Plaignant
N. Bulette
Mis en cause
Ann Landers, journaliste, et The
Gazette (Raymond Brassard, directeur de l’information)
Résumé de la plainte
La plainte datée du 15 mars 1999
porte sur une chronique de type » courrier au lecteur » signée
AnnLanders et publiée dans le quotidien The Gazette.
Griefs du plaignant
M. Bulette se dit choqué par la
chronique: une dame, hétérosexuelle et mariée depuis 15 ans, écrit à Ann
Landers au sujet de son beau-frère gai qui est sur le point de se marier. Ce
beau-frère, Rick, est une brave personne et un oncle dévoué et jusqu’à présent
elle n’avait eu aucun problème avec lui et son compagnon de vie, Dennis. Ses
enfants considèrent Dennis comme l’ami de leur oncle; ils sont ensemble
depuis 20 ans. Tout allait bien jusqu’à ce que Rick et Dennis demandent à la
fille de la lectrice, qui est âgée de 9 ans, d’être bouquetière à leur mariage.
Mme Landers lui répond que les couples gais ne devraient pas demander à une
jeune fille de 9 ans de participer à une cérémonie pour célébrer leur union
parce que ce serait trop perturbant (it would be too confusing).
Pour M. Bulette, si la chroniqueuse
avait répondu en privé à sa lectrice, il n’y aurait pas de problème. Il
s’agirait d’un échange privé entre deux » bigots « . Cependant, par sa
chronique, elle partage ce point de vue publiquement avec tous ses lecteurs en
Amérique du Nord. Le plaignant considère qu’il s’agit d’une déclaration
politique affirmant qu’un mariage gai n’est pas une union sacrée, que les
relations entre gais sont inférieures aux relations hétérosexuelles, que les
» affaires gaies » devraient être considérées comme des petits
secrets de famille honteux et que l’homosexualité est un mode de vie
(lifestyle) que l’on choisit.
Le plaignant estime que l’article
incite d’innombrables lecteurs à adopter ces attitudes et à les transmettre à
leurs enfants. La diffusion massive dans les autres médias (columns
syndication) assure une amplification de son message avec ses conséquences directes
et indirectes. Le plaignant fait ainsi référence à un article du 15 mars 1999
du magazine Time (annexé à la plainte) relatant le meurtre sauvage d’un
homme gai, en Alabama, où aucune loi contre la haine ne protège les
homosexuels.
Commentaires du mis en cause
Selon M.Brassard, directeur
de l’information, il importe peu que The Gazette soit en accord ou non
avec le conseil donné par Mme Landers puisque le conseil lui-même est considéré
comme acceptable (fair) dans les limites d’une chronique. En effet, précise M. Brassard,
Mme Landers, comme chroniqueuse, a le droit d’exprimer ses opinions, en autant
qu’elles ne soient pas libelleuses, diffamatoires ou haineuses.
Réplique du plaignant
M. Bulette se plaint que M.
Brassard ait pris trois mois à répondre à sa lettre et considère que celui-ci
ne répond en rien aux arguments soulevés dans sa plainte. De plus, le plaignant
n’a pas reçu de réponse de la part d’Ann Landers bien qu’il lui ait envoyé, en
plus de la plainte, plusieurs messages par courrier électronique, lui demandant
de clarifier sa position à propos des mariages gais et de l’égalité des droits
des homosexuels. Le plaignant prétend avoir fourni dans sa plainte des
arguments clairs qui démontrent que la chronique contient des éléments
diffamatoires et libelleux qui incitent à la haine. Il aurait voulu voir M.
Brassard défendre ses conclusions.
M. Bulette cite la définition de
certains mots pour appuyer son propos (defamatory, reputation, libellous,
incite, hatred). Il explique ensuite pourquoi l’article de Mme Landers contient
un point de vue libelleux, diffamatoire et pourquoi il incite à la haine. Le
plaignant fait valoir l’importance de ce cas étant donné le nombre de lecteurs
de Mme Landers et l’influence néfaste qu’elle pourrait avoir sur certains
d’entre eux. Ann Landers est la chroniqueuse la plus lue dans le monde, avec un
lectorat estimé à 90 millions de personnes. Elle est publiée dans plus de
1200 journaux.
M. Bulette ne voit pas comment M.
Brassard peut décrire la chronique de Mme Landers comme étant correcte (fair).
Selon lui, elle n’a présenté qu’un aspect d’une question qui en comporte
plusieurs. Pour M. Bulette, le fait qu’une personne hétérosexuelle discute de
la valeur des relations entre personnes homosexuelles n’est pas un commentaire
valable, comme il serait non valable de se mettre à questionner la valeur d’une
relation hétérosexuelle dans une chronique s’adressant aux personnes gaies.
L’absence d’arguments et le fait
que contrairement aux autres chroniqueurs (columnist) son rôle est de fournir
aux gens des conseils qu’ils vont vraisemblablement suivre, ses prises de
position deviennent dangereuses. M. Bulette cite ensuite des exemples
antérieurs de correspondance de Mme Landers pour démontrer sa position à
l’égard des personnes homosexuelles.
Enfin, à l’appui de sa réplique, le
plaignant cite enfin certains extraits des » Droits et responsabilités de
la presse » du Conseil de presse du Québec.
Analyse
La chronique est un genre d’information qui tient autant de l’éditorial et du commentaire que du reportage d’information. Ce genre journalistique laisse à ses auteurs une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue et de leurs jugements. Il permet notamment aux journalistes qui le pratiquent d’exprimer leurs opinions, leurs critiques, ce qu’ils peuvent faire dans le style qui leur est propre.
Après étude des griefs du plaignant, le Conseil de presse estime qu’en regard de la liberté rédactionnelle reconnue aux chroniqueurs ou « columnists », Mme Ann Landers avait le droit de sélectionner les lettres de son choix et d’y répondre dans le style qui lui est propre. De plus, rien dans le texte de la chronique tout entière n’a la portée que lui prête le plaignant. Il n’y a ni libelle, ni diffamation, ni propos haineux.
L’examen de la chronique indique, chez la correspondante de Mme Landers, des valeurs personnelles différentes de celles du plaignant. On peut aussi observer que la chroniqueuse formule une réponse en conformité avec ces valeurs. On ne saurait donc, sans lui faire un procès d’intention, lui prêter d’autres valeurs ou intentions que celles attachées au contexte même de sa réponse.
Ces précisions ayant été faites, le Conseil de presse du Québec rejette sur le fond la plainte de M. N. Bulette contre le quotidien The Gazette et sa chroniqueuse Ann Landers.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C08A Choix des textes
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12D Manque de contexte
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C15A Manque de rigueur
- C17A Diffamation
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C18D Discrimination
- C19A Absence/refus de rectification