Plaignant
MM. Jean-Paul L’Allier et Gilles Rhéaume
Mis en cause
M. Daniel Sanger, journaliste et Saturday Night et Mme Diana Symonds, rédactrice en chef
Résumé de la plainte
Jean-Paul L’Allier et Gilles Rhéaume reprochent au magazine Saturday Night, la publication dans son édition du mois de mars 2000 d’un article du journaliste Daniel Sanger intitulé « Colder and Whiter : In Vieux Quebec, ethnic cleansing occurs by attrition ».
Dans sa plainte, le maire de Québec soutient que l’article du Saturday Night contient des accusations sans fondements à l’égard de la ville de Québec et sa population. Gilles Rhéaume, pour sa part, considère que l’article du journaliste est mensonger.
Griefs du plaignant
Dans sa plainte datée du 7 mars 2000, Jean-Paul L’Allier affirme avoir « lu avec tristesse et désolation l’article du Saturday Night de mars dernier… » . Il proteste auprès du Conseil « quant au contenu du texte de Daniel Sanger. Les accusations et les insinuations qu’il fait au sujet de Québec et de sa population sont essentiellement sans fondements, mais ce journaliste est par ailleurs fort crédible et ses textes sont diffusés largement aux états-Unis ».
Plus tard au mois de mars, le maire de Québec fournira au Conseil des copies d’articles issus de la communauté anglophone et francophone en réponse au texte du magazine Saturday Night. S’estimant satisfait de ces réactions, Jean-Paul L’Allier laisse le Conseil libre de poursuivre ou non son examen de la plainte.
Gilles Rhéaume quant à lui dénonce l’article de Daniel Sanger parce qu’il le considère « farci de préjugés, de faussetés et d’ignorance. Ce texte est mensonger. Il véhicule des contre-vérités qui ne peuvent que nuire grandement à la réputation de Québec et de ses habitants. Les Québécois y sont représentés comme de vulgaires et grossiers personnages animés de sentiments racistes et d’intolérance ».
Pour le plaignant, « la liberté de presse ne permet pas de semblables écarts de langage qui dénaturent les faits ». Cet article fait partie selon lui, d’une campagne anti-Québec bien orchestrée, campagne qui « révèle encore une fois le racisme qui constitue la trame de fond de l’idéologie canadienne-anglaise lorsqu’il s’agit du Québec ».
Commentaires du mis en cause
Daniel Sanger souligne d’abord que, malgré la différence importante dans les lettres respectives des deux plaignants, une chose les rassemble : aucune ne conteste, ni ne réfute les faits ou les allégations contenus dans son article.
Il reconnaît « avec joie » les attaques dont a fait l’objet son texte dans les médias écrits et électroniques du Québec. Il dénonce néanmoins ce journalisme malhonnête, qui se permet d’ignorer les faits présentés dans l’article tout en le condamnant pour quelque chose qu’il ne dit pourtant jamais : à savoir que la ville de Québec aurait été soumise à une sorte de nettoyage ethnique organisé.
« Une telle affirmation serait ridicule » poursuit-il. « En fait c’est l’objet même de l’article que j’énonce dès le premier paragraphe : La ville de Québec est devenue moins diversifiée et multiculturelle malgré qu’il n’y ait pas eu de guerre ou de nettoyage ethnique. C’est ce qui est remarquable ».
Le mis-en-cause déduit de la lettre de M. L’Allier que ce dernier a découvert l’existence de son article grâce à une chronique d’Antoine Robitaille dans Le Devoir des 4 et 5 mars. Dans sa chronique, « monsieur Robitaille insinue que mon article traite les Québécois de racistes et de xénophobes, un point de vue et des mots qu’on ne retrouve nulle part dans le texte. Il me tient aussi responsable du titre et de l’illustration qui accompagnent l’article, ce que tout journaliste le moindrement honnête et expérimenté sait ne pas être le cas ». Selon Daniel Sanger, la lecture de son article par M. L’Allier a sans doute été colorée par l’interprétation biaisée et inexacte qu’en a faite Antoine Robitaille.
Pour ce qui est de la plainte de M. Rhéaume, le mis-en-cause considère qu’elle renferme toutes sortes d’accusations qui ne sont nullement étayées. « De plus, paranoïaque comme d’habitude, monsieur Rhéaume suggère que je fais partie d’une conspiration, d’un complot, pour dénigrer le Québec. Honnêtement, cela devient difficile de le prendre au sérieux. Je suis fermement convaincu qu’il a vu mon article comme une façon de mousser sa couverture médiatique en le déformant grossièrement, pour fouetter la ferveur nationaliste ».
Daniel Sanger précise cependant qu’il « prend très au sérieux » la controverse entourant l’article de Saturday Night. Parce qu’il a été troublé par la façon dont d’autres journalistes et commentateurs ont mis en cause son professionnalisme et son intégrité, il dépose à son tour une plainte au Conseil de presse.
Réplique du plaignant
Jean-Paul L’Allier, considérant que le dossier est clos, n’a pas fourni de réplique.
Pour sa part, Gilles Rhéaume constate que la nature du commentaire de Daniel Sanger « est tellement méprisante que j’ai peine à le considérer recevable. Le droit du public de s’adresser à vous exclut que l’on discrédite grossièrement ceux qui l’exercent ».
« Monsieur Sanger commence son article avec ce concept de « nettoyage ethnique ». Mes professeurs de journalisme, tant à Ottawa qu’à Paris, étaient unanimes sur le sens et la portée du lead dans un article. C’est l’ossature et le cerveau du texte ».
Pour ces raisons, Gilles Rhéaume maintient sa plainte.
Analyse
Les deux plaignants ont interprété l’article de Daniel Sanger comme une mise en accusation de la Ville et de la population de Québec. Et ils ne sont pas seuls. Des documents soumis au Conseil montrent que d’autres personnes ont réagi publiquement à l’article incriminé. Ceux-ci partagent l’impression retenue par MM. L’Allier et Rhéaume à l’effet que le journaliste rend la population de Québec responsable de l’exode des membres de ses communautés ethniques.
L’objectif du journaliste de Saturday Night est de rendre compte d’un phénomène à l’Œuvre à Québec : la Ville est moins cosmopolite aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a 150 ans, ou même 40 ans.
Pourquoi alors cette impression que ce reportage rend la population de Québec responsable de la diminution du nombre et de la diversité de ses communautés ethniques? Parce que la caricature qui accompagne le texte le dit, le titre permet de le croire et l’article le suggère.
D’abord, la caricature montre trois têtes coiffées d’une tuque ornée de la fleur de lys qui se cachent pour pointer du doigt, rire et commenter hypocritement le départ d’un asiatique portant lui aussi sa tuque.
Ensuite, le titre « Plus froid plus blanc : Dans le Vieux Québec, le nettoyage ethnique passe par les départs » est suggestif. L’utilisation du terme « nettoyage ethnique » n’est pas neutre. Il implique une action et des victimes.
Finalement, dans son article même, Daniel Sanger prétend démontrer qu’en l’absence de guerre ou d’un sérieux épisode de « nettoyage ethnique », la ville de Québec est une des rares villes de l’Occident à être devenue moins diversifiée au cours du dernier siècle. Tellement que, malgré de nobles tentatives pour combler le fossé, il affirme qu’une personne, en particulier un non blanc, non catholique, un Québécois non « pure laine », devrait y penser à deux fois avant de s’y établir.
Les témoignages choisis, les faits relevés vont tous dans le sens d’un exode des communautés ethniques qui s’expliquerait par la difficulté de vivre et faire carrière à Québec. Selon Daniel Sanger, un examen attentif des statistiques québécoises sur l’immigration révèle une « tendance bizarre » : si 5 % des immigrants choisissent d’abord Québec pour s’établir, seulement la moitié y reste. Conclusion : « C’est une belle ville. à visiter ».
Et il y a plus. Sanger remarque un nombre disproportionné de Français parmi les nouveaux arrivants. Selon l’opinion non vérifiable de deux amis, cela s’expliquerait par le fait que des partisans de Jean-Marie Le Pen déménagent à Québec, à la recherche d’une « pureté » que leur patrie d’origine a perdue.
Reste le cas des communautés anglophones et irlandaises, les plus populeuses, mais aussi les plus affectées par l’exode. Elles sont passées de 40 % de la population il y a 150 ans à 2% aujourd’hui. Et ce n’est pas terminé si l’on en croit le témoignage qui conclut l’article : ceux qui restent s’affairent à préparer leur « évasion » car, bien que là depuis des générations, ils ne se sentent pas chez eux à Québec. C’est une ville blanche, francophone, pure laine.
Si l’angle choisi par Daniel Sanger et Saturday Night permet de rendre compte d’un phénomène d’homogénéisation de la population de Québec vérifiable, la caricature, le titre et l’article n’en proposent pas moins une explication sensationnaliste et manquant d’équilibre.
De plus, aux yeux du Conseil, certaines affirmations du journaliste auraient mérité d’être davantage étayées : par exemple, le « fait » que l’homogénéisation observée dans la population de la ville est exceptionnelle, sinon unique; le « fait » de qualifier de « tendance bizarre » l’information selon laquelle la moitié des immigrants qui s’installent à Québec, quitte après un certain temps ; le « fait » que des « Lepennistes » y afflueraient en quête de pureté ethnique.
En ne présentant qu’un point de vue uniformément négatif malgré la diversité des témoignages, le journaliste et le magazine donnent une base à la perception des plaignants, à l’effet que Québec vivrait un nettoyage ethnique « en douce ». Pour cela, Daniel Sanger et le magazine Saturday Night doivent être blâmés.
Décision
Après considération de l’ensemble des éléments soumis à son attention, le Conseil de presse retient la plainte de MM. L’Allier et Rhéaume, et adresse conséquemment un blâme au journaliste en cause pour son article et au magazine pour le titre du reportage et sa caricature.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11F Titre/présentation de l’information
- C12A Manque d’équilibre
- C12C Absence d’une version des faits
- C12D Manque de contexte
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue