Plaignant
Ministère de la Solidarité
sociale
(Danielle-Maude Gosselin)
Mis en cause
Marcel Gagnon, journaliste
et
TVA-Télé 7 (Serge Cossette,
directeur de l’information
)
Résumé de la plainte
Au nom du ministère de la Solidarité sociale, Danielle-Maude
Gosselin porte plainte à la suite de la diffusion d’un reportage du journaliste
de TVA-Télé 7, Marcel Gagnon. Ce reportage,
présenté à deux reprises sur les ondes de la station, comporte la diffusion non
autorisée d’une conversation entre un prestataire d’un programme du ministère
et la réceptionniste du Centre local d’emploi, ainsi que la diffusion d’une
entrevue non autorisée avec la directrice du Centre.
Griefs du plaignant
La plaignante reproche
au journaliste Marcel Gagnon d’avoir présenté le 18 février 2000, lors des
bulletins de nouvelles du midi et de début de soirée, un reportage sur un
prestataire du programme APPORT qui avait reçu par la poste, en plus d’un
relevé le concernant, celui d’une autre personne de la région.
Pour
les fins du reportage, la plaignante constate que le journaliste a enregistré
la conversation entre le prestataire, M. Lachance, et la réceptionniste du
Centre. Le but de ce stratagème était manifestement de la piéger, «en lui
faisant dire qu’il [monsieur Lachance] peut envoyer directement à la personne
concernée le Relevé 12 qu’il avait reçu par erreur. Les propos ont été
enregistrés et diffusés à l’insu de la téléphoniste».
Toujours
dans le cadre de ce reportage, Danielle-Maude Gosselin reproche à Marcel Gagnon
de s’être présenté ensuite à l’improviste, avec un caméraman, au Centre local
d’emploi de Sherbrooke-Est pour y réaliser une entrevue avec la directrice, Mme
Caroline Morel. Selon elle, « les propos de Mme Morel ont été enregistrés
et diffusés malgré le fait qu’elle avait informé M. Gagnon de son refus de
donner une entrevue parce qu’elle n’avait pas tous les éléments pour répondre et
qu’elle n’était pas la personne désignée pour donner une entrevue… ».
La
plaignante termine en ajoutant que «le fait d’enregistrer des
conversations et des propos et, surtout, de les diffuser sans avoir obtenu la
permission des personnes concernées représentent à notre avis un manquement
important au code d’éthique journalistique ».
Commentaires du mis en cause
Le directeur de l’information de Télé 7, Serge
Cossette, rappelle d’abord que c’est M. Lachance qui le 17 février, a pris
l’initiative d’alerter le service des nouvelles de
Télé 7. Il l’a fait parce que, suite à la réception par erreur d’un
document ne le concernant pas, il tenait à «faire part de son étonnement,
voire son inquiétude».
Lors
de la rencontre avec M. Lachance le lendemain, le journaliste Marcel Gagnon a
été à même de constater que le relevé reçu par erreur contenait plusieurs
informations confidentielles sur la prestataire à qui il aurait dû être
acheminé et sur sa famille: numéro de dossier, nom du conjoint et des
enfants, dates de naissance, revenus etc. Le journaliste a aussi été informé
par l’interviewé qu’un appel au bureau du ministère à Sherbrooke avait révélé
un manque d’intérêt et de sérieux de la part de l’employée à qui il avait
signalé l’erreur. M. Lachance a proposé de reprendre contact avec un
responsable du bureau et «de le faire en notre présence».
Tout
ce que le journaliste a fait, c’est d’accompagner à sa demande, le prestataire
dans sa démarche auprès du ministère. L’enregistrement de la conversation ne
visait pas à piéger qui que ce soit, mais à donner une information publique
pertinente, dans le contexte du débat sur la divulgation de renseignements
personnels par un service gouvernemental. «L’employée du ministère a été,
en tout temps, maître de ses réponses, libre de ses commentaires et de ses
conseils».
En ce
qui concerne l’enregistrement de l’entrevue avec Mme Morel, le journaliste
soutient lui avoir confirmé le fait que leur conversation était enregistrée.
S’il est vrai que la directrice a précisé n’être pas la personne
«habilitée à expliquer les ratés dans le système d’expédition des
relevés», le journaliste lui a dit qu’il diffusait son dossier et qu’il
reviendrait à la charge pour avoir plus d’explications. C’est ce qu’il a
fait: «Dans le reportage diffusé au bulletin de 18 heures le même
jour, ce sont les explications et les excuses données par Mme Danielle-Maude
Gosselin… qui ont été retenues».
Réplique du plaignant
Danielle-Maude Gosselin ne juge pas acceptable qu’un
journaliste puisse enregistrer et diffuser à son insu, les propos de la
téléphoniste du Centre local d’emploi. L’éthique requiert que, dans une
situation semblable, la personne soit informée du fait que ses propos sont
enregistrés et qu’elle donne son accord à leur diffusion.
Par ailleurs, la
plaignante croit contraire à la déontologie journalistique, le fait qu’une
équipe se présente à l’improviste dans un lieu pour y réaliser une entrevue. À
ce sujet, la plaignante rappelle que la directrice avait signifié son refus de
donner une entrevue, et réitère qu’elle ne savait pas qu’on enregistrait ce
qu’elle disait. Dans ce contexte, sa demande de ne pas être enregistrée aurait
dû être respectée.
Analyse
Le dossier soumis à l’attention du Conseil de presse ne visait pas à contester la qualité de l’information transmise dans les deux reportages en cause mais bien la façon utilisée par le journaliste pour obtenir cette information. Les griefs de la plaignante portaient sur les droits d’une personne dont les propos sont enregistrés sans qu’elle en soit prévenue et, corollairement, sur ses droits de pouvoir en permettre ou en refuser la diffusion. De plus, ce qui était également en cause ici, c’est le fait pour un journaliste de se présenter à l’improviste au lieu de travail de la directrice d’un Centre local d’emploi pour l’interviewer.
En regard des enregistrements clandestins, la jurisprudence du Conseil de presse a déjà reconnu qu’il peut s’agir d’une pratique légitime du journalisme de consommation – et partant, du journalisme de service – mais qu’il s’agit d’une mesure de dernier recours quand les autres moyens directs ont été épuisés.
Dans le présent dossier, cette pratique n’est apparue que partiellement appropriée au Conseil. Il s’agissait en fait d’une conversation entre un client et une employée du ministère; l’enregistrement avait été fait à la demande du client; les renseignements demandés étaient d’intérêt public; l’employée occupait une fonction publique et sa réponse spontanée, lors de la conversation, n’aurait pu être illustrée de la même façon s’il avait fallu obtenir une permission avant de réaliser l’entrevue et de la diffuser.
En ce qui a trait à la méthode qui consiste à débarquer sans préavis dans un bureau pour braquer micro et caméra sous le nez d’une personne, le Conseil a déjà réprouvé cette pratique journalistique, la qualifiant de « journalisme d’embuscade ». Ici également, l’éthique commandait de n’utiliser cette mesure qu’en dernier recours.
Or l’examen des éléments soumis à l’analyse du Conseil n’indique aucune urgence majeure ni quelque tentative des employés du ministère de se soustraire au droit du public à l’information comme en font foi les réponses de ses deux porte-parole. De plus, celles-ci pouvaient légitimement disposer d’un temps raisonnable pour aller aux sources avant de formuler une réponse. Ceci est d’autant plus vrai que la directrice du Centre local d’emploi avait pris l’engagement de fournir l’information. Aux yeux du Conseil, cette pratique n’était donc pas justifiée.
Le Conseil note toutefois que si l’examen de l’enregistrement vidéo révèle une légère surprise empreinte de gêne chez la directrice du Centre local d’emploi devant l’événement, l’entrevue ne contient aucun élément risquant de porter atteinte à l’image de cette personne.
Pour ces raisons, le Conseil rejette la plainte contre le journaliste Marcel Gagnon et Télé 7 sous le premier aspect, mais tient en contrepartie à émettre une sérieuse réserve sur l’utilisation d’une pratique discutable dans la recherche d’explications officielles.
Analyse de la décision
- C23C Recours à une fausse identité
- C23D Tromper sur ses intentions
- C23E Enregistrement clandestin