Plaignant
Jennie Skene
Mis en cause
Richard Hénault, journaliste, et Le
Soleil (Gilbert Lavoie, rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
Jennie Skene, présidente de la
Fédération des infirmières et infirmiers du Québec, porte plainte contre le
journaliste Richard Hénault, suite à un article publié le 29 janvier 1999 dans Le
Soleil et intitulé, » Poursuite contre une avocate de la FIIQ ».
La plaignante considère que cette nouvelle n’est ni complète, ni impartiale.
Griefs du plaignant
La plaignante reproche au
journaliste d’avoir écrit son article sans contacter la FIIQ ou sa procureure,
Me Caron, pour connaître leur version des faits. Madame Skene reproche de plus
à Richard Hénault de ne mentionner que le nom de Me Caron dans son article,
alors qu’il tait ceux de Hélène Châteauneuf, l’infirmière qui intente la
poursuite, et de Daniel Petit, son avocat.
Enfin la plaignante reproche au
journal Le Soleil d’avoir » eu recours au sensationnalisme en
mettant un titre presque aussi gros que la nouvelle elle-même ».
Pour toutes ces raisons, et parce
que la Fédération des infirmières et infirmiers du Québec croit que le droit du
public à l’information passe par une information juste et complète, Jennie
Skene dépose une plainte au Conseil de presse.
Commentaires du mis en cause
Le rédacteur en chef du Soleil,
Gilbert Lavoie, présente le point de vue du journaliste Richard Hénault
relativement à la plainte de la FIIQ. Celui-ci retient deux des trois griefs de
la plaignante:
À
l’accusation de ne pas avoir cherché à connaître le point de vue de la
FIIQ, M. Hénault le reconnaît d’emblée. Il explique cette omission par le
fait que le refus de la FIIQ de répondre à la mise en demeure de la
demanderesse lui indiquait déjà que les parties étaient en désaccord. Dans
ce cas, il a choisi de privilégier la déclaration déposée à la Cour plutôt
qu’une simple conversation téléphonique. « La première deviendra
l’ossature de la preuve qui sera faite devant le juge au procès. Une
certaine crédibilité doit donc lui être accordée. Quant à la seconde, nous
savons tous quelle fiabilité on peut lui reconnaître. En conséquence,
j’estime que nous tromperions nos lecteurs et le public en leur présentant
les deux points de vue sur un pied d’égalité ».
Et puis il y a l’argument possible du sub judice.
Le journaliste présume que la FIIQ s’en serait prévalue puisqu’il ajoute,
» d’ailleurs, c’est la réponse classique que les parties nous font
lorsqu’elles se refusent à tout commentaire. Et elles ont raison! ».
Par contre, le journaliste s’engage à publier le
jugement de la Cour lorsqu’il sera rendu et même, si la défenderesse l’exigeait
entre-temps, à diffuser sa défense déposée au dossier de la Cour.
Quant
au reproche de n’avoir nommé que la défenderesse Me Caron, et pas la
demanderesse, Richard Hénault n’y voit rien de répréhensible. D’abord
parce qu’il s’agit d’une prérogative de l’éditeur, mais surtout pour des
raisons d’éthique journalistique.
« …j’ai comme perception, dans l’exercice de
mes fonctions, que la notion de demanderesse rejoint assez celle de la victime.
Et, puisque j’ai comme habitude de ne jamais nommer une victime, j’ai plutôt
tendance à faire de même pour une partie demanderesse, à moins bien sûr, qu’il
s’agisse d’une personne connue ou d’une personne morale. Ces personnes, en
général, ont déjà éprouvé assez d’ennuis sans, de plus, être pointées du doigt
et identifiées par tout un chacun ».
Pour ce qui est de la défenderesse, M. Hénault précise
qu’il a » beaucoup de réticence à l’identifier s’il s’agit d’un(e)
professionnel(le). La carrière de ces gens repose sur leur bonne réputation et,
à ce stade, ils n’ont encore été tenus responsables de rien, du moins par le
tribunal ». Par contre, dans le cas présent, Me Caron étant salariée
de la FIIQ, le fait de l’identifier » ne lui fera certainement pas perdre
son emploi! Le seul préjudice qu’elle risque est une atteinte à sa fierté
personnelle… ».
Encore là, M. Hénault ajoute que
» le tribunal lui donnera peut-être raison et, comme c’est notre habitude,
il nous fera plaisir d’en publier le jugement ».
Réplique du plaignant
La plaignante considère que le
» point de vue » du journaliste Richard Hénault présenté par Gilbert
Lavoie, est empreint » non seulement de subjectivisme mais également d’un
manque évident d’impartialité ».
À cet égard, la plaignante souligne
le fait que si l’on devait suivre le raisonnement de Richard Hénault, le
traitement journalistique concernant le dévoilement de l’identité pourrait
varier, selon que le professionnel en cause a un statut de salarié ou de non
salarié! « Selon cette même logique, un professionnel
« salarié » pourrait voir son nom mentionné dans un article sans risque
de porter atteinte à sa « bonne réputation », sa carrière ne reposant
pas sur celle-ci, contrairement à un professionnel « non salarié ».
Nous vous soumettons qu’un tel raisonnement est pour le moins discutable, voire
inapproprié ».
La plaignante considère de plus que
le journaliste » n’a pas à prendre pour acquis que les autres parties
concernées vont d’emblée soulever le motif du sub judice (affaire
pendante devant le tribunal) pour être dispensé de ses obligations
professionnelles de traiter l’information de façon complète et
impartiale ».
Finalement, Richard Hénault est à
nouveau dans l’erreur lorsqu’il affirme » que nous tromperions nos
lecteurs et le public en leur présentant les deux points de vue sur un pied
d’égalité ». Madame Skene soutient plutôt qu’il trompe effectivement «
ses lecteurs et le public en ne leur présentant qu’un seul point de vue, soit
celui de cette infirmière soi-disant « abandonnée à son
sort » ». Pour ces raisons donc, la plaignante maintient sa
plainte.
Analyse
Les médias et les professionnels de l’information doivent être libres de relater les événements et de les commenter sans entrave ni menace ou représailles. L’attention qu’ils décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre. Nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à orienter l’information.
L’article de Richard Hénault est une courte nouvelle qui rapporte et résume une poursuite déposée en Cour supérieure. Les éléments mis en lumière sont conformes aux faits présentés dans le texte du recours.
Lorsque les médias font état de poursuites civiles, ils n’ont pas coutume de rapporter systématiquement, dans tous les cas, le point de vue des deux parties. Dans ce cas cependant, aux yeux du Conseil, il aurait été préférable que l’article du Soleil présente la version des faits de la Fédération des infirmières du Québec ou de sa procureure, Me Caron, puisque la réputation personnelle de celle-ci était directement mise en cause.
En outre, le fait de choisir de ne nommer qu’une seule partie visée dans cette affaire, soit uniquement la personne poursuivie, soulève un problème d’équité. Le Conseil ne voit aucune raison valable qui aurait pu justifier de taire le nom de l’infirmière Hélène Châteauneuf à l’origine de la poursuite ou de son avocat, Me Daniel Petit, et ne peut qu’accueillir la plainte sur ce grief.
Finalement, le titre donné au texte de Richard Hénault » Poursuite contre une avocate de la FIIQ » décrit fidèlement le contenu de son article. Contrairement à la plaignante, le Conseil ne considère pas que le titre occupe une place disproportionnée ou inhabituelle par rapport au texte.
En regard de l’ensemble de ces considérations, le Conseil de presse accueille partiellement la plainte à l’encontre du Soleil.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C03B Sources d’information
- C03C Sélection des faits rapportés
- C11F Titre/présentation de l’information
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits