Plaignant
Les Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw et M. Michael Udy, directeur général
Mis en cause
M. Raymond Gervais, journaliste, et La Presse (Marcel Desjardins, directeur de l’information)
Mmes Uyen Vu et Kate Swoger, journalistes, et The Gazette (Raymond Brassard, directeur de l’information)
Résumé de la plainte
Deux jeunes filles respectivement de 10 et 13 ans, faisant l’objet d’interventions de la part de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), disparaissent au début d’une fin de semaine et sont retrouvées un peu plus de 24 heures plus tard. Deux quotidiens montréalais, The Gazette et La Presse, rapportent la nouvelle en nommant les deux fillettes dans des articles publiés dans leur édition du dimanche, 12 septembre 1999.
Les Centres de la jeunesse et de la famille Batshaw portent plainte en invoquant que ces quotidiens contreviennent de façon flagrante aux dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse qui prévoient que tout renseignement permettant d’identifier un enfant ou ses parents dans le cadre de l’application de cette loi est confidentiel.
Griefs du plaignant
Les plaignants reprochent au quotidien The Gazette et à ses journalistes Uyen Vu et Kate Swoger, de même qu’au quotidien La Presse et à son journaliste Raymond Gervais, d’avoir transgressé la règle de confidentialité en donnant le nom des jeunes filles et en mentionnant qu’elles faisaient l’objet d’interventions de la DPJ. De plus, le journal La Presse a publié la photo des enfants à l’appui de l’article contesté.
Commentaires du mis en cause
Pour le quotidien The Gazette
Commentaires de la journaliste Uyen Vu :
Mme Vu expose les circonstances et les raisons de la publication des informations. La veille de la publication, à 18 h, la nouvelle du kidnapping faisait la manchette de tous les bulletins de nouvelles. Les jeunes filles n’ayant pas été retrouvées, la police a rendu publics leur nom et leur photographie. Tous les médias dévoilaient les mêmes détails : le nom de l’école, le fait que les jeunes filles étaient en famille d’accueil, le nom de la femme qui était venue les chercher en taxi.
De toute évidence, la police avait donné ces informations aux médias pour qu’ils l’aident à les retrouver et, de la même façon, les services des médias n’étaient plus requis au moment de remettre son article, à 22 h, les jeunes filles ayant été retrouvées. Toutefois, les photos et les noms des jeunes filles avaient été rendus publics et ils paraissaient à toutes les heures dans les bulletins des réseaux de nouvelles. La question de publier ou non les noms des jeunes filles devenait, à ce moment, discutable (moot).
Commentaires de l’adjoint au rédacteur en chef, Brian Kappler :
L’adjoint au rédacteur en chef explique qu’au moment où leur nouvelle a été publiée, leur journal était, à cause de l’heure de tombée, presque le dernier média à rapporter les noms des jeunes filles. Le quotidien The Gazette est tout à fait conscient du besoin de protéger les jeunes gens qui vivent des circonstances difficiles et qui seraient vulnérables. Le quotidien traite souvent de telles questions et il est très soucieux (scrupulous) de la protection de la vie privée. Dans ce cas, cependant, les circonstances étaient inhabituelles.
Pour le quotidien La Presse
Commentaires du directeur de l’information, Marcel Desjardins :
D’entrée de jeu, le directeur de l’information souligne que son journal, à l’instar d’autres médias, a participé à un échange d’information organisé par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse sur le cas soulevé par les plaignants et quelques autres du même genre, le 23 septembre. à la suite de cette rencontre de sensibilisation, les mises en garde ont été réitérées aux journalistes du quotidien et on leur a expliqué à nouveau la rigueur avec laquelle s’applique la Loi sur la protection de la jeunesse dans la couverture de ce genre d’événements.
Le directeur de l’information dit que ses collègues et lui reconnaissent qu’il y a eu manque de vigilance de leur part et regrettent l’incident. M. Desjardins souligne cependant que leur bonne foi ne peut et ne doit pas être mise en cause dans ce cas.
Réplique du plaignant
Les plaignants n’ont présenté aucune réplique.
Analyse
Le Conseil de presse tient à rappeler que l’examen des plaintes soumises à son attention ne visait pas à déterminer si les mis-en-cause avaient commis quelque faute en regard de la Loi de la protection de la jeunesse ou de toute autre prescription relevant des tribunaux, mais de trancher dans les questions relevant de l’éthique journalistique.
La déontologie précise, en regard de la protection des personnes mineures, que lorsque la presse juge pertinent d’informer le public sur les problèmes judiciaires des personnes mineures, elle devrait s’abstenir de publier toute mention propre à permettre leur identification, que ces personnes soient impliquées comme accusées, victimes ou témoins d’événements traumatisants, et cela en vue de ne pas compromettre leurs chances de réinsertion sociale et familiale.
Or, l’examen des deux dossiers soumis au Conseil de presse révèle que les renseignements nominatifs et les photographies des enfants avaient été rendus publics, sur demande des policiers, plusieurs heures avant leur publication par les deux quotidiens. Les deux jeunes filles ayant été retrouvées, il était normal que dans la continuité du service public, ces deux médias avisent leurs lecteurs qu’elles n’étaient plus recherchées.
Ces informations étant du domaine public, les médias pouvaient donc les utiliser sans que cela représente une entorse formelle à la déontologie.
Le Conseil inscrit cependant une réserve, dans le cas du quotidien La Presse en ce qui a trait à la publication des photographies des jeunes filles. Comme ces dernières avaient été retrouvées, il ne devenait plus nécessaire, pour informer adéquatement le public que les recherches pouvaient cesser, d’en publier les photos. Une telle abstention aurait penché davantage dans le sens des principes de la protection de l’identité des mineures pour favoriser leurs chances de réinsertion sociale, puisque les informations n’avaient circulé que quelques heures dans les médias.
Décision
Cette réserve ayant été exprimée, le Conseil rejette la plainte contre les quotidiens The Gazette et La Presse et contre leurs journalistes respectifs.
Analyse de la décision
- C16B Divulgation de l’identité/photo