Plaignant
René Légaré
Mis en cause
Société Radio-Canada /
Émission « La Facture » (Daniel Gourd,
directeur des programmes) et François Sanche, journaliste; Gilles Gougeon,
animateur
Résumé de la plainte
La plainte vise l’émission « La Facture » portant le numéro 121
et diffusée à au moins deux reprises au cours du mois de février 1999 sur les
ondes de la
Société Radio-Canada, la première diffusion ayant eu lieu le 2
février 1999. Les mis-en-cause ont diffusé également un suivi de dossier lors
de l’émission « La Facture » numéro 132, le 20 avril 1999. Les reportages
portaient sur le travail de l’inspection préachat des maisons résidentielles.
René Légaré reproche aux
mis-en-cause des manquements à la déontologie dans leur traitement
journalistique et dans leur collecte des données. Ces manquements ont, selon
lui, porté une telle atteinte à sa réputation qu’il a perdu son gagne-pain et
qu’il a été mis au ban de sa profession, en plus des problèmes de
santé que tout cela lui a occasionnés.
Griefs du plaignant
Dans un
e longue présentation de 10 pages et de
112 articles, M. Légaré expose les faits et les motifs justifiant sa plainte.
Il invoque principalement que les mis-en-cause ont présenté leur émission en
laissant entendre que celle-ci porterait sur la formation requise pour offrir
des services d’expertise avant l’achat
d’une maison alors qu’en réalité l’émission a consisté en une longue
démonstration de son manque de professionnalisme. Les mis-en-cause n’auraient
pas fait un certain nombre de distinctions.
En matière de
traitement journalistique, ce qui est d’abord reproché au journaliste, c’est
d’avoir cherché dans son travail à confirmer les reproches qu’adressait Alain
De Chantal à René Légaré, au lieu de donner à l’inspecteur l’occasion de
répondre aux reproches formulés contre son travail d’inspection.
Le journaliste aurait tenté davantage de
démontrer la thèse de M. De Chantal sur la base d’un second examen de la maison
effectué près de six mois plus tard par un second inspecteur, mais dans des
conditions différentes, et en ne tenant pas compte des explications du
plaignant et alors que le mandat original avait été donné pour une inspection
visuelle seulement.
De plus,
cette inspection aurait été faite en présence de l’agent immobilier François
Kluka qui travaille dans l’immobilier depuis toujours et qui avait visité
l’immeuble à trois reprises en compagnie de M. De Chantal. Le plaignant
mentionne au passage avoir omis d’inscrire dans son rapport que des margelles
de fenêtres étaient manquantes, mais qu’il l’avait mentionné verbalement à M.
De Chantal devant son agent de lors de la visite d’inspection.
M. Légaré
continue son exposé détaillé, accusant le journaliste de s’être jeté en toute
hâte et sans réserve sur la version proposée par M. De Chantal. C’est même lors
de la diffusion de l’émission qu’il apprendra que sa propre compagnie
d’assurance en est venue à un règlement
avec le couple Roy-De Chantal.
Le plaignant
dénonce encore certaines omissions importantes de la part du journaliste,
notamment que les deux inspections n’ont pas eu lieu dans les mêmes conditions,
l’une en hiver et l’autre en été, qu’il y avait une distinction à faire entre
une inspection visuelle et une expertise à murs ouverts et que le second
inspecteur avait partie liée avec le couple acheteur. Dans les circonstances,
l’émission « La Facture » aurait dû
avoir recours à une troisième expertise.
En
ce qui concerne les visites du journaliste chez lui, le plaignant déplore que
l’équipe de « La Facture » soit
débarquée sans prévenir, insistant pour obtenir une entrevue après qu’il leur
ait expliqué que ses assureurs lui avaient demandé de ne faire aucune
déclaration sur le sujet. De plus, lors de l’entretien avec M. Légaré, celui-ci
ayant fait un signe de la main pour indiquer à la caméra de cesser de tourner
pendant qu’il allait chercher une lettre, et on aurait récupéré la séquence
pour démontrer qu’il ne voulait pas montrer la lettre. Jamais non plus les
spectateurs n’auront connu les méthodes de travail, la formation et
l’expérience professionnelle de M. Légaré alors qu’il s’agissait, au départ,
du sujet du reportage.
Enfin,
sur la visite de l’équipe de la SRC
chez les courtiers Kluka et Demers, ces derniers auraient été amenés à affirmer
faussement que l’inspecteur était « commanditaire de La Capitale », et donc
qu’il avait partie liée avec les courtiers
immobiliers, le rendant ainsi soupçonnable de conflit d’intérêts.
Plusieurs autres éléments importants, selon
le plaignant, demeureront dans l’ombre, comme par exemple la différence entre
les notions de vice caché et vice apparent ou encore pourquoi M. De Chantal n’avait
pas mis son vendeur en demeure, ne s’en tenant qu’à l’inspecteur
seulement.
Enfin, le plaignant termine en
mentionnant que ce qui est particulièrement malheureux, c’est de voir un
journaliste adopter le point de vue qu’il entend défendre, sans chercher à
montrer l’autre point de vue.
Commentaires du mis en cause
Les
mis-en-cause reprennent une à une les séquences du reportage impliquant
directement M.Légaré. Ils tentent de démontrer que le journaliste et le réalisateur
ont vérifié tous les faits relatifs à l’histoire et qu’ils ont tourné et monté
leur reportage de façon à ce que chacune des parties puisse faire connaître sa
version des événements.
En ce qui a trait à la pression
qu’aurait exercée l’équipe pour obtenir l’entrevue, tout en reconnaissant
s’être présentés tôt le matin, les mis-en-cause
affirment que le plaignant a accepté de les recevoir dès ce
moment.
Réplique du plaignant
Aucune réplique.
Analyse
Le reportage de consommation, qui s’apparente au journalisme d’enquête, est un genre journalistique exigeant à l’égard de celles et de ceux qui le pratiquent. Ceux-ci ne doivent pas à leur insu devenir les instruments d’injustice alors que leur recherche vise justement à éviter à des victimes innocentes les abus du système.
Dans le cas soumis à l’attention du Conseil, les artisans de l’émission « La Facture » ont voulu illustrer ce qui pouvait arriver si l’inspection préachat d’une maison ne révélait pas tous les problèmes qui y sont rattachés. D’où ils concluaient à l’importance de faire affaire avec un inspecteur éclairé.
La liberté rédactionnelle reconnaît aux journalistes et aux médias la latitude de présenter l’information comme ils l’entendent. Ce faisant, ils choisissent l’approche qui leur apparaît la plus indiquée pour traiter l’information dans la circonstance.
L’examen de la plainte par le Conseil révèle que « La Facture » a choisi de ne faire porter son attention quesur le travail de l’inspecteur René Légaré. Pour apprécier son travail, elle a utilisé les rapports d’un second inspecteur qui a travaillé – pour le compte des acheteurs – dans des conditions climatiques et physiques différentes, lui permettant de faire plus qu’une inspection visuelle mais un examen en profondeur.
En faisant ce choix éditorial, les artisans de l’émission ont contribué à mettre en exergue les faiblesses d’une inspection plus en surface, mais ont également donné dans certains manquements à l’équité et à l’équilibre, tout en laissant l’impression que le seul responsable de tous les maux des nouveaux acheteurs était le premier inspecteur. A-t-on pris soin, par exemple, de questionner la responsabilité dans ce dossier du vendeur et des courtiers en immeubles? Rien ne permet de le croire.
Le Conseil a également relevé ce qu’il considère comme une faiblesse à l’égard de la mise en contexte du reportage. Les artisans de « La Facture » n’ont pas pris soin de préciser que les deux inspections avaient été réalisées dans des conditions fort différentes et qu’elles ne pouvaient évidemment pas donner le même résultat.
D’autres faiblesses ont également été relevées en regard de l’équilibre, de l’équité, et de la collecte et vérification des faits.
Le Conseil est d’avis qu’une approche plus neutre aurait pu servir tout autant l’objectif pédagogique de l’émission, en faisant appel par exemple à la participation d’un troisième expert, neutre et non-partie au litige.
Pour ces raisons, le Conseil de presse du Québec ne peut que retenir la plainte contre les artisans de l’émission «La Facture » et la Société Radio-Canada.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C03C Sélection des faits rapportés
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11F Titre/présentation de l’information
- C12A Manque d’équilibre
- C12B Information incomplète
- C12C Absence d’une version des faits
- C12D Manque de contexte
- C13B Manipulation de l’information
- C15D Manque de vérification
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17H Procès par les médias
- C23J Intimidation/harcèlement
- C23L Altercation/manque de courtoisie