Plaignant
Syndicat des travailleurs de
l’information du Journal de Montréal (S.T.I.J.M., Martin Leclerc, président)
Mis en cause
Le Journal de Montréal (Me François
Fontaine, procureur)
Résumé de la plainte
Le président du Syndicat des
travailleurs de l’information du Journal de Montréal (S.T.I.J.M.) porte à
l’attention du Conseil ce qu’il considère comme un cas de censure. La plainte
concerne le traitement par le quotidien, le 7 mai 99 et les semaines suivantes,
des démêlés juridiques de la famille du fondateur du quotidien, et notamment le
non-renouvellement des allocations de Mme Anne-Marie Péladeau.
Griefs du plaignant
Le Syndicat reproche au Journal de Montréal de n’avoir jamais traité la nouvelle de la poursuite de 21 millions de Mme Péladeau contre son frère pour le non-versement de ses
allocations. Le plaignant invoque également qu’aucun journaliste n’a été affecté à cet événement et que les textes de la Presse Canadienne (PC) sur le sujet n’ont pas paru dans le quotidien de la rue Frontenac. Pendant ce temps, tous les quotidiens du Québec et plusieurs stations de télévision, dont TQS, ont traité de cette nouvelle d’intérêt public. Or, jamais le Journal n’a mentionné cet événement.
Le plaignant estime que la direction du Journal de Montréal a exercé une censure indue, limitant ainsi l’exercice de la liberté de presse. Le Syndicat rappelle que cette affaire était du domaine public puisqu’elle faisait l’objet d’une poursuite judiciaire. À la plainte sont annexées des copies de reportages parus dans les grands quotidiens du Québec.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du procureur du Journal de Montréal (Me François Fontaine, avocat)
Les liens entre la famille Péladeau et le Journal étant connus de tous, quand les procédures judiciaires ont été rendues publiques, le Journal se voyait confronté à une situation d’apparence de conflit d’intérêts. Par conséquent, avant de traiter de l’affaire, le quotidien devait s’assurer de la plus grande objectivité et impartialité possibles quant à ce qui serait publié sur le sujet.
Me Fontaine souligne que les seuls articles invoqués par le plaignant sont ceux publiés au tout début des procédures et qu’ils émanent tous de la Presse Canadienne, sauf celui du quotidien La Presse qui est l’article d’origine.
Me Fontaine explique ensuite que les procédures se déroulant à Montréal, le Journal ne pouvait reprendre ce qui était disponible via la Presse Canadienne, celle-ci n’étant accessible que pour les médias hors de Montréal. Cependant, dès la semaine du 10 mai, le Journal a demandé à la PC de lui acheminer les articles impliquant la famille Péladeau, lesquels ont été publiés dans le quotidien, tel qu’il appert d’un article paru le 15 mai et dont la plainte ne fait pas état. De même en est-il des articles parus les 18 et 26 août et le 16 septembre.
Le procureur en conclut ainsi qu’il est faux de prétendre que les procédures en question n’ont fait l’objet d’aucune couverture puisqu’à compter du 10 mai 1999, le quotidien a publié les articles émanant de la Presse Canadienne, évitant ainsi, quand c’était possible et nécessaire, les apparences de conflit d’intérêts pour ses journalistes.
Me Fontaine ajoute qu’il est faux de prétendre qu’aucun journaliste n’a été affecté à la couverture de l’affaire puisqu’un journaliste est affecté en permanence aux affaires judiciaires du Palais de justice de Montréal, ce qui permettait au Journal de s’assurer de la fidélité des textes de la PC aux événements. De plus, certains autres articles ont été écrits par des journalistes du Journal quand les sujets n’avaient pas pour effet de les placer en situation de conflit d’intérêts.
Le procureur du Journal indique enfin qu’un grief essentiellement identique à la plainte a été déposé par le Syndicat, ce qui semble indiquer que la présente plainte s’inscrirait davantage dans un contexte de relations syndicat-employeur que dans le but de protéger le droit du public à l’information. Le procureur estime que le Conseil de presse ne devrait pas permettre qu’on l’utilise ainsi à des fins détournées et devrait en conséquence rejeter la plainte.
Réplique du plaignant
Le Syndicat rappelle que l’objet de sa plainte est d’avoir délibérément omis de publier d’importantes nouvelles relatives aux démêlés juridiques de la famille Péladeau. Il insiste sur le fait qu’à cause de l’importance des entreprises possédées par la célèbre famille, ses démêlés juridiques étaient du domaine public et devaient faire l’objet d’une couverture complète et minutieuse. Des milliers d’investisseurs détiennent des titres des différentes compagnies ou corporations de l’empire Quebecor et ils avaient le droit de savoir, estime le Syndicat.
À l’argument du mis-en-cause voulant qu’avant de traiter de cette affaire il était primordial que le Journal s’assure de la plus grande objectivité et impartialité quant à ce qui serait publié sur le sujet, le plaignant répond que les deux principaux dirigeants de Quebecor – Pierre Karl et Érik Péladeau – ont largement utilisé les pages du Journal pour défendre leur point de vue et redorer leur image publique. L’espace rédactionnel qui leur a été accordé était sans commune mesure avec le peu d’espace consacré à la couverture de cette saga. Et de plus, le syndicat s’interroge sur l’objectivité et l’impartialité de la direction de
l’information qui n’a jamais tenté d’obtenir la version des autres membres de la famille dans cette affaire.
Le Syndicat ajoute qu’il voit mal comment les journalistes du S.T.I.J.M. auraient pu se trouver en situation de conflit d’intérêts ou en apparence de conflit d’intérêts dans la situation, aucun membre du Syndicat n’ayant d’intérêt personnel dans cette affaire.
Le Syndicat fait également ressortir l’illogisme d’affirmer que le journaliste affecté aux affaires judiciaires, Rodolphe Morissette n’avait pas l’impartialité ou la compétence pour rédiger les textes relatifs à la famille, mais qu’il en avait suffisamment pour juger de la qualité des textes émanant d’une agence de presse. De plus, M. Morissette a confirmé au Syndicat que jamais la direction du Journal ne l’a consulté au sujet des articles provenant de la Presse Canadienne et que c’est lui qui a demandé à sa rédactrice en chef de quelle manière couvrir ce sujet. Il aurait alors reçu comme réponse » Nous avons reçu l’ordre de ne rien publier là-dessus « .
Le plaignant répond enfin à l’affirmation selon laquelle le Journal a agi selon les règles de l’art en publiant huit articles sur le sujet. Sept des articles sont postérieurs à la plainte déposée devant le Conseil de presse. Le S.T.I.J.M. demande au Conseil de ne fonder sa décision que sur les événements qui sont antérieurs au dépôt de la plainte le 5 juillet 1999. Le plaignant inclut une liste de tous les articles publiés par les autres quotidiens francophones entre le 7 mai et le 5 juillet 1999.
Commentaires à la réplique
Me Fontaine fait valoir que le Syndicat ayant constaté que le Journal avait fait le suivi du dossier des affaires judiciaires de la famille Péladeau, il cherche « in extremis » à bonifier sa position et à avancer de nouveaux griefs. De plus, pour que sa plainte puisse continuer à avoir un sens, le Syndicat demande au Conseil de limiter celle-ci à ce qui a été publié entre le 7 mai et le 5 juillet 1999 pour fonder sa décision. Il fait observer que, paradoxalement, le Syndicat fait état dans sa réplique de la « déclaration des frères Péladeau mais passe sous silence qu’elle a été publiée le 6 août ». Si la plainte devait être considérée selon la situation prévalant au 5 juillet, cette déclaration et les conclusions qui en découlent ne devraient pas être considérées.
Me Fontaine précise que le Journal n’a jamais prétendu que le journaliste affecté aux affaires judiciaires n’avait pas la compétence ou l’impartialité pour rédiger les textes relatifs à la famille Péladeau, mais que le Journal avait choisi, selon la nature de la nouvelle et pour assurer la plus grande objectivité et impartialité, de reprendre les nouvelles de la Presse Canadienne, tout en pouvant toujours référer à son journaliste pour s’assurer de l’exactitude des faits et des événements. Le fait que ce dernier n’a pas eu à être consulté n’est pas pertinent et tendrait plutôt à confirmer que les articles de la PC étaient fidèles aux événements et informaient pleinement les lecteurs.
En ce qui concerne l’affirmation imputée à la rédactrice en chef, le procureur trouve étrange qu’elle n’ait été invoquée que dans la réplique et non dans la plainte. Il considère qu’elle ne pourrait être admise à moins que la preuve complète du contexte n’ait été prouvée et que les témoins de la conversation n’aient été contre-interrogés, sans quoi elle ne constituerait que du «ouï-dire ». Or ce ne serait pas le mandat du Conseil d’entendre une preuve contradictoire et cela ne relèverait pas de sa compétence.
Analyse
Le cas soumis à l’attention du Conseil de presse met en opposition des principes fondamentaux: celui de la liberté rédactionnelle reconnue aux entreprises de presse et celui du droit du public à l’information. Ces principes peuvent se résumer ainsi:
L’information communiquée au public fait nécessairement l’objet de choix rédactionnels et subit un traitement journalistique. Or, ces choix et ce traitement, de même que la façon de présenter l’information, relèvent du jugement et des prérogatives des médias et des professionnels de l’information.
Les médias contreviendraient à leurs responsabilités et compromettraient le droit à l’information si […] les entreprises de presse imposaient à leurs journalistes des consignes de silence subtiles ou fermes, si elles exerçaient sur eux des pressions les engageant à taire une information ou à la traiter selon leurs intérêts politiques, commerciaux ou autres.
Les motifs principaux évoqués par le plaignant concernaient l’ingérence et la censure exercées par les hauts dirigeants du groupe Quebecor sur Le Journal de Montréal dans la saga juridique opposant les héritiers du fondateur du quotidien, Pierre Péladeau.
Le Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal demandait au Conseil de presse de faire porter sa plainte sur la période ayant précédé son dépôt, soit entre les 7 mai et 5 juillet 1999. Pour les fins d’examen, le Conseil a choisi de considérer l’ensemble des éléments fournis par le plaignant et les mis-en-cause, afin d’obtenir un éclairage plus complet sur les circonstances et les arguments des parties.
De l’avis du Conseil de presse, Le Journal de Montréal avait le droit légitime de faire les choix rédactionnels qui lui apparaissaient les plus adéquats pour bien informer le public, tout en s’assurant de ne pas tomber dans le conflit d’intérêts, ou dans son apparence.
Le Conseil reconnaît aux médias le droit de choisir de ne pas couvrir certains événements. Cependant, quand un média choisit de couvrir un événement, il a la responsabilité de le faire de façon complète et équitable.
Or, l’examen de la plainte révèle pour la période ayant précédé le dépôt de la plainte au Conseil de presse, soit la période comprise entre les 5 mai et 7 juillet 1999, un manque d’équilibre dans le traitement de l’information. Sur cinq sujets traités au cours de cette période par les quotidiens concurrents, un seul a été rapporté par le quotidien de la rue Frontenac et encore, cet article apparaît refléter les intérêts de certains membres de la famille Péladeau.
Durant la période équivalente de deux mois suivant le dépôt de la plainte, Le Journal de Montréal publiera neuf articles sur les démêlés juridiques de la famille. Le Conseil constate que ces articles reflètent, pour leur part, un équilibre journalistique qui n’était pas évident dans la couverture pour la période de temps précédent le dépôt de la plainte.
Aussi, pour l’ensemble de ces considérations, le Conseil de presse rejette, en premier lieu, le principal grief de la présente plainte en regard de la censure; en second lieu cependant, le Conseil considère que Le Journal de Montréal a manqué à sa responsabilité envers ses lecteurs de livrer un traitement équilibré du sujet en cause pour la période précédent le dépôt de la plainte.
Analyse de la décision
- C01B Objection à la prise de position
- C02A Choix et importance de la couverture
- C02B Moment de publication/diffusion
- C03A Angle de traitement
- C03D Emplacement/visibilité de l’information
- C06D Ingérence extérieure dans la rédaction
- C06G Ingérence de la direction du média
- C06H Affectation des journalistes
- C07A Entrave à la diffusion/distribution
- C12A Manque d’équilibre
- C13A Partialité
- C22C Intérêts financiers
- C22F Liens personnels
- C22H Détourner la presse de ses fins