Plaignant
M. Giles Lamoureux-Gadoury
Mis en cause
MM. Paul Gauthier et Denis Gratton, journalistes et LeDroit (Pierre Bergeron, président et éditeur)
Mme Françoise Boivin, animatrice et CJRC-AM (Carmen Rodrigue, directrice générale)
Résumé de la plainte
à la suite d’une plainte de M. Lamoureux-Gadoury, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPJ) avait rendu une décision par laquelle elle imposait à la Municipalité de Saint-André-Avellin « d’admettre que la pratique de réciter la prière lors de la séance du conseil municipal viole les articles 2 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne et de cesser d’appliquer la pratique de la prière lors de la séance du conseil municipal ».
Giles Lamoureux-Gadoury porte plainte contre les médias mis en cause pour leur traitement inadéquat de l’information lorsqu’ils ont rapporté la décision. Les objets visés par la plainte devant le Conseil sont les suivants :
– pour le quotidien LeDroit, un article signé Paul Gauthier, paru le 6 janvier 2000;
– également dans LeDroit, un texte du chroniqueur Denis Gratton paru le 15 janvier 2000;
– pour la station CJRC-AM, des portions de l’émission Le Choc des idées (9h à 11h30) du 6 janvier 2000 et de l’émission d’information du matin (6h à 9h) du 11 janvier 2000.
Le Conseil a choisi de traiter dans un même ensemble les trois dossiers : tous les contenus journalistiques touchaient le même sujet, soit la décision de la Commission, les deux articles provenaient du même média, le quotidien LeDroit, et les deux commentaires ont été faits à la suite de ces articles, sur les ondes de la même station CJRC Outaouais.
Griefs du plaignant
PLAINTE CONTRE PAUL GAUTHIER ET LEDROIT :
M. Lamoureux-Gadoury reproche au journaliste Paul Gauthier d’avoir délibérément exercé une vengeance à son endroit, même s’il avait eu gain de cause devant la Commission. Le journaliste a donné la parole au maire Jean-Denis Lalonde, mais a exclu celle du plaignant et celle du président de la Commission. M. Lamoureux-Gadoury s’interroge sur les motifs de M. Gauthier : est-ce une attaque parce qu’il est de foi orthodoxe russe ou parce qu’antérieurement, dans un autre dossier, il a désavoué le journaliste et l’a dénoncé au Conseil de presse?
Le plaignant ajoute que le journaliste n’a pas fait le tour de la question et qu’il aurait dû, dans les circonstances, référer le dossier à un confrère afin d’en préserver l’objectivité. En outre, le journaliste n’aurait pas dû mentionner qu’il était d’obédience orthodoxe russe. L’article laisserait ainsi entendre faussement que pour cette raison le plaignant est intolérant face à la prière, ce qui entacherait sa réputation. Il demande donc réparation par un autre article sur lequel il s’entendrait avec le journaliste, avant publication.
PLAINTE CONTRE DENIS GRATTON ET LEDROIT :
Le plaignant répond à l’article de M. Gratton par une « lettre ouverte » adressée au journaliste. Il s’étonne de tout le tapage que l’on fait autour de la question de la prière lors des ouvertures des assemblées du conseil municipal, alors que sa plainte à la Commission remonte en août 1995 et se demande où était alors le journal LeDroit. Le plaignant considère que ce qu’il doit vivre maintenant est le fruit de l’article antérieur du journaliste Paul Gauthier. Il explique que sa situation devient « ostracisante » pour un citoyen qui doit vivre dans une petite communauté comme Saint-André-Avellin. Les retombées dans sa municipalité seraient maintenant nombreuses et inqualifiables.
Après avoir élaboré sur la question de la prière et celle du respect d’un conseiller municipal, l’accusant au passage de faire de la discrimination à son endroit, le plaignant répète que le fait d’être un chrétien de foi orthodoxe le concerne personnellement et qu’il ne sent aucun besoin de le démontrer ou de le manifester dans des endroits publics non confessionnels.
Le plaignant indique qu’un travail journalistique bien préparé aurait amené le journaliste à apprendre de lui, ou du représentant de la Commission, les motifs de sa démarche et aurait évité de créer la situation actuelle, basée sur la tromperie. L’affubler d’une étiquette religieuse était inadmissible et donnait un ton de guerre de religion à son article, ce qui est condamnable dans les circonstances. Le plaignant conclut qu’il est facile d’abîmer une réputation en faisant de la pure désinformation.
PLAINTE CONTRE FRANçOISE BOIVIN ET CJRC OUTAOUAIS :
M. Lamoureux-Gadoury porte plainte, contre la station et sa collaboratrice pour avoir tenu à son endroit des propos disgracieux, diffamatoires et « ostracisants ». Le plaignant dit avoir téléphoné à Mme Boivin le 6 janvier 2000, mais celle-ci n’aurait pas retourné son appel. Lors d’une brève conversation téléphonique avec la directrice générale, Carmen Rodrigue, pour demander copie de l’émission, celle-ci lui aurait indiqué qu’elle communiquerait à nouveau avec lui, ce qui n’a pas été fait. Le plaignant inclut également copie de ses lettres au quotidien LeDroit et copie d’une plainte auprès du CRTC. Ces documents servent de base à sa plainte contre la journaliste.
Dans sa plainte au CRTC, la plaignant réclame copie de deux émissions animées par Mme Boivin. Le plaignant conteste l’attitude de la mise-en-cause, pour avoir passé des commentaires gratuits, alors que celle-ci ne le connaît aucunement. Le plaignant ne l’a jamais rencontrée et ne lui a jamais accordé d’entrevue, non plus qu’à un ou à une de ses recherchistes. Ses commentaires à l’endroit du plaignant sont donc gratuits et non fondés. S’inspirant de l’article de Paul Gauthier qui n’avait entendu que la seule version du maire Jean-Denis Lalonde, Mme Boivin s’est octroyée le droit d’utiliser un ton qui faisait de lui « un anti-catholique, anti-prière », « l’ostracisant » face à toute la communauté de son village.
Le plaignant demande copie de l’émission ainsi que de celle du 11 janvier où Mme Boivin serait revenue sur la question. Le plaignant précise que le service des nouvelles de CJRC l’a contacté à 6h40 le matin, mais qu’il a refusé l’interview, attendant un appel téléphonique de la directrice générale, afin de discuter avec elle des propos de Mme Boivin qui l’aurait traité de façon injuste. M. Lamoureux-Gadoury comprend mal pourquoi Mme Boivin a agi ainsi puisque la Commission lui avait donné raison.
Le plaignant annexe à sa plainte copie de sa lettre du 6 janvier 2000 dans laquelle il demandait copie de l’émission de ce jour. Dans cette lettre, il expose ses griefs concernant le fait que l’animatrice n’ait pas vérifié ses sources et également le fait de l’avoir traité de « petit individu ». Il y explique également le fondement de sa démarche devant la CDPJ.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de l’éditeur, Pierre Bergeron à l’article de M. Paul Gauthier :
L’éditeur estime que M. Gauthier s’est acquitté de sa tâche d’information de façon responsable et que la plainte formulée à son endroit, de même qu’à l’endroit de son quotidien, est injustifiée et doit être rejetée. M. Bergeron rappelle que l’événement a suscité beaucoup d’intérêt, non seulement dans la municipalité de Saint-André-Avellin mais dans toute la région. Un autre article paru le 12 janvier 2000 et annexé à sa réponse ajoutait des précisions sur l’affaire et la remettait en contexte.
M. Bergeron indique que dans le texte faisant l’objet de la plainte, le journaliste s’en était tenu au libellé de la décision de la Commission et il cite l’objet de la plainte, tel que formulé dans le préambule du rapport de la Commission. L’éditeur conclut que M. Gauthier s’est acquitté de sa tâche d’information de façon judicieuse et sobre, ajoutant que selon lui rien ne donne prise aux allégations du plaignant.
Commentaires de l’éditeur, Pierre Bergeron à l’article de M. Denis Gratton :
L’éditeur avoue ne pas comprendre très bien l’objet de cette plainte puisqu’il ne relève aucun manquement à la déontologie dans la chronique de son collègue Denis Gratton. L’article en cause portait sur une affaire publique qui a fait les manchettes non seulement dans l’Outaouais mais ailleurs au Québec. M. Bergeron estime que le chroniqueur s’est acquitté de sa tâche à l’intérieur des normes déontologiques.
Commentaires de M. Michel Arpin, conseiller, Astral Media :
Dans une lettre datée du 6 mars 2000, M. Arpin répond qu’il n’est pas dans leurs pratiques de remettre des copies de leur programmation. Il réfère plutôt le plaignant aux entreprises qui dispensent ces services.
M. Arpin indique avoir pris connaissance des différentes lettres du plaignant et avoir suivi avec intérêt les débats de même nature dans la société québécoise. Comme ce sujet a eu des échos dans de nombreuses communautés du Québec, il était légitime pour l’animatrice Françoise Boivin et la station CJRC d’en traiter dans leurs émissions. étant donné le rôle du plaignant auprès de la Commission, son opinion était connue publiquement. Après que le plaignant ait refusé de faire connaître sa position à son service des nouvelles, la station CJRC s’est tournée vers le maire de sa municipalité.
M. Arpin termine en disant que si le plaignant n’a pas l’impression que les opinions exprimées reflètent son opinion, il peut communiquer directement avec le directeur des émissions de CJRC qui verra à lui accorder un droit de réplique conforme à la politique de son groupe de presse.
Réplique du plaignant
Réplique à l’article de M. Paul Gauthier :
Le plaignant réplique que la réponse de M. Bergeron n’apporte rien et qu’elle ne rend aucunement justice à la déontologie journalistique et à l’objectivité de la presse pour redresser les torts. Il rappelle que le journaliste Paul Gauthier aurait dû, par souci d’objectivité transférer le dossier à un collègue, que le fait d’être de foi orthodoxe russe n’a rien à voir dans la nouvelle ni avec la prière récitée aux séances du conseil municipal.
M. Lamoureux-Gadoury ajoute qu’en n’allant pas aux sources, le journaliste a privé ses lecteurs d’une information pleine et entière, n’ayant pu découvrir les vrais motifs de la plainte déposée devant la CDPJ, ramenant le tout à une simple affaire de religion. En l’identifiant comme membre d’une minorité religieuse, la conséquence a été de le faire remarquer et de l’isoler. Selon le plaignant, un éditeur ne peut accepter qu’un journaliste passe sous silence la version des faits des autres parties concernées.
Réplique à l’article de M. Denis Gratton :
Le plaignant considère que la réponse de l’éditeur est totalement inacceptable. Le chroniqueur avait une volonté de le ridiculiser, sur la base de l’article de Paul Gauthier, un article biaisé et faussé au départ. Le plaignant précise que l’article mentionne que la Commission a sommé le conseil municipal « de ne plus réciter la prière catholique […] au début de ses assemblées publiques », alors que le texte montre qu’il n’est nullement question de prière; la plainte demandait plutôt de changer ou modifier la prière par une minute de réflexion ou de silence afin de respecter les croyances des élus ou des administrés présents.
Plus loin dans son texte, le chroniqueur fait des affirmations gratuites et non fondées lorsqu’il explique la plainte de M. Lamoureux-Gadoury à la Commission. Ce faisant, le journaliste aurait « contribué à renchérir une hargne » des lecteurs du Droit et de ses concitoyens à son endroit. Les arguments soulevés par le chroniqueur n’avaient rien à voir avec la plainte devant la Commission. Il a été présenté comme étant contre la prière et responsable de tous les maux, dans son petit village de 2500 habitants.
L’intervention du chroniqueur est venue jeter de l’huile sur le feu et la réaction de l’éditeur montre le peu de souci de la direction du Droit pour la réputation de ses concitoyens lecteurs. Le plaignant annexe un exemple d’un article du Ottawa Citizen à titre d’exemple de ce qu’est du bon journalisme. Le plaignant conclut en faisant un parallèle entre une décision des tribunaux, en Ontario, et le traitement journalistique contesté.
Réplique à Astral Media :
Le plaignant adresse au Conseil copie de sa réponse à la lettre de M. Arpin. Pour M. Lamoureux-Gadoury, alors qu’il était la personne visée par ces propos, on l’a traité d’une manière inqualifiable et inadmissible. C’est par un tiers qu’il a appris qu’il était question de lui dans l’émission qu’il a ensuite syntonisée pour s’entendre traiter de « petit individu ». Il estime que dans les circonstances, la politesse élémentaire aurait commandé à la station de lui fournir copie de l’enregistrement qu’il était d’ailleurs disposé à payer. Personne non plus n’a essayé de le contacter pour connaître sa version des faits et Mme Boivin n’a pas retourné son appel. Sa communication téléphonique de trois minutes avec la directrice générale ne l’a pas satisfait davantage, Mme Rodrigue lui répétant continuellement qu’elle n’avait pas le temps de l’écouter.
Le plaignant trouve intolérable que M. Arpin tente de couvrir Mme Boivin alors que cette avocate se devait de connaître tous les aspects de la déontologie et de l’éthique des médias. L’animatrice-avocate aurait même été jusqu’à dire qu’elle était « prête à venir défendre la Municipalité ». Pour le plaignant, il était légitime pour elle de traiter du sujet, mais en respectant les normes et l’éthique. Cependant, Mme Boivin s’est plutôt inspirée du texte de quelqu’un qui avait une affaire à régler avec lui. M. Lamoureux-Gadoury termine en répondant à l’invitation de communiquer avec la direction des émissions de la station pour obtenir un droit de réplique. Il donnerait volontiers un tel entretien à la condition préalable que l’émission Le choc des idées rétablisse les faits.
Analyse
Les trois plaintes à l’étude portaient essentiellement sur le traitement journalistique dans deux médias à la suite de la publication de la décision de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
La déontologie du Conseil de presse a déjà précisé, en ce qui a trait au libre exercice du journalisme, que les médias et les professionnels de l’information doivent être libres de relater les événements et de les commenter sans entrave ni menace ou représailles; que l’attention qu’ils décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel; que le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre; enfin, que nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information.
Après examen des trois plaintes le Conseil de presse du Québec en arrive aux conclusions suivantes :
PLAINTE CONTRE PAUL GAUTHIER ET LEDROIT
En vertu de la liberté rédactionnelle qui lui est reconnue, le journaliste avait dans le cas présent le droit de ne pas insister sur les raisons ayant motivé le plaignant dans sa démarche devant la Commission pour se consacrer davantage à rapporter la décision et ses impacts en milieu municipal. La révélation de l’appartenance religieuse du plaignant, tout en représentant une information de nature personnelle, n’était aucunement confidentielle. Elle apparaissait même dans le préambule de la décision de la Commission. De plus, une lecture rigoureuse de l’article du journaliste Paul Gauthier ne révèle aucun sous-entendu ni référence malveillante mais une utilisation neutre de cette information. Le Conseil ne saurait donc, dans les circonstances, retenir quelque grief contre le journaliste et le média mis en cause.
PLAINTE CONTRE DENIS GRATTON ET LEDROIT
Le genre journalistique auquel appartient la chronique, qui tient autant de l’éditorial que du commentaire, permettait au journaliste Denis Gratton de commenter l’actualité. Ce genre journalistique particulier permet, en effet, au journaliste une grande latitude dans la formulation de ses jugements et l’expression de ses prises de position, à condition de respecter les faits. Les auteurs de tels articles doivent cependant mesurer la portée de leurs écrits de façon à éviter de jeter gratuitement le discrédit sur les personnes ou les groupes concernés.
Malgré le ton humoristique, l’article visé par la plainte ne présentait, aux yeux du Conseil, aucun élément de nature offensante ou discriminatoire. Tel qu’établi précédemment, ni l’absence d’entrevue avec le plaignant, ni la mention de la religion du plaignant ne constituaient une entorse à l’éthique professionnelle. Le journaliste pouvait légitimement commenter les faits en dirigeant son regard sur les impacts et les difficultés d’application de la décision plutôt que sur les intentions du plaignant. Le Conseil ne retient donc aucun grief contre le journaliste et le média mis en cause.
PLAINTE CONTRE FRANçOISE BOIVIN ET CJRC OUTAOUAIS
De même que dans les deux décisions précédentes et pour les mêmes raisons, le fait que l’animatrice Françoise Boivin n’ait pas rapporté la position du plaignant et celle du président de la Commission ne présentaient pas, dans le cas qui nous occupe, d’atteinte à l’éthique journalistique. De même en est-il de la mention de la religion du plaignant.
Selon le plaignant, Mme Boivin ne l’aurait pas consulté. Ni elle, ni sa directrice générale, Carmen Rodrigue, n’ont jugé bon de le rappeler. Dans le présent cas, l’éthique journalistique n’obligeait pas les médias et les journalistes à interroger qui que ce soit en particulier, le point de vue de M. Lamoureux-Gadoury étant déjà connu publiquement. Même si celui-ci aurait apprécié que l’on connaisse ses motivations personnelles, le Conseil estime que cette information n’était pas essentielle au débat.
Pour ce qui est du reproche d’avoir tenu à son endroit des propos disgracieux, diffamatoires et « ostracisants », il s’avérait impossible d’en vérifier l’exactitude, les enregistrements des émissions mises en cause n’étant pas disponibles. Pour ces raisons, le Conseil ne peut retenir de blâme contre l’animatrice ou la station mises en cause.
Ceci dit, le Conseil de presse comprend mal et s’étonne qu’après avoir reçu copie de la plainte déposée au CRTC, la directrice de la station n’ait pas jugé bon de conserver une copie des émissions controversées, alors que la période réglementaire de 28 jours n’était pas encore terminée.
Décision
Ces observations ayant été faites et au terme, donc, de l’analyse de ces trois plaintes, le Conseil de presse du Québec rejette les griefs contre les journalistes Paul Gauthier et Denis Gratton ainsi que contre le quotidien LeDroit. De même en est-il des plaintes contre la directrice générale Carmen Rodrigue de la station CJRC Outaouais et de l’animatrice Françoise Boivin.
Analyse de la décision
- C09B Droit de réponse insatisfaisant
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C17A Diffamation
- C17E Attaques personnelles
- C18A Mention de l’appartenance
- C18D Discrimination
- C22H Détourner la presse de ses fins