Plaignant
Exploration Minière du Pacifique Ouest Inc. (Claude Durocher, président
et administrateur)
Mis en cause
Michel Girard,
chroniqueur et La Presse (Marcel
Desjardins, vice-président et éditeur adjoint)
Résumé de la plainte
Exploration
Minière du Pacifique Ouest Inc. porte plainte contre le chroniqueur Michel
Girard pour deux chroniques parues dans le quotidien montréalais
La Presse. La première a été publiée en
page B4, le lundi 8 mai 2000, sous le
titre « La passe de Pacifique Ouest », et la seconde, aussi en page B4,
mais le 15 mai 2000 sous le titre «
Réaction de Pacifique Ouest ».
Griefs du plaignant
Le plaignant divise sa plainte en
fonction de chacun des deux textes de M. Girard.
Article du 8 mai
Tout en reconnaissant qu’il est
légitime et tout à fait correct pour un journaliste de rapporter les
transactions d’initiés d’une entreprise cotée en bourse, le plaignant reproche
cependant à Michel Girard de ne pas être allé chercher la version des personnes
qu’il désigne nommément. Le journaliste aurait également omis de parler de
l’emballement généralisé des petites compagnies juniors à la Bourse de Montréal
entre le 1er février et le 30 mars 2000. Selon le plaignant, la
majorité des titres des compagnies semblables à la sienne ont connu durant
cette période une hausse subite de leurs cours pour s’affaisser par la suite,
ce que le journaliste a choisi d’ignorer pour ne viser que les plaignants.
Le plaignant dénonce les
allusions à des rumeurs, le titre et le ton ironique de l’article
. Le dernier paragraphe de l’article
serait tendancieux et diffamatoire à l’égard des plaignants. L’équité aurait
commandé au journaliste d’apporter des preuves de ce qu’il écrivait au lieu de
baser principalement son article sur des rumeurs et de l’envie.
Article du 15 mai
Le 8 mai, le plaignant a parlé au
journaliste pour lui donner sa version des faits: « la hausse du prix de
l’action de WPC en février était principalement due à l’euphorie des marchés
concernant la transformation de petites compagnies juniors en compagnies
Internet, jumelée à l’augmentation du prix de l’or […] ». Afin que sa
compagnie ait des liquidités suffisantes pour éviter d’être retiré de la Bourse
de Montréal, il a demandé aux dirigeants de sa compagnie d’exercer leur option
dès que le prix de l’action serait au-dessus de 0,25 $. Ces informations sont
de nature publique et disponibles à la Commission des valeurs mobilières du
Québec. À la suite de la montée du titre de WPC, le 2 mars, M. Durocher a émis,
à la demande de la Bourse de Montréal, un communiqué où il n’est aucunement
question du projet Internet.
En regard du deuxième article, le plaignant reproche donc à
M. Girard d’avoir choisi seulement l’information favorable à sa thèse, la même
que celle de l’article précédent. Ainsi, il passait sous silence le mouvement
spéculatif de février-mars 2000 et suggérait que la hausse du prix de l’action
aurait été causée par des rumeurs, ridiculisant au passage M. Durocher qui lui
avait pourtant expliqué que depuis l’automne l’or avait connu une hausse de 60
$. Au septième paragraphe de son article, le journaliste prête également à M.
Durocher des informations qui ne viennent pas de lui. Pour ce second article,
il aura choisi des bouts de phrase et des énoncés, sans égard au contexte, pour
tisser un portrait erroné et incomplet de la situation.
Commentaires du mis en cause
Le
quotidien La
Presse appuie l’argumentation déposée par son journaliste.
Le
chroniqueur Michel Girard explique qu’en tant que
columnist financier, il joue souvent un rôle de chien de garde en
matière de finances personnelles. Il est ainsi amené à scruter notamment les
transactions d’initiés. M. Girard y va ensuite de ses observations.
La chronique du 8 mai
rapporte fidèlement les transactions de ventes d’actions effectuées par les
dirigeants de la compagnie; la source de l’information est le bulletin
hebdomadaire de la Commission des valeurs mobilières du Québec.
Au sujet des rumeurs
concernant l’acquisition d’une compagnie Internet par Pacifique Ouest:
plusieurs petits investisseurs l’ont appelé à ce sujet et la rumeur circulait
dans les maisons de courtage, il l’avait lui-même entendue.
Plusieurs mines ont vu
le cours de leurs actions monter à la suite de rumeurs de même type.
La particularité de
Pacifique Ouest est que ses dirigeants en ont profité pour liquider massivement
leurs actions et encaisser des profits.
M. Durocher dit qu’il
a émis un communiqué au début de mars, à la demande de la Bourse de Montréal,
ce que le journaliste a rapporté. La compagnie disait ne pas avoir connaissance
de changements pouvant expliquer la volatilité des marchés. Nulle part dans le
communiqué, il n’est mentionné que les hauts dirigeants avaient liquidé
massivement leurs actions ou s’apprêtaient à le faire. Pendant qu’ils
encaissaient leurs profits, les petits investisseurs achetaient, pour se
retrouver grandement perdants à la suite de l’effondrement de l’action.
L’investisseur qui apprend que les dirigeants d’une entreprise vendent
massivement leurs actions n’en achète pas. En tant que renseignement essentiel,
le journaliste est d’avis que cette information aurait dû être transmise dans
le communiqué du 2 mars.
L’utilisation du terme
« passe » est appropriée puisque les dirigeants ont fait de gros profits. De
plus, il a correctement rapporté les propos de M. Durocher. C’était son devoir
de demander une enquête sur la question.
Réplique du plaignant
Le plaignant rappelle d’abord ses motifs de plainte, pour
répondre ensuite un par un aux commentaires de M. Girard.
Il ne conteste pas la qualité de l’information. Cette
affirmation n’a pas de rapport avec la plainte.
Il reproche au plaignant son manque de rigueur et
d’exactitude en basant le premier article sur des rumeurs. Il est facile, sinon
simpliste, d’attaquer la crédibilité de certaines personnes sur la foi de
rumeurs. Les journalistes ont le droit d’opinion mais doivent se baser sur des
faits, ils n’ont pas le pouvoir d’attaquer la réputation.
Le journaliste aurait
omis sciemment le fait [la montée des actions à la suite de rumeurs] afin de
justifier ses conclusions qui apparaissent diffamatoires.
Selon la théorie du
journaliste, il serait illégitime pour les dirigeants d’une société d’exercer
leur option et de vendre les actions à profit lorsque le marché le permet.
Cette théorie n’est pas celle de la majorité des investisseurs : il est
habituellement opportun de vendre des actions lorsqu’elles sont surévaluées. Et
le journaliste n’a pas mentionné que lors de la «vente massive » d’actions,
certaines transactions ont procuré à leurs auteurs, non pas un «important
profit » mais une légère perte car l’objectif était de procurer un fonds de
roulement pour la société De plus, les
liens faits entre les dirigeants, les rumeurs et la demande d’enquête
laisseraient entendre une manipulation du prix des actions par les dirigeants.
Le journaliste
connaîtrait mal les règlements de divulgation financière: les
transactions d’initiés doivent être dévoilées dans les 10 jours suivant la
transaction, ce qui fut fait. Il aurait été farfelu de le faire dans un
communiqué.
L’association du terme
« passe » aux noms des dirigeants était inapproprié. De plus, le journaliste a
cité intentionnellement M. Durocher de façon sélective et hors contexte,
donnant ainsi un portrait erroné et incomplet de la situation.
Enfin, les organisations auxquelles le journaliste a demandé
une enquête connaissent déjà l’ensemble des transactions.
Analyse
La chronique est un genre journalistique qui laisse à son auteur une grande latitude dans l’expression de ses points de vue et jugements. Il permet au journaliste qui le pratique d’adopter un ton polémiste pour prendre parti et exprimer ses critiques, ce qu’il peut faire dans le style qui lui est propre, même par le biais de l’humour et de la satire. Le chroniqueur est cependant tenu aux mêmes exigences de rigueur et d’exactitude que tous les professionnels de l’information.
De plus, en vertu des principes déontologiques reconnus, le plaignant ne peut s’attendre à ce qu’un article journalistique soit un compte rendu qui traduise ce qu’il aurait aimé entendre dire à son sujet et au sujet de sa compagnie. Nul ne peut dicter le contenu rédactionnel d’un journal. Pour participer aux décisions de rédaction il faut faire partie de l’entreprise.
Le chroniqueur Michel Girard a décrit une série de transactions qui ont suivi l’émergence de rumeurs de développement au sujet d’une petite compagnie. Le plaignant ne conteste aucun chiffre ni aucun fait exposé par le journaliste, non plus que la qualité de ses informations, puisées dans le bulletin de la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ). Sa source était fiable et ce qu’il affirmait était suffisamment documenté. Comme le reconnaissait d’ailleurs le plaignant, il était légitime et tout à fait correct pour un journaliste de rapporter les transactions d’initiés d’une entreprise cotée en bourse.
Il était également légitime de rapporter le fait que des rumeurs dans le monde boursier – rumeurs dont l’existence était bien réelle – avaient eu un impact sur la hausse des valeurs de certaines entreprises. Le journaliste ne faisait donc pas reposer sa nouvelle sur des rumeurs. Des rumeurs avaient circulé. Celles-ci avaient fait monter le prix d’actions qui ont été vendues dans un contexte discutable aux yeux du journaliste-expert en transactions boursières, et il l’a alors relevé dans son article.
En ce qui a trait au grief selon lequel le journaliste aurait prêté à M. Durocher des paroles qui n’étaient pas de lui, les versions contradictoires et non démontrées des parties ne permettent pas de trancher le litige.
L’étude de la plainte de M. Durocher et d’Exploration Minière du Pacifique Ouest révèle enfin que le journaliste Michel Girard n’a pas accusé les plaignants de malhonnêteté, mais d’avoir fait une « passe », un rapide coup d’argent. Ce faisant, ils auraient pu avoir lésé de petits investisseurs et, dans ce cas, il pouvait y avoir matière à vérification par les autorités compétentes.
Après examen des documents et arguments exposés par les parties, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte contre le quotidien La Presse et le journaliste Michel Girard.
Analyse de la décision
- C01C Opinion non appuyée sur des faits
- C11C Déformation des faits
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C11H Terme/expression impropre
- C12C Absence d’une version des faits
- C13A Partialité
- C15G Rumeurs/ouï-dire
- C15H Insinuations
- C17G Atteinte à l’image
Date de l’appel
19 June 2001
Décision en appel
Les membres de la Commission ont conclu à l’unanimité de
maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
M. André Lacroix ( Exploration minière du Pacifique Ouest
inc.) interjette appel de la décision.