Plaignant
William Johnson (président d’Alliance Québec)
Mis en cause
Hubert Bauch, journaliste, et The Gazette (Raymond
Brassard,directeur de l’information)
Résumé de la plainte
M. Johnson porte plainte contre le quotidien The Gazette et
contre le journaliste Hubert Bauch pour la façon dont ils ont rapporté son
discours de mise en candidature à la présidence d’Alliance Québec dans leur
édition du 29 mars 1999.
Griefs du plaignant
Le plaignant reproche d’abord à The Gazette son titre en première
page : » QUEBEC Anglo lobby group doomed without me, Alliance head says.
A5 » Ce titre serait faux et M. Johnson n’aurait jamais dit cela. Le
plaignant ajoute que la manchette et le reportage de la page A5 contenaient
d’autres faussetés, comme » You need me, Johnson says » et comme
» …the English community lobby group would be doomed without his
leadership « . Il ne l’aurait jamais dit ni même suggéré. Le journaliste
mis en cause semble avoir fait la déduction logique suivante : Johnson dit
qu’Alliance Québec (AQ) est perdue sans unité; il dit que John Trent fait
campagne avec des propos qui sèment la discorde; par conséquent, Alliance
Québec est perdue sans Johnson. Cette logique serait » puerile » aux
yeux du plaignant, parce qu’il peut penser à plusieurs leaders qui pourraient
diriger AQ mieux que lui.
Le plaignant ajoute que les mis-en-cause ont également faussé ce qu’il a
rapporté de Jean Charest, mais que cela a été rectifié par une «
clarification « , le lendemain. Il termine en affirmant qu’il n’a jamais
dit, qu’il n’a jamais pensé qu’Alliance Québec serait perdue sans lui, qu’il
n’a jamais eu les autres sentiments qui lui sont attribués.
Le plaignant annexe à sa plainte des copies de l’article et de ses
échanges par courriel avec la direction de The Gazette pour obtenir
rectification, ainsi que copie de son discours de 10 pages.
Commentaires du mis en cause
Commentaire du journaliste Hubert Bauch:
Le journaliste soutient que son commentaire est exact sur le fond et
parfaitement honnête. En ce qui concerne les titres, il ne sont pas de lui,
comme c’est l’usage dans son journal. Il précise que, conformément à la
pratique usuelle, le titre est basé uniquement sur le contenu de son reportage
et estime qu’il correspond tout à fait à ce qu’il a écrit. On ne saurait donc y
voir d’erreur.
Concernant l’enjeu majeur de la plainte, le journaliste n’y trouve aucun
fondement. Il reconnaît que M. Johnson a raison quand il dit qu’il n’a pas
affirmé explicitement qu’Alliance Québec est perdue sans lui, sans sa direction
[doomed without his leadership], mais son article n’indique pas non plus qu’il
l’ait dit. Si telle avait été l’intention des mis-en-cause, ils l’auraient
indiqué par des guillemets. Quand les citations ne sont pas ainsi indiquées,
c’est une façon journalistique honnête et courante de résumer d’une façon aussi
vivante que possible l’ensemble de son discours; ce qui fut fait, dans ce cas,
à la fois avec honnêteté et exactitude.
Il ajoute que ce n’est peut-être pas ce que M. Johnson a dit
précisément, mais que c’est, en définitive, ce qu’il disait. Pour lui, l’art du
reportage c’est de rapporter de longues dissertations en des articles concis.
Dans ce cas-ci le discours fait près de 5000 mots et l’article d’environ 500
mots, ce qui exige l’extrapolation du sens de ce qui s’est dit autant que la
reproduction des termes exacts prononcés. Ce qui exige également une
appréciation en toute connaissance de cause et une représentation objective du
contexte, en l’occurrence la course à la présidence d’Alliance Québec.
Le journaliste affirme que certains extraits textuels du discours de M.
Johnson suggèrent indéniablement cette idée. Il poursuit ses explications sur
ce que suggère, sans le dire, le discours, et qui amène à conclure, des propos
de M. Johnson, qu’élire son opposant conduirait Alliance Québec à sa
désintégration.
Il tente ensuite de démontrer que deux phrases de M. Johnson
apparaissant dans deux paragraphes successifs, doivent être interprétées dans
le sens qu’il leur a donné: » And that is precisely why you must be
there, and why we must work together » et » …why you and I must be
present in a strong Alliance Quebec « .
Selon le journaliste, M. Johnson dit qu’il peut penser à plusieurs
leaders meilleurs que lui pour AQ mais il ne les nomme pas; il dit ne pas avoir
induit [ou sous-entendu] que c’était Trent ou lui, mais que le contexte
politique était à l’effet que si ce n’était pas M. Johnson ce serait M. Trent.
M. Bauch ajoute que la possibilité à ce moment qu’il y ait d’autres
candidatures sérieuses est fallacieuse (spurious).
Commentaire du directeur de l’information Raymond Brassard:
Le directeur de l’information reconnaît que, comme le déclare M.
Johnson, celui-ci n’a jamais prononcé ces paroles » mot-pour-mot, mais
leur signification […] était très claire et sans équivoque ». M.
Brassard expose succinctement les propos de M. Johnson, notamment l’évocation
d’une scène apocalyptique (obtenir l’unité de son groupe était une question de
vie ou de mort); de même que les difficultés à faire l’unité si John Trent est
élu président.
Le directeur de l’information conclut donc qu’il n’est pas déraisonnable
de dire que William Johnson s’est présenté comme celui qui pouvait sortir le
groupe du marasme. L’allocution dit clairement » Je suis l’homme de la
situation « . M. Brassard termine en mentionnant qu’il n’est jamais facile
de condenser une longue allocution dans un article et que ce n’est pas une
science exacte. Pour lui, le portrait esquissé par Hubert Bauch était un fidèle
reflet des points présentés par M. Johnson dans son allocution.
Réplique du plaignant
M. Johnson répond en indiquant que les grands titres, comme l’article,
n’ont pas indiqué aux lecteurs que le journaliste faisait des déductions à
partir d’une lecture générale de son discours. Ils les ont donc ainsi induits
en erreur et lui ont porté préjudice en présentant de lui une image inexacte
(misled the readers and misrepresented me harmfully).
M. Johnson rappelle que le journaliste se défend dans son commentaire en
disant que c’est ce qu’il a dit, en résumé (in sum). Il réaffirme «
Neither directly, nor in sum « , et que c’est seulement par un sophisme
qu’on peut tirer cette conclusion de ses paroles.
Il reprend également certains éléments essentiels de son discours :
l’importance de restaurer l’unité de son parti; il savait ce dont il parlait;
tout ce qui est arrivé plus tard était déjà en préparation et il avait
conscience que cela se tramait. Il n’avançait pas des perspectives erronées,
comme les semaines suivantes allaient le démontrer.
M. Johnson poursuit ses explications sur l’argumentation utilisée dans
son discours et sur l’interprétation du journaliste qui, elle, tiendrait du
sophisme. Le plaignant est outré de voir qu’au moins deux directeurs de The
Gazette ont défendu cette parodie de son discours par M. Bauch. Il porte
plainte au Conseil pour la justice, la vérité et l’éthique journalistique.
Analyse
La plainte soumise au Conseil de presse met en cause le principe de la liberté rédactionnelle reconnue aux journalistes dans le traitement d’une information. À cette liberté sont également rattachées des responsabilités. En ce qui a trait au reportage et à l’analyse, les médias et les professionnels de l’information doivent s’en tenir à rapporter les faits et à les situer dans leur contexte, sans les commenter. Ils doivent respecter l’authenticité de l’information afin de ne pas induire le public en erreur sur la vraie nature des situations, ou encore sur l’exacte signification des événements.
Dans le présent reportage, le journaliste Hubert Bauch devait s’en tenir aux faits. Or, dans les commentaires fournis pour sa défense, il reconnaît lui-même avoir fait une certaine « extrapolation », une certaine interprétation. Son directeur de l’information, M. Brassard, ajoute également qu’un journaliste doit » tirer des conclusions en allant chercher des bribes de texte ici et là « .
La déontologie est plus précise, à ce sujet : le journaliste peut résumer les faits et la pensée des personnes, mais ne doit pas en déformer le sens. Il ne peut donc ajouter au contenu ou donner son opinion personnelle, ce qui est l’apanage de la chronique ou de l’éditorial.
L’examen des documents révèle que le discours de M. Johnson ne contient pas d’affirmation explicite à l’effet que le groupe lobbyiste anglophone serait perdu sans lui, ou sans son leadership ou » qu’ils ont besoin de lui « . En d’autres termes, les expressions identifiées par M.Johnson n’apparaissent pas dans le texte de son discours.
Cependant, M. Johnson lance, dans son discours, un cri d’alarme à ses militants; il dit, explicitement cette fois, que la reconstruction de l’unité de son parti est une question de vie et de mort pour Alliance Québec. Qui plus est, il se présente comme le candidat le plus en mesure d’assurer cette réunification, s’attaquant vivement à la compétence de son unique adversaire. Que déduire du contexte de ces propos, sinon que la survie du groupe de pression est intimement liée à la réélection de William Johnson à la présidence?
De l’avis du Conseil, si le contenu de l’article et le titre en cause du journal The Gazette ne reflétaient pas la lettre du discours de M. Johnson, ceux-ci n’en traduisaient pas moins l’esprit.
Le Conseil a par ailleurs noté l’inexactitude concernant la citation de M. Jean Charest qui a été reconnue par les mis-en-cause et pour laquelle le quotidien a déjà publié une rectification.
Après examen donc, et compte tenu de ces considérations, le Conseil de presse rejette sur le fond la plainte de M. Johnson à l’encontre de The Gazette et son journaliste Hubert Bauch.
Analyse de la décision
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C11F Titre/présentation de l’information
- C15A Manque de rigueur
- C15D Manque de vérification
- C19B Rectification insatisfaisante
- C20A Identification/confusion des genres
Date de l’appel
5 May 2000
Décision en appel
Les membres de la Commission, présidée par M. Michel Roy, ont conclu à
l’unanimité de maintenir intégralement la décision de première instance et de
rejeter l’appel.
Griefs pour l’appel
William Johnson