Plaignant
Le Congrès juif canadien, Dorothy
Zalcman Howard, présidente
Mis en cause
Jooneed Khan, journaliste et le
quotidien La Presse (Claude Masson vice-président et éditeur adjoint)
Résumé de la plainte
Le Congrès juif canadien, Région
Québec, porte-parole officiel de la communauté juive du Québec, dépose une
plainte contre le journaliste Jooneed Khan et le quotidien La Presse. Le
plaignant se dit choqué de l’article paru dans l’édition du 3 février 1999 où
le journaliste « utilisait le terme la juiverie, une
expression péjorative bien connue « . Intitulé » La guerre des prières
« , l’article ferait état de propos clairement susceptibles d’attiser la
haine envers le peuple juif.
Griefs du plaignant
Le plaignant précise que le
journaliste » ne se gêne pas pour utiliser des concepts et des mots tels la
juiverie et l’argent, qui renforcent certains stéréotypes lesquels
rappelleront au lecteur certaines expressions utilisées au XIXe siècle ou
pendant le régime de Vichy, pour véhiculer de la propagande antisémite « .
Il indique cependant que les réserves quant à l’article ne visent pas à lui
reprocher son » mauvais choix de mots « . Le plaignant estime que la
lecture de plusieurs de ses articles dans le passé lui donne à penser «
que l’adéquation » juiverie et argent » est consciente et révèle les
sentiments de l’auteur envers cette question « .
Le plaignant ajoute que le
journaliste a déjà été blâmé en 1989 par le Conseil de presse du Québec et
qu’il est connu pour ses articles vitrioliques et biaisés envers Israël et le
peuple juif. M.Khan aurait trouvé en La Presse un médium lui
permettant en toute impunité et à l’encontre de toute éthique journalistique,
de propager son venin. Pour ces raisons il demande que la plainte vise
également le quotidien.
Commentaires du mis en cause
Commentaire du vice-président et
éditeur adjoint, Claude Masson
M. Masson indique que La Presse appuie
l’argumentation déposée par son journaliste Jooneed Khan.
Commentaire du journaliste
Jooneed Khan
Le journaliste formule un commentaire
en 36 points. Le tout est suivi d’un document explicatif de 48 pages à l’appui
de sa défense. Il y annexe copie d’une réplique signée par le président
du comité Canada-Israël, région Québec, M. Thomas O. Hecht et publiée dans La
Presse du 15 février. Il y joint la copie d’une mise au point publiée le 26
février 99 où il présentait lui-même des excuses pour avoir utilisé le mot
« juiverie, qui a également un sens péjoratif « .
Dans son commentaire en 36 points,
il revient sur la réplique de M. Hecht et sur sa mise au point. Il y présente
ensuite des exemples utilisant le mot juiverie pour conclure que seul le
contexte dans lequel le mot juif ou le mot juiverie est utilisé peut permettre
d’établir si l’auteur lui prête un sens péjoratif ou non.
Il rappelle qu’il s’est déjà excusé
pour l’usage irréfléchi du terme contesté. Il ajoute que le contexte dans
lequel il a écrit son article, et le contexte intrinsèque de l’article
lui-même, relèvent de » l’honnête commentaire sur une question d’intérêt public
« . Il défend cette position en indiquant notamment que son article rendait
compte d’une série d’événements et de débats rapportés par les agences de
presse et les journaux autour du 2 février 99. Il répond également à
l’affirmation des plaignants selon laquelle » l’adéquation juiverie et
argent est consciente et révèle les sentiments de l’auteur envers cette
question « .
M. Khan précise ensuite que la
citation du » blâme » du Conseil de presse de 1989 est utilisée
erronément, constituant une affirmation haineuse et diffamatoire, puisque le
plaignant omet de mentionner la nouvelle décision de 1990, après qu’il ait
porté son cas en appel.
Le journaliste mis en cause termine
sa démonstration en expliquant que ce n’est pas inciter à la haine que de faire
état des débats qui se déroulent dans différents pays, pour fournir au public
un maximum d’informations afin qu’il puisse se faire sa propre idée des
problèmes et des débats ayant cours dans ces pays.
À sa documentation volumineuse, le
journaliste joint trois lettres d’appui à sa cause. L’une de ces lettres fait
notamment observer qu’en anglais, l’acception du terme » jewry » ne
contient pas cette connotation péjorative qu’on retrouve en français.
Réplique du plaignant
La réplique du plaignant comprend 5
pages, deux lettres d’appui (l’une du Comité Canada-Israel, section Québec et
l’autre du Consul général d’Israël) et une annexe de 61 pages.
Le plaignant estime que la
pertinence des analyses du journaliste (dans sa réponse) quant à la situation
qui prévaut au Moyen-Orient ou encore quant au pouvoir d’influence de la
communauté juive amÉricaine est discutable dans la mesure où la plainte ne met
en évidence que l’utilisation d’un terme hautement dérogatoire et stéréotypé,
en l’occurrence le mot » juiverie « . Le plaignant considère que les
points soulevés par le mis-en-cause » sont pour le moins sélectifs « .
Dans sa réplique, le plaignant
tente de démontrer que le mot » juiverie » a actuellement un sens
péjoratif, qu’il avait déjà ce sens en 1835 et qu’il a pris un sens exclusivement
péjoratif depuis la fin du XIXe siècle.
Il explore ensuite l’utilisation du
terme au Québec, annexant de nombreuses pièces à l’appui de sa démonstration.
Il conclut son exposé en traitant de l’utilisation contemporaine du terme
« juiverie » afin d’explorer la légitimité de l’utiliser à
des fins non péjoratives ou dans quelle mesure un journaliste au fait de la
nouvelle pouvait avoir utilisé le terme en ignorant de bonne foi sa portée.
Le plaignant maintient sa position
à l’effet que l’adéquation entre les dollars et la » juiverie U.S. «
a été insérée de façon délibérée et pernicieuse. Il soutient également que le
quotidien La Presse a » de façon négligente accepté l’utilisation
d’un terme dont la portée a des incidences hautement péjoratives « .
Analyse
La plainte soumise à l’examen du Conseil a été considérée sous deux aspects : l’utilisation contestée du terme » juiverie » et les intentions potentiellement malveillantes du journaliste Jooneed Khan.
Sur le premier aspect, le Conseil de presse estime que l’utilisation du terme « juiverie » dans cet article était plus que discutable, compte tenu du sens péjoratif, reconnu par tous, attaché à ce mot. Tout en étant techniquement exacte, l’expression pouvait effectivement présenter un sens différent et péjoratif pour la communauté du plaignant.
Le Conseil a également remarqué qu’un représentant officiel de la communauté juive avait pu présenter sa réplique à ce texte dans une édition subséquente du quotidien. De plus, le journaliste avait lui-même rédigé une mise au point où il reconnaissait l’utilisation malheureuse du terme.
La jurisprudence du Conseil a déjà établi qu’en pareil cas, la publication d’une réplique ou d’une telle mise au point rétablissait l’équité. En conséquence, le Conseil de presse ne saurait retenir la plainte sur cet aspect.
Après avoir parcouru l’abondante documentation fournie par les parties, le Conseil aimerait rappeler que le phénomène de l’antisémitisme n’est pas nouveau, que ce soit au Québec ou dans le reste du monde, et que le fait d’en parler ne fait pas automatiquement d’un auteur ou d’un journaliste un ennemi des Juifs. Les faits rapportés dans l’article du journaliste Jooneed Khan avaient été pour la plupart rapportés dans les grandes agences de presse ou dans les grands quotidiens. Ils représentaient la position actuelle des opinions diverses ayant cours sur la question.
Tout en reconnaissant au plaignant que le sujet abordé pouvait présenter des points de vue contraires à ses convictions et partant, pouvait provoquer une dénonciation de sa part, le Conseil n’a pas constaté dans l’article mis en cause d’écarts significatifs avec les normes habituellement admises dans la profession au Québec. Par conséquent, outre les réserves déjà précisées quant à l’utilisation malheureuse d’un terme inapproprié, le Conseil de presse ne peut que rejeter la plainte.
Analyse de la décision
- C11H Terme/expression impropre
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C13C Manque de distance critique
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C18A Mention de l’appartenance
- C18B Généralisation/insistance indue
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C18D Discrimination