Plaignant
M. Jack Hartstein
Mis en cause
L’Express d’Outremont (AlainTittley, rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
La plainte a pour toile de fond les relations tendues, au cours des dernières années, entre des citoyens d’un quartier d’Outremont et certains membres de sa communauté juive. Jack Hartstein porte plainte contre L’Express d’Outremont pour ce qu’il considère comme un traitement journalistique injuste et partial à l’égard de sa communauté, les Juifs hassidiques d’Outremont.
Griefs du plaignant
Selon Jack Hartstein, L’Express a publié plusieurs articles concernant la Congrégation Amour pour Israël, dont il est membre, mais n’a jamais cité ou rapporté de commentaire provenant de la Congrégation, de ses dirigeants ou de ses membres pour expliquer leurs actions. En ne présentant qu’une seule version de l’histoire, ces articles étaient alors injustes à l’égard de sa communauté. Le plaignant précise qu’à la suite de la publication d’une lettre incendiaire signée Anne Richard dans la Tribune libre du journal, il a tenté de répondre à plusieurs des allégations mais L’Express n’a pas publié sa lettre ni aucune autre lettre en réplique à celle de Mme Richard. La direction a plutôt repris sa suggestion et annoncé dans un éditorial qu’à l’avenir on ne publierait plus de commentaire sur le sujet, bloquant de ce fait sa réponse aux allégations graves contenues dans la lettre de Mme Richard. L’Express aurait également manqué à ses devoirs d’informer la population d’Outremont lors de la campagne électorale municipale de novembre 1999. Une certaine Mme Forget, candidate dans le District numéro 1, se présentait comme une héroïne et tentait d’obtenir un maximum de publicité. Le devoir d’un journal sérieux aurait alors été de ne pas manquer d’informer le public sur les candidats à ces élections. Or les mis-en-cause ont failli à la tâche en ne mentionnant pas qu’ avant de déménager à Outremont, Mme Forget ne s’entendait pas non plus avec ses anciens voisins et qu’elle les poursuivait même en Cour à ce moment. à l’appui de sa plainte, M. Hartstein annexe huit articles publiés dans L’Express d’Outremont entre le 25 septembre 1998 et le 24 septembre 1999.
Commentaires du mis en cause
Le rédacteur en chef, Alain Titley, répond que la plainte est selon lui sans fondement. Il relève que dans tous les textes fournis par le plaignant celui-ci a souligné le mot « illégal » comme s’il s’agissait d’une inexactitude, alors que dans les faits la synagogue dont il est question dans cette affaire, occupait illégalement le local de l’avenue Durocher, en contravention du règlement municipal # 1177 relatif au zonage. M. Tittley relève également que le plaignant appartient au groupe Congrégation Amour pour Israël qui a quitté les lieux à la suite des pressions de Mme Forget et qu’il est ainsi facile de comprendre pourquoi il ne la tient pas en très haute estime. Le rédacteur en chef explique qu’ayant reçu une lettre du plaignant destinée à la Tribune libre, à la suite de la parution d’une missive signée Anne Richard, il a refusé cette lettre. Il a jugé qu’elle ne constituait en rien une réplique à celle de Mme Richard et qu’elle contenait des attaques personnelles à l’endroit de Mme Forget, même si celle-ci n’y était pas expressément nommée. En outre, les propos que contenait la lettre risquaient de causer préjudice à Mme Forget, en campagne électorale à ce moment-là et son journal avait déjà eu maille à partir avec elle devant le Conseil de presse. Pour le rédacteur en chef, la missive de M. Hartstein ne constituait pas une réplique à la lettre de Mme Richard mais un règlement de comptes qui n’aurait fait qu’exacerber l’intolérance et le climat de tension entre les communautés en présence, d’autant plus qu’il lui a été impossible de vérifier les allégations relatives aux comportements de Mme Forget. Le rédacteur en chef voulait éviter que son journal ne devienne une arène pour des règlements de comptes et il a rédigé un commentaire éditorial à cet effet. Selon M. Tittley, le conseiller Louis Robitaille avait déjà répliqué à Mme Richard, ce qui réfute l’accusation d’avoir empêché la publication de réactions à ses propos. Le rédacteur en chef de L’Express d’Outremont conclut que son journal n’a aucunement manqué à ses devoirs dans cette affaire. La couverture de la campagne électorale de Mme Forget a été effectuée de manière équitable, les problèmes qu’elle a pu avoir avec ses voisins par le passé n’avaient rien à voir avec sa campagne électorale et elle a ultimement été élue pour ses idées et non parce qu’elle a été épargnée par la rédaction du journal.
Réplique du plaignant
M. Hartstein dit vouloir, par sa réplique, répondre aux demi-vérités et aux inexactitudes des commentaires du rédacteur en chef de L’Express d’Outremont. Selon lui, M. Tittley n’aurait pas expliqué pourquoi, dans les articles de L’Express concernant la Congrégation Amour pour Israël, aucun membre ou dirigeant du groupe n’est jamais cité. Concernant l’utilisation du mot « illégal » en référence à l’utilisation de l’édifice par son groupe, M.Tittley omettrait de dire que cette occupation se faisait avec l’approbation et la tolérance de la municipalité et donc, pas illégalement. En effet, dans un jugement récent, la Cour supérieure du Québec a statué que la municipalité n’était pas obligée d’appliquer tous ses règlements et que les élus pouvaient en décider comme bon leur semble. M. Tittley fait également référence, dans sa défense, à « un jugement rendu », mais il n’y a jamais eu de jugement prononcé puisque le cas n’a jamais été entendu devant un juge. Ce à quoi M. Tittley fait référence est une entente entre la Congrégation et Mme Forget, conclue sur l’initiative de la Congrégation et portant sur « quand » la Congrégation allait quitter les lieux, ce qu’ils avaient d’ailleurs déjà décidé de faire. Cette entente a été prise le 11 juin devant un juge et elle avait valeur de jugement. En conséquence, les implications de cette lettre étaient fort différentes. Et nulle part dans ce document n’était-il établi que la Congrégation occupait les lieux illégalement. Le plaignant se demande comment M. Tittley peut dire que sa lettre aurait causé préjudice à Mme Forget alors qu’il ne savait pas encore qu’elle serait candidate : sa lettre à la Tribune libre de L’Express a été envoyée le 8 octobre (en réponse à celle de Mme Richard publiée le 24 septembre), alors que la candidature de Mme Forget n’a été annoncée que dans l’édition du 22 octobre. De plus, si le rédacteur en chef invoque qu’il ne pouvait vérifier les allégations contenues dans la lettre du plaignant, est-ce qu’il a vérifié celles contenues dans la lettre de Mme Richard? En publiant sa lettre, est-ce que cela signifie qu’il est d’accord avec ce que celle-ci alléguait? De son côté, en indiquant ses noms et adresses sur sa lettre, M. Hartstein était prêt à prouver, témoin à l’appui si nécessaire, toutes ses affirmations. En outre, même si la réponse de M. Louis Robitaille, « autorisée » par M. Tittley, visait les accusations contenues dans la lettre de Mme Richard contre lui, et avec raison, cela n’excuse pas son refus de permettre à quiconque de la communauté juive de répondre à des allégations contre celle-ci avant qu’il n’écrive son éditorial. Qui plus est, la première lettre qu’il a laissé publier (le 26 mai) sur le sujet depuis son éditorial était une autre lettre partiale contre sa communauté (lettre annexée à la plainte) ce qui constituerait à lui seul un motif de plainte au Conseil de presse. Le plaignant réaffirme que les allégations contenues dans sa lettre concernant Céline Forget et ses voisins antérieurs ne relevaient pas de la vie privée (private matter). Ces informations avaient paru dans The Gazette et dans les journaux locaux du West Island, de même qu’elles apparaissaient dans les documents de la Cour. Elles étaient donc accessibles au public. Selon lui, Mme Forget n’a pas été élue pour ses idées mais elle a plutôt été « sauvée » parce que M.Tittley n’a pas rempli ses devoirs et n’a pas informé la population au sujet de son véritable agenda et de ce qu’elle est réellement.
Analyse
L’attention que les médias et les professionnels de l’information décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre. Nul ne peut donc dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information. C’est sur la base de ces principes découlant de la liberté de la presse que les mis-en-cause pouvaient décider librement de la manière et du moment de traiter de la question des relations entre la Congrégation Amour pour Israël et la municipalité d’Outremont, ses dirigeants et ses citoyens. C’est notamment ce qui donnait à L’Express d’Outremont le droit de ne pas mentionner tous les antécédents de la candidate Céline Forget. Un autre principe attaché à la liberté de la presse veut que nul n’ait accès de plein droit aux pages de plein droit aux pages d’un journal ou aux ondes des stations de radio et de télévision. C’est d’ailleurs ce principe qui permettait au journal de gérer les règles d’accès à sa Tribune libre. En contrepartie, le Conseil tient à préciser que tout journal assume la coresponsablité du contenu de sa page des lecteurs, contrairement à l’avis publié par L’Express d’Outremont dans sa Tribune libre. La liberté journalistique est assortie de responsabilités. Au-delà des droits qu’elle reconnaît aux gestionnaires d’entreprises de presse, la déontologie renferme des principes d’équilibre et d’équité qui engendrent des obligations professionnelles, comme celles de donner la parole aux différentes parties lors d’un litige ou d’un débat. Or l’examen de la plainte et des documents annexés révèle que dans le traitement de la présence de la synagogue dans le local de l’avenue Durocher, une histoire datant de 1989, L’Express d’Outremont n’a jamais jugé bon de dépêcher un journaliste pour recueillir l’opinion de cette communauté, une omission que ne peut que lui reprocher le Conseil. Dans la circonstance, le Conseil de presse du Québec se doit de retenir ce grief contre L’Express d’Outremont.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C02B Moment de publication/diffusion
- C03A Angle de traitement
- C03B Sources d’information
- C03C Sélection des faits rapportés
- C08F Tribune réservée aux lecteurs
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C12A Manque d’équilibre
- C12C Absence d’une version des faits
- C13A Partialité
Date de l’appel
2 March 2001
Décision en appel
Après étude du dossier, les membres de la Commission rejettent unanimement l’appel de M. Tittley.
Griefs pour l’appel
M. Tittley interjette appel à la décision du Conseil de presse.