Plaignant
Nathalie Leblanc
Mis en cause
Jean-Michel Gauthier, journaliste
et LeDroit (Pierre Bergeron, président et éditeur)
Résumé de la plainte
Nathalie Leblanc porte plainte
contre le journaliste Jean-Michel Gauthier et le journal LeDroit pour
avoir publié un article intitulé « L’affaire du petit
Leblanc » le 23 septembre 1999. L’article mis en cause traite d’une
tragédie qui s’est produite en 1971. Gilles Leblanc était un petit garçon de 10
ans, enlevé et assassiné sans que jamais on ne puisse condamner son bourreau.
Le journaliste revient sur les démêlés de cette affaire qui avait fait beaucoup
de bruit au Québec, le jour anniversaire de sa mort, 28 ans après l’événement.
Griefs du plaignant
Nathalie Leblanc reproche à
Jean-Michel Gauthier de ne pas avoir écrit cet article dans un souci d’intérêt
public mais par volonté de faire du « sensationnalisme »;
« Les victimes de cette tragédie, [dit-elle], furent exposées contre
leur gré à faire face à des photos et à des propos causant à nouveau un choc
post-traumatique ». La plaignante se montre extrêmement sévère avec
le journaliste en l’accusant d’avoir voulu « exploit[er] le malheur
d’autrui ».
Par ailleurs, Nathalie Leblanc ne
comprend pas pourquoi « l’article laisse sous-entendre que la famille
attend que justice soit faite »; selon elle, cela pourrait menacer
« la sécurité des membres de cette famille ».
Enfin, elle regrette que François
Roy, directeur de l’information du Droit et Pierre Bergeron, président
et éditeur aient refusé de « formuler des excuses dans leur
journalou de clarifier que la famille n’attend pas que justice soit
faite ».
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Pierre Bergeron,
président et éditeur du Droit:
Après avoir rappelé « le
caractère fort délicat de toute cette affaire », Pierre Bergeron fait
valoir la nature toujours publique de ces événements puisqu’
« un assassin court toujours et que justice n’a pas été faite ».
Il considère que Jean-Michel Gauthier et LeDroit ont fait leur
« travail de façon respectueuse et consciencieuse sans verser dans le
macabre ». Il estime également qu’il n’y avait pas lieu de
s’excuser: « Nous avons pris le parti de remettre sous les
faisceaux de l’actualité une triste affaire sans avoir versé dans
l’exploitation ».
Par ailleurs, Pierre Bergeron
explique que ce reportage « s’inscrivait dans une démarche de rappel
d’un malheureux événement qui n’a jamais connu de dénouement ».
Commentaires de Jean-Michel
Gauthier:
Le journaliste revient à son tour
sur la pertinence de ce sujet, vingt-huit ans après. Selon lui, cet
anniversaire était « une occasion de raconter pour la première fois
tous les événements qui ont suivi le drame ». Il considère que l’intérêt
public de l’affaire a été confirmé par les « dizaines d’appels de
lecteurs et de lectrices le jour de la publication ».
Concernant les reproches de
Nathalie Leblanc de ne pas avoir consulté la famille avant la publication de
l’article, Jean-Michel Gauthier atteste avoir « tenté par tous les
moyens de joindre la mère de Gilles Leblanc par téléphone ».
Finalement, il a rejoint « l’épouse d’un demi-frère de la victime
[qui] a refusé de [lui] donner le numéro de la mère de Gilles Leblanc[et
qui lui] a expliqué que la famille Leblanc avait été éprouvée par la tragédie
et que personne ne souhaitait revivre ce drame en accordant une
entrevue ». De plus, le journaliste est stupéfié par les accusations
de Nathalie Leblanc car elle lui aurait confirmé par téléphone, le 23 septembre
1999 que même s’il avait joint la mère de Gilles Leblanc, « elle
aurait refusé de […] parler ».
Enfin, il rappelle que
« le reportage ne comportait aucun fait nouveau » et que la
mention « la famille attend toujours que justice soit faite »
faisait référence à une déclaration de Mme Leblanc en 1979, après
l’acquittement du présumé meurtrier: « Nous ne crions pas
vengeance, nous demandons justice ».
Réplique du plaignant
Réplique aux commentaires de
Pierre Bergeron:
Alors que Pierre Bergeron insiste
sur la pertinence de publier un tel reportage, Nicole Leblanc questionne «
la façon » dont le reportage a été écrit ainsi que les procédés qui ont
permis d’obtenir des dites informations.
La plaignante attire l’attention en
particulier sur le fait que les photos « d’une mère pleurant sur le
cercueil de son fils » ont été ajoutées; elle s’interroge sur
« la pertinence de ces images troublantes, leur rôle au niveau de
l’information ».
Par ailleurs, elle assure que le
journaliste Jean-Michel Gauthier n’a pas cherché à joindre la mère de la
victime. Elle nourrit sa certitude du fait que le numéro de la personne en
question se trouve dans le bottin téléphonique et qu’elle est au nombre des
abonnés du journal.
Enfin, elle revient sur l’allusion
à la justice qu’attendrait la famille ; elle demande une explication sur ce
point.
Réplique aux commentaires de
Jean-Michel Gauthier:
Nathalie Leblanc conteste la
justification de l’article apportée par Jean-Michel Gauthier:
« Les médias [dit-elle] avaient couvert largement les dénouements
juridiques et l’impact sur la famille Leblanc ». Ensuite, la
plaignante se demande pourquoi le journaliste n’a pas » traité le manque
de sévérité des tribunaux de façon globale » sans s’attarder
exclusivement sur ce cas. De plus, elle affirme que, comme elle, « un
grand nombre de lecteurs jugea cet article cruel, irrespectueux et
sensationnel ».
Enfin, Nathalie Leblanc fait
remarquer qu’elle joint la liste des abonnés Leblanc dans l’annuaire
téléphonique. Le journaliste aurait « déformé [ses]
propos » dans ses commentaires au sujet de leur conversation du 23
septembre. Elle aurait informé Jean-Michel Gauthier du fait qu’il était trop
tard pour demander une entrevue à sa mère. Mais elle affirme à nouveau que sa
mère aurait refusé.
Analyse
À cause de leur caractère pénible tant pour les victimes que pour leurs proches et souvent pour le public, les drames humains sont des sujets particulièrement délicats. Cependant, la liberté de la presse et le droit à l’information seraient compromis si les médias s’interdisaient d’en faire état. Dans de tels cas, les médias doivent être particulièrement attentifs à ne pas franchir la limite entre ce qui est d’intérêt public et ce qui relève de la curiosité du public.
Jean-Michel Gauthier a fait un travail d’analyse dans son article sur « L’affaire du petit Leblanc ». Même s’il s’agit d’un meurtre qui a été commis il y a 28 ans, le traitement adopté par le journaliste conduit sobrement le lecteur à s’interroger sur un crime qui n’a jamais été puni. L’analyse du texte ne fait apparaître aucune dérive sensationnaliste. De plus, la jurisprudence du Conseil de presse permet de conclure que Jean-Michel Gauthier n’était pas tenu d’obtenir l’autorisation de la famille avant la publication; avoir fait paraître cet article alors que la famille ne voulait pas y collaborer n’est donc pas condamnable en soi.
La plainte de Nathalie Leblanc faisait également mention des nombreuses photos utilisées pour illustrer l’article. L’utilisation massive de photos semble entrer en contradiction avec la sobriété du texte. Bien que ces photos n’aient qu’une connotation historique, le Conseil de presse comprend la douleur que peut représenter à nouveau, pour les membres de la famille Leblanc, la médiatisation d’un événement aussi tragique.
En dépit de cette réserve, le Conseil estime que Jean-Michel Gauthier et le journal LeDroit ne sauraient être blâmés pour leur article sur « L’affaire du petit Leblanc ».
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15I Propos irresponsable
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches