Plaignant
Laurie Zoppi
Mis en cause
Karen Seidman, journaliste, et The
Gazette (Brian G. Kappler,rédacteur en chef adjoint, affaires
urbaines)
Résumé de la plainte
Mme Zoppi porte plainte contre le
quotidien The Gazette et contre la journaliste Karen Seidman pour avoir
révélé sans son consentement, en première page de l’édition du 11 mars 1999,
des détails sur le viol dont elle a été victime.
Griefs du plaignant
La plaignante explique qu’en
révélant ces informations sur l’incident, de même que son nom, sa photo et son
lieu de travail, sa vie privée en a été ainsi réduite à néant et elle est
redevenue victime une seconde fois.
Elle a été durement affectée du
fait que sa famille, ses amis et ses collègues de travail – dont plusieurs
n’étaient pas au courant des violences dont elle avait été victime –
l’apprennent d’une manière si crue. Travaillant comme conseillère sociale
(Special Care Counsellor) à l’école Bishop Whelan, elle s’est retrouvée dans
une situation assez précaire, ayant à réconforter des collègues vivement
touchés par son agression. Cette situation épuisante laissait peu de place à
ses propres sentiments, ceux d’être victime de viol encore une fois. Elle a
également eu à composer avec les diverses réactions de ses étudiants.
Mme Zoppi ajoute qu’en publiant cet
article pendant que ses quatre agresseurs sont encore en liberté, The
Gazette mettait potentiellement en jeu sa sécurité et celle de ses
étudiants. En effet, dans les semaines ayant suivi immédiatement la publication
de l’article, elle a reçu trois menaces de mort, au travail et à la maison,
occasionnant une autre investigation policière. le stress qu’elle a dû subir
lui a également causé des absences au travail.
La plaignante fait ensuite le récit
des événements entourant la couverture journalistique et les ententes convenues
avec la journaliste. Comme organisatrice d’une conférence de sensibilisation
sur la non-violence, elle a eu deux communications téléphoniques avec la
journaliste. Au cours de la seconde discussion, elle a déclaré que c’était pour
elle une façon positive de canaliser sa propre colère, un an et demi après son
agression. Même si elle ne lui avait pas encore dévoilé des détails de son
agression, la journaliste lui a demandé si elle pourrait mentionner le fait
qu’elle avait été victime de viol. La plaignante lui a répondu qu’elle y
penserait et qu’elle lui répondrait le lendemain, durant la conférence.
Lors de leur rencontre le
lendemain, la plaignante a alors précisé à la journaliste qu’elle pourrait
mentionner qu’elle avait survécu à une agression sexuelle. C’est au cours de la
conversation qui s’en est suivi, conversation que la plaignante considérait
comme off the record, qu’elle a révélé les détails qui ont été publiés
subséquemment. À la fin de la conversation, la journaliste lui a demandé si
elle pouvait écrire les détails qu’elle venait de lui révéler. Elle dit avoir
été choquée par la requête et lui avoir dit qu’elle ne voulait absolument pas
voir de détails de son agression dans l’article. Il aurait toujours été
important pour elle de garder cette information privée, particulièrement à
cause de sa vie professionnelle.
De plus, le photographe de The
Gazette a pris plusieurs photos dont celle qui a été utilisée dans
l’article. Si elle a posé pour la photo, c’est comme organisatrice de la
conférence sur la prévention de la violence et non comme survivante de viol
(survivor of gang rape and torture). La plaignante ajoute que même si c’est
elle qui faisait le discours d’ouverture de la conférence, en aucun temps elle
n’a divulgué qu’elle avait survécu à une agression sexuelle. Plusieurs
personnes lui ont demandé, plus tard, pourquoi elle avait raconté ces détails
en premier lieu à Mme Seidman. Sa réponse a été que, honnêtement, elle avait eu
l’impression que Mme Seidman lui parlait off the record, comme à une
consœur, et elle a pensé que ses expressions d’empathie étaient réelles, alors
qu’en réalité elles n’étaient que des moyens d’obtenir une histoire pour faire
la une du journal.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de la journaliste
Karen Seidman
La journaliste dit se rappeler
clairement son entrevue du 10 mars puisqu’il s’agissait d’une histoire vraiment
dramatique et elle confirme la première partie du déroulement des échanges :
elles se sont parlées la veille de la conférence et Mme Zoppi lui a confié
avoir été agressée. Elle lui dirait le lendemain si elle pourrait le mentionner
dans l’article. Le lendemain, elle a rencontré la plaignante qui voulait
clairement qu’elle mentionne qu’elle avait été victime d’un viol collectif. Lui
ayant demandé si elle avait songé à raconter toute son histoire, la plaignante
a été catégorique : » Yes, this my justice…
I want to make sure no kid turns into a monster
like that ».
La journaliste soutient que ses
notes sont très claires : ce n’est pas vrai qu’elle a pris en note toute
l’histoire et demandé ensuite si elle pouvait l’utiliser, et qu’elle
s’est fait répondre » non » par Mme Zoppi. Pour elle, les
journalistes ne demandent pas la permission d’utiliser une histoire après une
interview; c’est quelque chose qui doit être clairement établi au départ. De
plus, elle ne passerait jamais outre à une demande explicite de ne pas publier
certains faits. Elle a donc vérifié si la plaignante était sûre de vouloir
rendre publiques ces informations. Mme Zoppi lui a demandé de ne pas inclure
certains détails dans l’article, ce qu’elle a respecté.
La plaignante dit que ces
informations ont été présentées crûment et que la journaliste cherchait
une histoire pour faire la une. Cela ne tient pas, explique Mme Seidman, parce
qu’un reporter ne sait jamais où seront placées les nouvelles dans le journal,
le tout étant fonction des événements. De plus, si la journaliste avait voulu
la première page, n’aurait-elle pas dévoilé les autres détails rendant son
histoire encore plus dramatique?
La journaliste ne comprend pas
comment Mme Zoppi peut être confuse avec les événements puisqu’elle était
assise en face d’elle, prenant des notes tout le temps qu’elles ont parlé. Plus
tard, elle lui a également téléphoné pour connaître sa date de naissance, en
lui expliquant que c’était le seul moyen de vérifier son dossier à la police.
La plaignante lui aurait donné volontiers. Si cela faisait également partie de
la conversation off the record, se demande-t-elle, pourquoi aurait-elle
vérifié un dossier de police pour un crime qu’elle ne raconterait pas?
Mme Seidman explique ensuite
qu’elle travaille depuis près de 15 ans dans ce secteur sans n’avoir jamais
fait l’objet de plainte. Elle ajoute que la plaignante voulait tellement que
son histoire soit racontée qu’elle avait déjà contacté, au cours de l’été 1998
la section des nouvelles féminines de The Gazette et avait parlé à deux
rédactrices afin qu’on écrive un article à ce sujet. La journaliste Susan
Schwartz a été affectée et s’est vu raconter les détails atroces de son viol.
La plaignante était inflexible, elle voulait que son histoire soit racontée et
expliquée de la même façon qu’elle la racontait à la journaliste, voyant ce
récit comme un moyen de protéger les autres. Au terme des discussions, la
journaliste s’était retirée du dossier et l’article n’avait pas été publié.
La journaliste mise en cause
mentionne enfin qu’elle a également discuté du sujet avec le directeur de
l’école Lester B. Pearson où travaille Mme Zoppi. M. Tabachnick, qui connaît
bien la journaliste, serait prêt à témoigner que Mme Seidman n’a jamais utilisé
d’information confidentielle dans d’autres circonstances, quand elle était
tenue au secret.
Commentaires du rédacteur en
chef adjoint, affaires urbaines, Brian G. Kappler
Le rédacteur en chef adjoint
indique que la journaliste Karen Seidman explique complètement et clairement
les circonstances. À ses yeux, Mme Seidman a agi d’une façon mature,
responsable et appropriée dans sa manière de faire sa recherche et son
reportage. Il dit être surpris que Mme Zoppi soit fâchée car le quotidien The
Gazette n’a jamais reçu directement de plainte à cet effet.
M. Kappler appuie Mme Seidman pour
tout ce qu’elle affirme dans sa lettre. Il ajoute que les contacts entre Mme
Zoppi et sa reporter Susan Schwartz, expliqués clairement dans la lettre de Mme
Seidman, lui apparaissent particulièrement significatifs pour comprendre la
portée de la présente plainte.
Réplique du plaignant
La plaignante n’a présenté aucune
réplique.
Analyse
Les drames humains, comme celui dont il est question dans la présente plainte, sont des sujets particulièrement délicats à cause de leur caractère pénible pour la victime ainsi que pour ses proches. Les médias et les journalistes doivent donc traiter ces sujets avec le respect des personnes et éviter de faire du sensationnalisme, que ce soit dans les informations qu’ils publient ou les photos et illustrations qui accompagnent ces informations.
Dans le cas présent, le Conseil de presse estime que le journal The Gazette n’a pas contrevenu à ces règles dans l’article dénoncé. Le Conseil est d’avis que la photo et l’article publiés en première page ne sont pas empreints de sensationnalisme et qu’ils respectent le sens de l’événement rapporté.
Par ailleurs, les médias et les journalistes sont tenus de respecter la confidentialité de certaines informations que leurs sources leur ont confiées s’ils ont pris un engagement à cet effet. Or, dans le présent cas, les versions contradictoires ne permettent pas d’établir avec certitude la convention véritable intervenue entre les parties. Il appert même que le désaccord pouvait relever d’un malentendu entre la plaignante et la journaliste, qui auraient toutes deux agi de bonne foi.
Le Conseil rappelle toutefois que nul ne peut s’étonner que des informations confiées à un ou à une journaliste dont la fonction première est d’informer, aient été rendues publiques. Publier et diffuser de l’information est la première fonction des journalistes et des médias.
Après examen, donc, de la plainte de Mme Zoppi, le Conseil de presse dit comprendre la douleur qu’a pu éprouver la plaignante dans les circonstances, mais ne peut conclure à une faute professionnelle de la part du quotidien The Gazette et de sa journaliste Karen Seidman.
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C16D Publication d’informations privées
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches
- C23B Violation d’un « off the record »
- C23D Tromper sur ses intentions