’était pas de taille à devenir propriétaire d’une chaîne de journaux,
elle démontre qu’elle ne connaissait pas l’homme et qu’elle ne connaît pas
davantage ses réalisations dans les secteurs de la presse et de l’industrie. À
l’égard du fondateur de Quebecor, ses propos frisent la diffamation.
4 – Quand elle écrit que «
Quebecor publie des tabloïds franchement orduriers comme Le Journal de
Montréal et Le Journal de Québec destinés à des gens qui bougent les
lèvres quand ils lisent « , elle ne se borne pas à déformer la réalité,
elle en tire une caricature plutôt méprisante envers les 500 000 personnes qui
achètent tous les jours ces quotidiens. (L’auteur de la plainte, Me Richard B.
Holden, avocat bien connu des milieux judiciaires du pays, tient à préciser à
ce sujet que des 21journalistes comme Michel C. Auger, Normand Girard, Franco
Nuovo, Pierre Bourgault et Bertrand Raymond signent dans ces journaux des
chroniques qui sont parmi les meilleures au Canada. Il répondait ainsi à
l’affirmation de madame Francis selon laquelle ces journaux n’avaient pas de
chroniqueurs vigoureux et crédibles.)
5 – Quand elle dit que » si
Quebecor réussit à acquérir les journaux de la chaîne SUN, le personnel
cadre de cette chaîne, devra, comme Preston Manning, se mettre à l’étude du
français « , elle démontre que son hostilité envers les séparatistes s’étend
à tout ce qui est francophone au Canada.
6 – Et quand elle ajoute qu’elle
» ne voit rien de mal dans l’argent, mais qu’il y a quelque chose de mal
dans le fait que des séparatistes soient propriétaires de journaux « ,
madame Francis étale son ignorance de la constitution et des lois du pays. La
Cour suprême a reconnu que tout citoyen peut appuyer et promouvoir la souveraineté
du Québec, et la charte des droits accorde à quiconque en a les ressources la
liberté de fonder et de posséder un journal.
En conclusion, le grief majeur que
le Conseil de presse relève dans cette chronique de madame Diane Francis, ce
n’est pas surtout d’abuser de la liberté d’expression; c’est davantage le
pouvoir qu’elle s’arroge de porter des jugements sur des hommes et des
institutions qu’elle ne connaît pas et au sujet desquels elle écrit en laissant
croire qu’elle les connaît. Il faut lui reprocher l’incohérence de la démarche
journalistique, c’est-à-dire la rupture entre, d’une part, une réalité sociale
et des faits observables qu’elle devrait connaître, comprendre et expliquer, et
d’autre part, le discours quasi onirique qu’elle tient à ses lecteurs. On ne
s’étonne pas que sa vision du pays, du Québec et de la presse en soit troublée.
La Commission d’appel, présidée par
M. Michel Roy, juge donc fondée la plainte de Richard B. Holden et Marcel
Raymond à l’encontre de madame Diane Francis et du National Post.
Griefs pour l’appel
M. Holden interjette appel à la
décision du Conseil de presse.