Plaignant
Parti Québécois (Fabien Béchard,
vice-président)
Mis en cause
Elizabeth Thompson, journaliste et The
Gazette (Raymond Brassard, directeur de l’information)
Résumé de la plainte
Fabien Béchard, vice-président du
Parti Québécois (PQ), porte plainte contre la journaliste Elizabeth Thompson du
quotidien The Gazette pour avoir tenté d’enregistrer les propos tenus
lors d’une réunion à huis clos qui a eu lieu le dimanche 26 novembre 1999. M.
Béchard s’exprime au nom de son parti.
Griefs du plaignant
Le plaignant raconte
« qu’un membre de [leur] organisation a vu la correspondante de The
Gazette apposer son enregistreuse sur une fenêtre de l’étage donnant sur la
salle de réunion et enregistrer des éléments stratégiques confidentiels
présentés lors de cette réunion ». Le plaignant précise que la
journaliste a avoué son geste et a affirmé que « la qualité sonore ne
permettait pas un enregistrement audible des travaux ». Cependant, la
journaliste a refusé que l’on écoute sa cassette « invoquant le fait
que cette pratique était contraire aux directives de The Gazette ».
Le Parti Québécois condamne le
geste de la journaliste considérant qu’il s’agit d’ « un manque
flagrant d’éthique et de professionnalisme ». Pour justifier sa
plainte, Fabien Béchard fait valoir le fait que « le lien de
confiance entre [leur] formation politique et les médias d’information est
important pour [eux] ».
Commentaires du mis en cause
Commentaires de la journaliste
Elizabeth Thompson:
La journaliste confirme avoir placé
son magnétophone, durant quelques minutes, sur le rebord d’une fenêtre donnant
sur la réunion à huis clos du parti. Elle précise que l’endroit où elle se
trouvait était public. Elle justifie le fait de ne pas avoir remis son
enregistrement en disant que « cela aurait été une violation claire
de toute règle de procédure journalistique ». Elizabeth Thompson
rappelle que rien n’a été publié sur ce qui s’est dit durant ce huis clos et
qu’on la soupçonne d’avoir enregistré; « il n’y avait tout simplement
pas d’information à publier » ajoute-t-elle.
La journaliste s’étonne de la
plainte dont elle est l’objet en racontant qu’un responsable des relations
publiques du PQ, Pierre-Luc Paquette, lui avait expliqué que la pratique du
magnétophone dissimulé était courante; « c’est de bonne
guerre » aurait-il même ajouté. Pour légitimer son attitude, elle
présente les arguments suivants:
Tout d’abord « je ne me
suis pas cachée et je n’ai pas caché mon magnétophone » dit-elle (on
l’a d’ailleurs vue). Ensuite, elle précise qu’elle est « demeurée
dans un endroit public » et qu’une autre journaliste se trouvait là.
Par ailleurs, elle fait remarquer qu’elle n’a utilisé « aucun
équipement spécial pour améliorer la qualité du son ou même un micro
directionnel comme celui qu’utilisent les journalistes de presse
électronique ». Enfin, Elizabeth Thompson insiste en maintenant
qu’elle n’a « pas transgressé le huis clos » et renvoie
l’accusation au PQ en expliquant qu’ « il n’a pas pris les mesures
normales pour s’assurer de la sécurité de sa salle ». Elle y voit
d’ailleurs une possible origine de cette plainte: elle «
proviendrait [selon elle] de personnes qui se trouvent dans l’eau bouillante
pour avoir laissé une telle situation se produire ».
Pour conclure, Elizabeth Thompson
accuse le Parti Québécois de vouloir « utiliser le Conseil de presse
comme outil pour intimider les journalistes qui pourraient avoir envie de se
démarquer du troupeau pour aller fouiller plus loin que les communiqués et les
conférences de presse organisées ».
Commentaires de Raymond
Brassard, directeur de l’information:
Raymond Brassard considère que la
journaliste « n’a contrevenu à aucune ligne d’éthique
journalistique ». À propos de la réunion du parti, Il fait remarquer
que « les partis politiques ne doivent pas se faire d’illusions en
pensant garder longtemps secrète la teneur des discussions qui s’y tiennent
compte tenu du grand nombre de participants, la plupart étant membres du parti,
à chaque session ».
Il souligne, à l’instar d’Elizabeth
Thompson que ce qu’a fait celle-ci, « elle l’a fait à la vue de tout
un chacun et sans tenter de se cacher ».
Enfin, il considère comme un manque
de professionnalisme, « l’attitude du personnel du Parti Québécois
qui a harcelé Mme Thompson à plusieurs reprises et qui l’a même coincée pour
tenter de l’intimider et la forcer à remettre sa bandesonore « .
Réplique du plaignant
Fabien Béchard maintient la plainte
du Parti Québécois malgré les explications de la plaignante. Il ajoute:
« Cet incident nous amène à nous interroger […] sur le droit de tout
organisme d’échanger à huis clos avec ses membres, qu’ils soient au nombre de
4, de 40 ou de 400″.
Analyse
Les journalistes doivent s’interdire de recourir aux techniques qui relèvent de l’abus de confiance [par exemple enregistrer une conversation à l’insu d’une personne, ne pas informer un interlocuteur que ses propos sont diffusés en ondes] ou qui s’apparentent à la violation ou à l’invasion de la propriété et de la vie privée. C’est là une question de probité et d’intégrité professionnelles et personnelles.
L’analyse de la plainte soumise à l’attention du Conseil de presse fait apparaître que la journaliste Elizabeth Thompson n’a pas contrevenu à ce principe déontologique lors de la tenue du conseil national du Parti Québécois en novembre 1999. Deux raisons permettent d’affirmer cela. Tout d’abord, Elizabeth Thompson n’a pas dissimulé son magnétophone mais l’a placé au contraire dans un lieu public, à la vue de tout le monde; un membre du parti l’a d’ailleurs remarqué pendant le huis clos sans intervenir pour autant. D’autre part, les représentants du Parti Québécois ne pouvaient que supposer que la journaliste avait en sa propriété des informations confidentielles sur un enregistrement en vue d’un article. En effet le geste d’Elizabeth Thompson n’a donné lieu à aucune publication. Le Conseil de presse ne saurait faire porter sa décision sur des intentions attribuées à la journaliste.
Finalement, si Elizabeth Thompson s’est servi d’une faille dans l’organisation de la réunion, il ne s’agit pas à proprement parler d’un enregistrement clandestin. Dans cette optique, personne n’avait le droit de la contraindre à donner sa cassette. Il est regrettable que des membres du service des relations publiques aient tenté d’intimider la journaliste en faisant pression sur elle pour obtenir la cassette.
Pour toutes ces raisons, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte contre Elizabeth Thompson.
Analyse de la décision
- C23E Enregistrement clandestin