Plaignant
Jason Taite (vice-président,
VitaPro Inc. et Global Village Market)
Mis en cause
Rod Macdonell, Campbell Clark et
Rick Ouston, journalistes, et The Gazette (Raymond Brassard, directeur
de l’information)
Résumé de la plainte
Le plaignant estime que sa
compagnie, VitaPro et son président, Yank Barry ont été victimes d’un travail
journalistique non professionnel. Ce travail concerne plusieurs nouvelles au
sujet de leur groupe d’entreprises, qui sont parues notamment dans les éditions
du quotidien The Gazette des 10 et 15 octobre 1998 et des 12 et 27
février 1999. Ces articles sont censés avoir été écrits pour décrire leurs
compagnies, leurs produits, leurs méthodes d’investissement, leurs programmes
de ventes et de marketing, leurs activités charitables et leurs relations avec
certains services gouvernementaux. Dans une démonstration de 12 pages, suivie
d’une annexe documentaire de 16 pages, le plaignant tente de rétablir les
faits.
Griefs du plaignant
D’entrée de jeu, le plaignant
précise qu’à VitaPro ils sont habitués à être scrutés par les médias, compte
tenu que son président est un personnage coloré. Dans son passé Yank Barry a
joué dans un group rock, il a déjà été condamné au criminel (il a déposé une
demande de pardon) et il a été un consommateur de drogues et a fait une
faillite il y a une dizaine d’années. En 1996, il a changé de nom légalement,
de Gérard Falovitch à Yank Barry, et il a tenté en même temps de changer de
vie. M. Taite raconte ensuite comment M. Barry est passé au monde des affaires
pour devenir distributeur d’un substitut de viande fait à partir de soya
déshydraté.
La famille de compagnies VitaPro
comprend » Global Village Market International » une entité associée
mais séparée qui a pour mandat exclusif de faire du marketing à paliers
multiples en même temps que de la vente au détail. La division «
charitable » de VitaPro s’appelle » Global Village
Champions ». Lors d’un don important, un des champions comme Muhammad
Ali, Guy Lafleur ou Céline Dion est présent. M. Taite précise : ces gens
viennent appuyer les activités charitables et ceux qui y sont impliqués; mais
pas leurs produits ou leur programme de marketing. L’œuvre charitable reflète
leur manière de faire des affaires et elle serait impossible sans ces revenus
d’affaires.
Le plaignant relève ensuite une
trentaine de manquements à l’éthique journalistique, allant de la fausseté au
manque d’équilibre dans le traitement de l’information, en passant par des
erreurs, des inexactitudes, des informations incomplètes, des omissions, des
opinions non appuyées sur des faits, des propos non attribués et des mauvaises
interprétations. Il déplore aussi que le journaliste ait fait preuve de manque
d’équilibre dans son récit au sujet des démêlés de Yank Barry avec la justice,
au Texas.
Le journaliste se serait donné
beaucoup de mal pour mentionner sa condamnation criminelle et sa faillite
précédente, mais ne mentionnerait pas sa demande de pardon et les circonstances
de son changement d’identité qui s’est faite légalement. Ne sont pas
mentionnées non plus les clauses contractuelles concernant le remboursement des
distributeurs s’ils venaient à changer d’avis. Le plaignant termine cette
partie de sa plainte avec le sentiment que le journaliste n’était pas intéressé
à publier toute la vérité au sujet de M. Barry et de ses compagnies.
Le plaignant aborde ensuite le
travail de recherche du journaliste, son changement d’attitude à l’égard des
plaignants et met en doute le souci d’exactitude chez The Gazette. M.
Taite reconnaît au passage que M. Barry a eu une opportunité équitable de
répondre et que ses propos sont généralement rapportés avec exactitude. Il
reproche cependant les dimensions de la photographie de M. Barry et l’effet que
produit son utilisation. Il se demande pourquoi avoir publié des entrevues
réalisées deux ans auparavant. M. Taite explique que les mis-en-cause semblent
condamnés à vivre dans un cauchemar sans fin d’informations déformées
(misreported), sans intérêt et inutiles (trivial and pointless).
Le plaignant inclut à sa plainte
copie d’un enregistrement vidéo de 28 minutes comprenant 10 minutes
d’informations sur les produits de sa compagnie. Le reste de l’enregistrement
comprend une partie promotionnelle où sont présentées les entreprises Global
Village Market et Global Village Champions, ainsi que deux extraits de
l’émission Entertainment Tonight où on peut voir notamment MM. Ali et
Barry dans leur distribution de nourriture en Afrique.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du journaliste Rod
Macdonell
Le journaliste dit comprendre que
l’essentiel de la plainte porte sur le fait qu’il a erronément utilisé les mots
» investisseur et investissement » pour décrire le » bénéfice
potentiel pour ceux qui mettent de l’argent dans ses promotions « .
M. Macdonell explique que la
Commission des valeurs mobilières cherchait alors à déterminer si
l’investissement dont M. Barry faisait la promotion constituait un titre. Comme
l’organisme s’occupait de cette question, The Gazette n’a pas tenté
d’établir s’il s’agissait effectivement de titres. De l’avis du mis-en-cause,
la plainte de M. Taite est davantage une question de sémantique et les mots
» investissement « , » investir » et » investisseurs
» décrivent mieux ce que M. Barry essaie de vendre, et a effectivement
vendu à des personnes frustrées, fâchées et désirant être remboursées.
Un autre aspect touche la
prétention de M. Barry d’être un généreux donateur ayant distribué des millions
de repas et s’apprêtant encore à le faire. Il devenait essentiel de déterminer
s’il était réellement le bienfaiteur qu’il disait être. Si M. Barry s’est rendu
disponible pour tenter de persuader le journaliste que les manœuvres de sa
compagnie étaient conformes à l’éthique, à la loi et à la vérité, il ne l’était
plus pour faire la démonstration des 30 millions de repas distribués aux
affamés en détresse. Il a remis trois fois les rendez-vous.
Le journaliste répond à un grief de
M. Taite voulant qu’il ait dit qu’il ne publierait pas s’il découvrait que M.
Barry opérait d’une façon inacceptable. C’est ce qu’il aurait dit, ajoutant
qu’il était extrêmement improbable qu’un article positif en ressorte, compte
tenu de ce qu’il avait accumulé comme informations : dizaines d’investisseurs
mécontents, investigation par les Commissions des valeurs mobilières du Québec,
du Nouveau-Brunswick et de Colombie-Britannique, exploitation de la crise
alimentaire pour la promotion de sa compagnie et apparence de grossière
exagération de ses dons, accusations d’offenses criminelles aux États-Unis, condamnations
antérieures et affirmations des représentants de Céline Dion et de Muhammad Ali
au journaliste que M. Barry n’avait pas le droit de prétendre qu’ils avaient
endossé ses projets (investment plan).
Enfin, en ce qui a trait à la
contestation de l’appartenance de M. Barry au groupe rock The Kingsmen, il
s’agit d’une question d’intérêt. Plusieurs personnes interviewées par The Gazette
ont rapporté que M. Barry s’était vanté d’avoir été membre du groupe original
(vintage). Il importait de présenter aux lecteurs qu’il semble prendre des
libertés sur des sujets importants aussi bien que sur des choses moins
importantes.
Le journaliste défend donc sa
nouvelle sur tous les plans. Le fait que la plainte ait pris six mois et que
c’est M. Taite qui la formule et non M. Barry lui suggère que la plainte est
frivole et manque de sérieux.
Commentaires du journaliste
Campbell Clark
Le journaliste affirme que le
plaignant fait de fausses accusations. Les sections de la plainte qui
concernent son travail sont pour la plupart frivoles, sauf une accusation
sérieuse qu’il sait être fausse. Comme la plainte de M. Taite concerne surtout
des textes écrits par Rod Macdonell seulement, il ne fera pas de commentaires
sur ces éléments. Cependant, ce qu’il en sait personnellement lui donne à
penser que le plaignant cherche tout simplement à brouiller les cartes et à
intimider les reporters.
Ses commentaires concernent son
article paru le 27 février 1999 sous le titre » Loan Money Goes Astray
« . Il précise que cette nouvelle n’est pas parue isolément mais constitue
la seconde de trois parties parues le même week-end, les deux autres nouvelles
étant cosignées avec M. Macdonell. Les commentaires de M. Taite sur son travail
seraient pour la plupart le fruit de son imagination ou encore des plaintes
contre des pratiques journalistiques qui sont pourtant tout à fait acceptables.
La plainte qui dans son esprit est
la plus sérieuse, et à l’effet qu’il n’a pas suffisamment tenté de rejoindre M.
Barry avant publication, est fausse, faite intentionnellement pour conduire sur
de fausses pistes, et diffamatoire.
Le journaliste ajoute que toutes
les phrases non attribuées sont des faits incontestables ou des informations
amplement supportées par le contexte de la nouvelle. De plus, même s’il n’y a
rien de contraire à l’éthique à ce qu’une nouvelle contienne des informations
reliées de loin (distantly related), cela ne s’applique pas dans ce cas-ci. La
nouvelle traitait d’une douzaine d’emprunts à la Banque Nationale faits par des
gens qui avaient été mis en contact par Sidney Lallouz ou Yank Barry. On n’a
qu’à lire la nouvelle pour saisir la relation.
Pour M. Clark, le grief suivant
concernant la dimension de la photo est un effort pour trouver des fautes où il
n’y en a pas. Le journaliste termine en indiquant que c’est pour des raisons de
recherche et de vérification que les informations recueillies en 1997 n’ont pas
été publiées auparavant. Concernant l’information selon laquelle M. Barry ne
retournait pas les appels, le journaliste aurait reçu de la bouche même de M.
Taite l’assurance que M. Barry le rappellerait.
Commentaires du directeur de
l’information Raymond Brassard
M. Brassard réplique en disant
qu’il considère la plainte de M. Taite comme non fondée. Il réaffirme que The
Gazette soutient ce qu’elle a publié.
Commentaires du journaliste Rick
Ouston
Dans ses commentaires reçus le 13
août 1999, M. Ouston explique qu’il demeure et travaille à Vancouver. Il dit
avoir reçu un communiqué de presse de Yank Barry annonçant un événement
charitable mettant en vedette le boxer Muhammad Ali. On invitait les résidents
de sa ville à acheter des billets en guise de support à l’événement charitable.
Le Vancouver Sun a publié une petite nouvelle à ce sujet à titre de
service public. D’autres médias ont également été invités à le faire également.
Ce n’est que par l’article de Rod
Macdonell qu’il a été en mesure de redresser le tir. En contactant Yank Barry
pour lui demander de démontrer qu’il s’agissait bien d’un événement charitable,
celui-ci a admis que ce n’était pas le cas. M. Ouston a ainsi été capable
d’informer ses lecteurs. À la suite de sa nouvelle, Yank Barry a annulé
l’événement et quitté la ville.
Réplique du plaignant
M. Taite justifie son droit de
déposer une plainte, à titre de membre de l’entreprise, et le temps qu’il a mis
avant de déposer une plainte. Il conteste ensuite les explications du
journaliste concernant la question du retour d’appels téléphoniques de M.
Barry. Il conteste également l’affirmation selon laquelle le journaliste ne l’a
pas interviewé.
Il défend ensuite sa position à
l’égard du mot » investissement » en expliquant que » plusieurs
juridictions » considèrent leur procédé d’affaires comme un plan
d’investissement (an investment scheme). Le quotidien The Gazette a
ainsi montré un seul côté de la médaille en suggérant que l’interprétation des
journalistes était la seule moralement acceptable. M. Barry a gagné jusqu’à
présent toutes ses causes aux États-Unis et The Gazette aurait omis de
le mentionner, suggérant ainsi qu’il pouvait être coupable.
Le plaignant conteste également
l’utilisation du mot » scheme » et le nombre de distributeurs
insatisfaits. Il revient préciser que Global Village n’a jamais demandé à
Céline Dion d’endosser sa compagnie mais seulement ses œuvres charitables et
que l’avocat de Muhammad Ali l’a assuré personnellement que son client ne s’est
jamais plaint de la façon dont il a été présenté. Il revient également défendre
l’appartenance antérieure de son président au groupe des Kingsmen.
INFORMATIONS ADDITIONNELLES
Le 29 octobre 1999, le Conseil de
presse reçoit de M. Taite copie d’un engagement signé devant la Commission des
valeurs mobilières du Québec, à la suite d’une audience de la commission le 24
septembre 1998. Cette audience visait à déterminer s’il y avait lieu
d’interdire à M. Barry et à sa compagnie d’effectuer le placement de contrats
d’investissement, d’options sur les actions de la société et sur toute autre
valeur mobilière.
Le sixième attendu de cet
» engagement » précise » que le personnel de la commission
considère que ces contrats de distribution constituent des contrats
d’investissement au sens de la Loi sur les valeurs mobilières… «
Analyse
Le Conseil de presse a traité dans un même ensemble les quatre articles soumis par le vice-président de VitaPro. Le plaignant estimait que son président Yank Barry et les entreprises qu’il dirige avaient été lésées par les quatre articles. Des reproches communs revenaient également dans chacun des cas.
La plainte soumise par M. Taite reposait sur l’argumentation que The Gazette et ses journalistes avaient, par leurs inexactitudes et leur manque de rigueur, outrepassé les limites reconnues par l’éthique journalistique, nuisant ainsi à la réputation de l’entreprise et de son principal dirigeant.
Le Conseil de presse rappelle que l’attention que les médias et les professionnels de l’information décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel et le choix d’un sujet de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre. La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes doit être synonyme d’exactitude, de précision, d’intégrité, et de respect des personnes, des événements et du public.
Après étude du dossier et des éléments soumis par les parties, le Conseil a constaté les éléments suivants. Le document fourni par le plaignant, et provenant de la Commission des valeurs mobilières du Québec, précise que celle-ci considère que les contrats de distribution dont il est question ici constituent des contrats d’investissement au sens de la Loi sur les valeurs mobilières.
De plus, les enregistrements vidéo promotionnels utilisés par les plaignants et fournis par eux en preuve montrent une utilisation juxtaposée et en alternance des noms Global Village Market et Global Village Champions et de Global Village tout court. Cette utilisation peut sans contredit causer une confusion certaine dans l’esprit d’un spectateur non averti, d’autant plus que les logotypes des entreprises utilisent des éléments graphiques très ressemblants.
Il appert également que l’appui de certaines vedettes comme Mme Céline Dion à la cause et à l’œuvre de M. Barry ne fait pas la distinction entre Global Village Market et Global Village Champions.
Après étude de ces éléments et de l’argumentation fournie par les parties, le Conseil de presse en arrive aux conclusions suivantes.
L’objectif des articles contestés était de faire le point sur le promoteur Yank Barry et sur les activités de ses entreprises. Or, ce ne sont pas les articles mais le vécu antérieur et les procédés de marketing qui ont provoqué des questionnements légitimes.
L’examen de la plainte a également révélé des inexactitudes dans les articles, dont un sur le nom de la Cour fédérale « Federal Competition Bureau » et sur le prix du produit distribué. Cependant, ces erreurs mineures n’affectent en rien le fond et la crédibilité de l’ensemble des articles.
Ces réserves ayant été exprimées, le Conseil de presse considère que la population était en droit de s’interroger sur les pratiques commerciales du groupe VitaPro et Global Village Market.
Par conséquent, sur le fond, le Conseil rejette la plainte contre le quotidien The Gazette et les journalistes Rod Macdonell, Campbell Clark et Rick Ouston.
Analyse de la décision
- C01C Opinion non appuyée sur des faits
- C02B Moment de publication/diffusion
- C03B Sources d’information
- C03C Sélection des faits rapportés
- C03D Emplacement/visibilité de l’information
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C11F Titre/présentation de l’information
- C11H Terme/expression impropre
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C12D Manque de contexte
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15A Manque de rigueur
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C15C Information non établie
- C15D Manque de vérification
- C15E Fausse nouvelle/information
- C15F Information non attribuée
- C15H Insinuations
- C16A Divulgation des antécédents judiciaires
- C16D Publication d’informations privées
- C16E Mention non pertinente
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17E Attaques personnelles
- C17F Rapprochement tendancieux
- C17G Atteinte à l’image
- C17H Procès par les médias
- C20A Identification/confusion des genres
- C23D Tromper sur ses intentions
- C23J Intimidation/harcèlement