Plaignant
Robin Gagnon, brigadier-général des
Forces canadiennes
Mis en cause
Marc Pigeon, journaliste, et Le
Journal de Montréal (Paule Beaugrand-Champagne, rédactrice en chef)
Résumé de la plainte
Le brigadier-général Robin Gagnon
porte plainte contre le journaliste Marc Pigeon, suite à un article publié le 6
décembre 1998 dans Le Journal de Montréal. Le plaignant reproche au
journaliste d’avoir laissé entendre injustement que les Forces canadiennes (FC)
avaient tenté de camoufler la suspension d’un haut gradé, et d’avoir révélé,
par un subterfuge, l’identité d’un officier qui aurait dû être protégée par la Loi
sur la protection des renseignements personnels.
Griefs du plaignant
Le plaignant reproche au
journaliste d’avoir mis en doute l’intégrité des Forces canadiennes en leur
reprochant d’avoir voulu camoufler la suspension d’un haut gradé. De plus,
selon le brigadier-général, le journaliste trompe ses lecteurs en prétendant
» avoir obtenu l’identité d’un des officiers suspendus grâce à une demande
d’accès à l’information, demande qu’il a dû présenter suite à notre refus de
lui fournir certains renseignements ».
Le plaignant rappelle que loin de
camoufler les incidents survenus lors du dîner régimentaire des Fusiliers de
Sherbrooke le 12 septembre 1998, il a fait part sans équivoque de son indignation
dans un communiqué publié le 25 septembre, et annoncé la suspension immédiate
de deux officiers haut gradés pour leur inaction durant cette soirée. Il ajoute
que » dans ce même communiqué, nous mentionnions que l’identité des
officiers suspendus ne pouvait être divulguée en vertu de la Loi sur la
protection des renseignements personnels, étant donné la nature
administrative et non pas disciplinaire de cette mesure ».
Dans ce contexte, le
brigadier-général Gagnon dénonce la façon malhonnête que le journaliste Marc
Pigeon utilise pour laisser entendre que les Forces canadiennes camouflent
l’information, alors qu’elles ne font que respecter la Loi et le droit
de ses membres. Le journaliste trompe encore ses lecteurs quand il prétend
avoir obtenu l’identité d’un des officiers suspendus grâce à la Loi d’accès
à l’information. Une vérification auprès de l’agence responsable permet de
constater » qu’aucun des documents transmis à M. Pigeon ne permet
d’associer le brigadier-général Pelletier avec les suspensions en
question ».
Pour ces raisons, le plaignant
» dénonce avec vigueur l’article de M. Pigeon, lequel ne sert aucunement
le droit légitime de la population à une information juste et véridique, et […]
déplore son effort de dénigrement à l’endroit des FC en publiant, en
connaissance de cause, une information non conforme à la vérité ».
Commentaires du mis en cause
Dans le commentaire qu’ils signent
conjointement, le journaliste Marc Pigeon et la rédactrice en chef du Journal
de Montréal, Paule Beaugrand-Champagne, rejettent la plainte du
brigadier-général Gagnon.
Les mis-en-cause rappellent d’abord
que le communiqué du 25 septembre annonçant la décision du commandant Gagnon de
suspendre deux officiers haut gradés n’indiquait à aucun moment que cette
décision était de nature administrative plutôt que disciplinaire.
De plus, les mis-en-cause
soulignent que c’est une source militaire anonyme qui a révélé, au début
d’octobre, l’identité d’un des officiers suspendus, le numéro deux de la force
terrestre québécoise, le brigadier-général Louis-Denis Pelletier.
C’est en voulant confirmer cette
information que le journaliste appelle d’abord au bureau du général Pelletier,
pour ensuite joindre un responsable des relations publiques. Dans un premier
temps, celui-ci refuse de commenter l’information, soutenant qu’il en est
empêché par la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Devant l’insistance du journaliste, il finira par répondre à la question:
Où est le général Pelletier?: -« Il est en
vacances! ».
Marc Pigeon décide alors de
recourir à la Loi d’accès à l’information pour confirmer ou infirmer la
nouvelle alléguée par sa source anonyme. Il fait une demande en trois points au
coordonnateur de l’accès à l’information des Forces canadiennes: 1) le
curriculum vitae du brigadier-général; 2) une description de ses tâches; 3) son
statut d’emploi, en prenant soin d’offrir des choix entre » en fonction,
en congé, en vacances, suspendu ou autre ».
M. Pigeon et Mme
Beaugrand-Champagne estiment hautement significatif le fait qu’en réponse à la
troisième question, et alors que la demande d’accès du journal ne faisait
nullement mention des incidents de Sherbrooke, le coordonnateur a choisi de
fournir une copie du communiqué du 25 septembre, celui où le général Gagnon
annonce la suspension de deux officiers haut gradés dans l’affaire de
Sherbrooke!
Pour ces raisons, les mis-en-cause
considèrent qu’ils étaient parfaitement justifiés de publier l’information en
leur possession et de souligner le manque de transparence de l’armée dans cette
affaire.
Réplique du plaignant
Le plaignant considère que les
explications de Marc Pigeon et Paule Beaugrand-Champagne » ne justifient
aucunement le dénigrement démontré par M. Pigeon envers les Forces canadiennes
dans la publication de son article en nous reprochant d’avoir voulu camoufler
l’identité d’un haut gradé suspendu ». Il rappelle qu’il était tenu à
cette position par la Loi sur la protection des renseignements personnels,
ce que ne reconnaît pas le commentaire des mis-en-cause.
Par ailleurs, le plaignant reproche
toujours au journaliste d’avoir dit qu’il avait en main des preuves, alors que
» les documents transmis par l’agence …n’étaient pas assortis d’une note
permettant de relier le communiqué de presse avec l’identité du haut gradé ».
Le brigadier-général Gagnon
maintient donc sa dénonciation de Marc Pigeon pour son manque d’éthique, et le
jugement gratuit et sans fondement qu’il porte quand il critique les Forces
canadiennes pour » manque de transparence dans ce dossier ».
Analyse
Après examen de tous les éléments présentés à son attention par les parties, le Conseil de presse rejette la plainte du brigadier-général Robin Gagnon.
Depuis plusieurs années déjà, un certain nombre d’incidents ont sensibilisé le public canadien et les médias aux questions relatives à la » culture d’entreprise » spécifique qui existe dans les forces armées. Dans le présent cas, la cérémonie de passation de pouvoirs au régiment des Fusiliers de Sherbrooke, et le dîner régimentaire qui suit, sont des événements protocolaires importants.
Y assistent en effet, en plus des officiers du régiment et des militaires invités, des dignitaires civils. Au cours du dîner, ils seront soumis au visionnement d’un film pornographique sur fond de drapeau canadien, à des scènes de nudité et de vulgarité, tout cela, en présence d’un officier supérieur qui représente officiellement le commandant des forces terrestres québécoises.
Clairement, il ne s’agit pas ici d’un événement à caractère privé et dans les circonstances, évoquer la Loi sur la protection des renseignements personnels pour soustraire les participants à l’examen des médias, est inapproprié. Le Journal de Montréal était justifié de considérer d’intérêt public l’identité des officiers haut gradés qui sont suspendus suite à ce dîner régimentaire qui a mal tourné. D’autant plus qu’ils y » occupaient des positions d’autorité » selon les termes mêmes du communiqué des Forces canadiennes.
D’autre part, le journaliste Marc Pigeon avait parfaitement le droit de recourir à la Loi d’accès à l’information. Il est bien précisé dans le texte que le journal a été « mis au courant » de l’identité du haut gradé suspendu, et que ces efforts auprès du bureau du général Pelletier, d’un porte-parole militaire ou de l’agence administrant la Loi d’accès à l’information ne visaient qu’à »confirmer » la nouvelle.
Ceci dit, il devrait être évident que le porte-parole des FC, le capitaine Martin Côté, n’a pas été « transparent » quand il a prétendu que le général Pelletier était » en vacances » pour expliquer son absence persistante du bureau. Il reconnaît d’ailleurs ce fait dans la même édition du Journal de Montréal.
Reste l’affirmation répétée du journaliste à l’effet que les documents obtenus par le biais de la Loi d’accès à l’information » prouvent » la suspension du général Pelletier et les raisons de cette suspension. Le journaliste et son éditeur ont choisi d’interpréter de cette façon le geste posé par le coordonnateur de l’accès à l’information des FC, quand il joint une copie du communiqué du 25 septembre en réponse à la troisième question qu’ils posaient (celle concernant le statut d’emploi du général Pelletier). Les événements leur ont donné raison, même si cette » preuve-là » était indirecte.