Plaignant
Michel Corbeil
Mis en cause
Dr Kenneth Walker, chroniqueur, et La
Presse (Marcel Desjardins, vice-président et éditeur adjoint)
Résumé de la plainte
La plainte de Michel Corbeil fait
suite à la publication le 24 novembre 2000, dans le quotidien La Presse,
d’une chronique du Dr Kenneth Walker, intitulée » Les dangers que
représentent les malades mentaux « . L’article constitue un manquement
grave aux principes de l’éthique journalistique et les motifs invoqués
concernent à la fois le titre et le contenu de la chronique.
Griefs du plaignant
Le plaignant considère le titre de
la chronique outrancier et inutilement sensationnaliste, accréditant ainsi les
pires préjugés et mettant toutes les personnes atteintes de maladies mentales
dans le même panier et leur accolant l’étiquette de malades dangereux. La
situation est d’autant plus déplorable que l’auteur de la chronique porte le
titre professionnel de » médecin « .
Tout en reconnaissant la latitude rédactionnelle
rattachée au genre journalistique de la chronique, le plaignant estime que les
mis-en-cause ont dépassé les limites de la pondération et contribué à accroître
les préjugés tenaces dont sont victimes les personnes atteintes de maladie
mentale. Ce texte est truffé d’affirmations gratuites, sans nuance et sur un
ton malsain. Le Dr Walker colporte des remarques alarmistes et fallacieuses.
Personne ne devrait accepter que l’ensemble de ces personnes soit associé à des
criminels dangereux.
Le plaignant ne nie pas les
faiblesses du système actuel mais considère que ce n’est pas une raison pour
prôner une attitude visant à tirer à boulets rouges sur ces personnes. Selon
lui, le problème n’est pas au niveau des » lois ridicules (qui) permettent
à ceux qui souffrent de schizophrénie et de maniaco-dépression de se promener
en toute liberté dans les rues « . Le problème réside dans le manque de
ressources. Pour le plaignant, certaines remarques du Dr Walker s’apparentent à
de la propagande haineuse. Et en cautionnant des préjugés tenaces, La Presse
a sapé le travail des personnes qui cherchent à soutenir les personnes
atteintes de maladies mentales et qui tentent de combattre les pires tabous.
Se disant un ardent défenseur de la
liberté de presse, le plaignant ne souhaitait pas voir l’article censuré, mais
aurait attendu du quotidien une réserve et une mise en garde adressée aux
lecteurs. À l’appui de sa plainte, le plaignant annexe dix-sept témoignages
dont ceux du président du Collège des médecins du Québec, du président de la
Fédération des omnipraticiens du Québec, du chef de département de psychiatrie
de l’institut Pinel, de la directrice des services professionnels et du chef de
département de psychiatrie de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine, ainsi qu’un extrait
d’un procès-verbal du Conseil d’administration de cette même institution.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du vice-président et
éditeur adjoint, Marcel Desjardins :
M. Desjardins dit concevoir très
bien qu’en écrivant sur un sujet aussi sensible le Dr Walker ait pu soulever un
certain nombre de réactions. Et c’était un des objectifs poursuivis par
l’auteur que de faire réfléchir les lecteurs sur l’aide insuffisante accordée
aux personnes souffrant de maladies mentales. On peut être en désaccord avec le
point de vue, le titre et le choix des mots de l’auteur. Cependant, il ne
faudrait pas interdire la parole à ceux qui, comme lui, pensent que la
désinstitutionnalisation a des limites.
Les chroniques du Dr Walker sont
des textes d’opinions. Nous pourrions trouver dans son quotidien des points de
vue différents sinon diamétralement opposés. D’ailleurs, La Presse a publié,
dans son édition du 11 décembre, des répliques du directeur général de
l’Association canadienne pour la santé mentale, Jacques Duval, et du président
du Collège des médecins du Québec, le Dr Yves Lamontagne. M. Desjardins estime
qu’une certaine rectitude politique et sociale menace l’expression des opinions
et par voie de conséquence les pratiques journalistiques. Pour lui, en aucune
façon le columnist n’a dépassé les limites de la liberté d’expression, même si
son point de vue dérange.
Commentaires du columnist, le Dr
Kenneth Walker :
Le Dr Walker indique que sa
chronique est publiée simultanément dans 50 journaux canadiens et dans plusieurs
aux États-Unis, que le lectorat est de six millions et que jusque-là, il n’a
reçu que 3 plaintes. Il ajoute qu’il n’a reçu aucune plainte de la
Schizophrenia Society. Dans le passé, cette association avait réclamé son aide
pour sensibiliser le public à l’effet que la schizophrénie est une maladie qui
exige des traitements et que nous disposons maintenant de médicaments pour
aider les personnes à retourner à une vie active. Mais à cause d’un financement
inadéquat, plusieurs de ces patients ne reçoivent pas les soins appropriés.
Le but de sa chronique n’était pas
de déprécier les personnes qui souffrent de cette maladie, mais plutôt de
porter le sujet à l’attention du public et des gouvernements.
Réplique du plaignant
La réplique du plaignant constitue un
dossier de 31 pages, accompagné de six annexes. Elle comprend 88 articles, 49
en réponse au Dr Walker et 39 à M. Desjardins La réplique reprend en bonne
partie les griefs de la plainte et explicite plusieurs de ces éléments en
répondant également aux commentaires des mis-en-cause. La réponse de M. Corbeil
au chroniqueur traite notamment des éléments suivants :
À la dénonciation du titre, le plaignant ajoute celle
de l’extrait encadré du texte, apparaissant au milieu de l’article : » Nos
lois ridicules permettent à ceux qui souffrent de schizophrénie ou de psychose
maniaco-dépressive de se promener en toute liberté dans les rues « .
Les commentaires du chroniqueur n’ont pratiquement rien
à voir avec la plainte et passent sous silence des questions d’éthique
fondamentales, en particulier l’identité de l’auteur et ses liens avec la
Fondation Gifford-Jones.
Le chroniqueur omet de parler de la dangerosité qui
caractérise, selon lui, les maniaco-dépressifs. Le plaignant estime que cette
omission tient au fait que la majorité des autorités sur cette maladie confirme
qu’elle ne fait pas de ceux qui en sont atteints des dysfonctionnels
chroniques. M. Corbeil fournit des illustrations et des citations de
psychiatres à cet effet. Les acquis dans la lutte contre les maladies mentales
règlent définitivement l’idée inepte que toutes les personnes qui en souffrent
sont des êtres dangereux et des criminels en puissance qui ne devraient pas
circuler dans les rues.
Certaines affirmations de l’auteur sont fondées sur des
constats qui sont propres à la réalité amÉricaine et qui n’ont strictement rien
à voir avec la nôtre et il ne peut invoquer la bonne foi et la méconnaissance.
Prétendre vouloir attirer l’attention du public et du
gouvernement sur la question relève de la malhonnêteté intellectuelle.
Le Dr Walker véhicule des stéréotypes et ne respecte
pas les règles déontologiques voulant que médias et professionnels de
l’information doivent éviter de cultiver ou entretenir les préjugés, notamment
par l’utilisation de termes méprisants ou ayant pour effet de les discréditer
dans l’opinion publique.
Le statut professionnel du chroniqueur confère à ses
opinions une indéniable valeur d’autorité. La responsabilité est cependant
corollaire de l’autorité. Or, cette liberté n’est pas illimitée.
La réponse de M. Corbeil au
quotidien La Presse traite notamment des éléments suivants :
» Faire réfléchir » est un objectif louable
mais on peut se demander si certaines phrases du chroniqueur – et le plaignant
en donne dix exemples – contribuent à cet objectif. Il considère qu’elles
attisent plutôt l’incompréhension et l’intolérance.
Dénonçant l’affirmation du droit au désaccord invoqué
par M. Desjardins, le plaignant conteste le procédé, le point de vue et le
choix des mots, pour qualifier le texte du chroniqueur de
« généralisation outrancière « .
Même s’il s’agit d’un » texte d’opinion « ,
celui-ci est assujetti aux règles de vérité et de rigueur.
La Presse sombre dans l’insulte en invoquant
» la menace d’une certaine rectitude politique et sociale » et cet
argument relève davantage du désarroi que de l’argumentation.
Le chroniqueur a outrepassé les limites de la liberté
d’expression par son absence de rigueur et de discernement, par ses propos qui
perpétuent des stéréotypes et ses généralisations qui alimentent les préjugés
et les attitudes discriminatoires.
Les mis-en-cause observent un mutisme concernant la
question du conflit d’intérêts dans lequel se place le Dr Walker en utilisant
son nom et le pseudonyme » Gifford-Jones « .
Analyse
Après une analyse minutieuse des griefs du plaignant, le Conseil a effectivement constaté des manquements à l’éthique journalistique dans le dossier soumis à son attention.
L’article contesté appartient à la chronique, un genre journalistique qui, tout en laissant une grande latitude à son auteur, n’est pas sans limite. La déontologie précise d’ailleurs à cet égard que le chroniqueur et le critique ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude et ils doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes. Enfin, il importe qu’ils présentent d’abord les événements de façon factuelle, avant d’en faire la critique, pour que le public puisse se former une opinion en toute connaissance de cause.
Or l’examen de la plainte permet d’identifier des manquements en regard de l’exactitude de l’information pour avoir omis l’actualisation des informations et leur mise en contexte québécois.
Le Conseil a relevé également des manquements en ce qui a trait à la pondération et la présentation de l’information, notamment celle d’un encart qui lui est apparu inutilement sensationnaliste. De même en est-il en ce qui concerne le respect des groupes sociaux. L’examen de l’article a révélé plusieurs éléments plus que discutables où le chroniqueur ne fait aucune distinction entre les personnes pauvres ou itinérantes « qui traînent dans les rues » et les personnes véritablement atteintes de maladies mentales. Aux yeux du Conseil, il apparaît que la chronique du Dr Walker contribue non seulement à entretenir les préjugés à cet égard mais même à les renforcer.
Par ailleurs, en ce qui concerne les griefs portant sur le conflit d’intérêts, un examen attentif de la plainte ainsi que de la lettre au quotidien La Presse, qui en faisait partie, ne révèle aucune mention de cette faute déontologique par le plaignant à cette étape. Les mis-en-cause n’ayant pu en prendre connaissance et s’expliquer ou s’en défendre dans leur commentaire, l’équité commandait de ne pas tenir compte de ce grief exprimé après le dépôt de la plainte initiale.
Enfin, le Conseil a noté qu’à la suite de la publication du texte contesté, le quotidien La Presse a publié quatre lettres de protestation ou de réplique. Or la jurisprudence indique que l’usage en pareil cas est de considérer que même si la publication de lettres de lecteurs ne peut jamais réparer complètement le préjudice causé par les erreurs du chroniqueur et de l’éditeur, le Conseil de presse considère que leur publication peut, dans le présent cas, libérer les mis-en-cause d’un blâme de sa part.
Aussi, compte tenu de l’ensemble de ces considérations, le Conseil de presse retient la plainte de M. Corbeil contre le Dr Walker et le quotidien La Presse, tout en notant que le journal s’est comporté de façon responsable à la suite de la publication du texte contesté, par la publication de quatre lettres de protestation de lecteurs et d’experts.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C11F Titre/présentation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15C Information non établie
- C18B Généralisation/insistance indue
- C18C Préjugés/stéréotypes
- C22D Engagement social
Date de l’appel
7 September 2001
Décision en appel
Les membres de la Commission ont
conclu à l’unanimité d’accueillir favorablement votre appel, estimant qu’un
blâme devait être formellement adressé au Dr. Kenneth Walker et conjointement au
journal La Presse pour la publication de la chronique intitulée «
Les dangers que représentent les malades mentaux « .
La décision de la Commission
d’appel repose sur la base suivante :
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1.
Le chroniqueur Kenneth Walker s’est placé, à tout le moins, en
situation d’apparence de conflit d’intérêts en utilisant, dans le dernier
paragraphe de sa chronique, son nom et le pseudonyme Gifford-Jones pour faire
la promotion de sa propre fondation;
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2.
La publication des quatre lettres de réplique ne pouvaient
pas, à elles seules, réparer le préjudice causé par les erreurs de chroniqueur
et de l’éditeur. Dans le présent cas, le journal La Presse aurait dû
faire amende honorable auprès de ses lecteurs, en publiant subséquemment un
rectificatif ou une précision à ce sujet.
Griefs pour l’appel
M. Michel Corbeil interjette appel à
la décision du Conseil de presse.