Plaignant
Annie Lachaud (présidente du comité
de parents pour la recherche en oxygénothérapie hyperbare)
Mis en cause
Société Radio-Canada /
émission » Découverte » (Pierre Sormany, rédacteur en chef,
ClaudeD’Astous, journaliste, et Yves Lévesque, réalisateur)
Résumé de la plainte
Mme Annie Lachaud porte plainte
contre la Société Radio-Canada (SRC), le journaliste Claude
D’Astous et le réalisateur Yves Lévesque à la suite de la diffusion de
l’émission » Découverte » du 26 novembre 2000. Une partie de cette
émission portait sur l’efficacité de l’oxygénothérapie hyperbare, une technique
utilisant l’oxygène sous pression dans le traitement de la paralysie cérébrale
chez les enfants. L’interprétation des résultats de l’étude ne faisait pas
l’unanimité chez les chercheurs et les parents. Selon la plaignante, il est
inacceptable que des journalistes utilisent leur pouvoir et leur visibilité
pour prendre parti tout en prétendant faire de l’information. La présidente du
comité de parents reproche notamment aux mis-en-cause d’avoir coupé et manipulé
ses propres témoignages de façon à servir la partie adverse.
Griefs du plaignant
En guise de plainte, Mme Annie
Lachaud transmet le 14 décembre 2000 au Conseil de presse une lettre récente
qu’elle avait adressée à l’ombudsman de la SRC où elle dénonçait le
manque de professionnalisme et d’intégrité des mis-en-cause. Elle leur
reprochait d’avoir monté de toute pièce une théorie sur un sujet dont ils ne
connaissent visiblement rien, de s’être fait » l’étendard servile «
d’une des parties en éliminant ou en discréditant chaque argument apporté par
la partie adverse, et d’avoir véhiculé des faussetés.
De plus, les mis-en-cause se
seraient présentés chez elle sous une fausse représentation, déclarant faire un
reportage sur la controverse entourant l’étude sur l’oxygénothérapie hyperbare
menée au Québec l’année précédente. Ils lui ont posé des questions durant deux
heures et demie, tant sur la technicalité de la recherche que sur
l’argumentation des parents pour que la recherche soit poursuivie. Mais rien de
tout cela n’a été mentionné dans le reportage. Rien, sinon quelques bribes
prises hors contexte et qui n’éclairaient ni le dossier ni la position des
parents. Elles n’auraient servi qu’à donner plus de poids aux assertions
gratuites du chercheur directeur de la recherche, le Dr Collet. Pour la
plaignante, l’exercice tenait surtout du voyeurisme: celui de montrer son
fils handicapé qui a bénéficié 160 fois de la » magie » du caisson.
La plaignante se dit frustrée non seulement d’avoir ainsi perdu son temps avec
une équipe partisane mais de voir ainsi réduit à une telle ineptie son rôle de
représentante de plus de 6000 familles ayant un enfant handicapé et qui
comptent sur les démarches de son comité.
Loin de respecter le thème qui lui
avait été annoncé (la controverse entourant l’étude), il s’agissait d’un
reportage grotesque sur l’effet placebo à partir duquel on a cherché à
ridiculiser la position des cochercheurs dissidents de l’étude, annoncée au
début de l’émission.
Quinze jours plus tard, en guise de
premier complément de plainte, Mme Lachaud achemine au Conseil une copie
de la lettre qu’elle a fait parvenir antérieurement au rédacteur en chef,
Pierre Sormany. Cette lettre donnait la réplique à la réponse de M. Sormany à
la première plainte de Mme Lachaud. On y trouve essentiellement les mêmes
reproches et notamment d’avoir cherché à ridiculiser le Dr Marois et d’avoir
fait erreur sur le rôle de la plaignante dans le dossier.
Un second complément de plainte
est acheminé le 31 janvier par le Dr Marois, un document volumineux. Comme son
nom figure dans ces documents et qu’on lui prête des propos, des positions et
des intentions qu’il n’a jamais eus, le Dr Marois veut les corriger et faire
des commentaires sur l’émission et sur les lettres adressées pas les
mis-en-cause.
Le document est constitué d’abord
d’une lettre au secrétaire général du Conseil et de commentaires sur les
lettres des mis-en-cause. Il comprend en outre: une lettre de plainte du
Dr Marois à l’émission « Découverte « , trois lettres de parents
mécontents, un article signé par les docteurs Marois et Vanasse sur l’analyse
des résultats, un communiqué en anglais avec la liste des chercheurs et leur
provenance, un échange de correspondance avec la revue médicale britannique The
Lancet et enfin un » Commentaire sur le rapport du Comité
scientifique » préparé par le DrMarois. S’ajoutent à ces documents
des annexes portant sur le protocole final de la recherche et divers documents
sur la recherche elle-même formant sept annexes. L’ensemble de cet appui à la
plainte totalise 308 pages, sur les 401 qui composent le dossier.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Pierre Sormany,
rédacteur en chef de l’émission :
M. Sormany indique qu’il transmet
au Conseil la réponse qui a été adressée le 12 décembre à Mme Lachaud, à la
suite d’une plainte identique à l’ombudsman de la SRC, ainsi que
d’autres documents dont les commentaires détaillés produits par le journaliste
Claude D’Astous et le réalisateur Yves Lévesque.
M. Sormany situe la plainte auprès
du Conseil de presse dans une « bataille politique que mène le comité
des parents pour la recherche en oxygénothérapie hyperbare, visant à obtenir
l’accès gratuit à cette thérapie […]. Le seul fait que notre reportage
accepte de considérer l’hypothèse placebo comme possible leur paraît être une
trahison et une preuve de mauvaise foi « . Le rédacteur en chef considère
pour sa part qu’il s’agit d’un « exemple remarquable de journalisme,
en termes de rigueur et d’équité « .
Les documents de M. Sormany
totalisent 20 pages, répartis en quatre documents et neuf annexes au total.
Commentaires de Claude D’Astous,
journaliste :
Ce second commentaire, daté du 28
février, se veut la réponse au complément de plainte fourni par le Dr Marois.
D’entrée de jeu, le journaliste Claude D’Astous précise que ce complément de
plainte débordait beaucoup de son reportage sur » la controverse créée par
l’étude sur l’oxygénothérapie hyperbare chez les enfants atteints de paralysie
cérébrale « . Il rappelle qu’il est lui-même journaliste scientifique et
que son rôle est d’expliquer et de vulgariser la science. Pour lui, la
controverse est claire: le cœur du problème scientifique, c’est le rôle
que joue ou ne joue pas l’effet placebo dans l’amélioration de la santé des
enfants. D’une part il y a les parents qui refusent de croire que les effets
psychologiques liés à l’effet placebo puissent expliquer l’amélioration de la
condition des enfants, de l’autre, les chercheurs qui privilégient cette
hypothèse. Les parents préfèrent supporter l’hypothèse que leur a présentée le
Dr Marois sur les effets physiologiques de l’hyperbare à 1,3 atmosphères.
Pour le journaliste, il serait trop
long de rapporter toutes les inexactitudes du texte du Dr Marois, mais il en
retient quelques-unes. D’abord, il dit ne pas comprendre » en quoi
l’existence d’un groupe contrôle aurait corrigé le fait que le groupe placebo puisse
produire des effets physiologiques « . Il en conclut qu’en » aucune
façon, donc, ce groupe aurait pu servir de groupe placebo de rechange « .
En ce qui a trait à la notion de chercheur principal, il affirme que «
jamais au cours de nos deux rencontres le Dr Marois n’a fait référence aux cinq
chercheurs principaux « .
Concernant l’affirmation à l’effet
» que les chercheurs privilégient l’hypothèse des effets psychologiques
« , il entendait à ce moment » la communauté scientifique en général
» et non pas » les chercheurs de l’étude « . Le journaliste
mentionne qu’il y a là un quiproquo et que » leur position se défend fort
bien « . Le journaliste ajoute que même s’il ne pouvait parler de la
conclusion de l’étude avant sa publication dans The Lancet, il aurait été
surprenant que les chercheurs de l’étude ne privilégient pas eux aussi
l’hypothèse des effets psychologiques ou placebo « . Après avoir cité un
long extrait de la » Discussion » provenant de The Lancet, il
conclut en disant que cet article montre qu’ils avaient raison de dire que
» les chercheurs privilégient les effets psychologiques ou effet placebo
« .
En ce qui a trait à » l’autre
controverse » source de conflits au sein du groupe de chercheurs, le
journaliste précise qu’il ne voulait pas y toucher, même s’il aurait pu être
intéressant de savoir pourquoi ils ne pensaient pas tous pareil. Pour lui,
certains chercheurs s’étaient engagés personnellement envers les parents et ils
ne voulaient pas trahir leur confiance. Il aurait été intéressant de montrer
que les devoirs du médecin et du chercheur ne sont pas les mêmes, mais ce
n’était pas là le sujet du reportage. Le journaliste réaffirme que l’angle
choisi pour rendre compte de la controverse impliquant les parents et les
chercheurs se justifie pleinement.
À ce second commentaire par Claude
D’Astous s’ajoutent, en Annexe A, » Le protocole final de la recherche
« , en Annexe B, » Listes des chercheurs du comité aviseur
scientifique impliqués » et en Annexe C, l’article paru dans la
revue The Lancet.
Réplique du plaignant
Mme Lachaud indique qu’elle a bien
pris connaissance des plaidoyers de MM. Sormany, D’Astous et Lévesque, mais que
les réflexions soulevées font preuve, selon elle, d’autant de mauvaise foi que
l’émission elle-même. Pour éviter de reprendre et de commenter inutilement
chacun des énoncés apportés dans ces lettres, elle résume plutôt à nouveau sa
plainte en six points principaux:
1.
Absence de neutralité. M. D’Astous s’est présenté chez
elle avec la prétention de faire un reportage sur l’oxygénothérapie hyperbare
en lui indiquant qu’il présenterait les positions divergentes qui entourent
l’étude » sans toutefois entrer dans les querelles intestines qui
entourent le débat « . Mais l’émission s’ouvre sur: » comment
expliquer le mystérieux effet placebo? « . Ce qui démontre le parti pris du
journaliste.
2.
Désinformation. Le journaliste polarise dès le départ
le débat de la façon suivante: l’hypothèse d’un faux groupe placebo,
privilégiée par les parents et celle d’un vrai placebo, soutenue par les
chercheurs. Il lui suffisait d’interroger les cochercheurs pour réaliser que
l’opposition réside entre ces derniers et le chercheur principal, le Dr Collet.
Les parents se sont simplement rangés du côté des spécialistes en paralysie
cérébrale et en médecine hyperbare qui réclamaient la poursuite de l’étude,
soutenant que les résultats ne permettaient aucune conclusion définitive. Or,
le journaliste a présenté la position du Dr Collet comme étant celle des «
vrais » chercheurs alors qu’il savait pertinemment, par ses conversations
avec le Dr Marois, que la majorité des chercheurs impliqués s’opposaient à ses
conclusions. Les « chercheurs » auxquels faisait référence le
journaliste n’étaient en fait qu’un comité aviseur composé à la dernière
minute.
3.
Recherche incomplète ou biaisée. Le journaliste a
manifestement choisi ses interlocuteurs pour suivre la piste qu’il avait
personnellement choisie de suivre. Ainsi, le Dr Marois fait figure d’un croisé
solitaire qui s’insurge contre la communauté scientifique alors que la majorité
des cochercheurs partageaient son point de vue. Il a préféré les commentaires
du DrMarchand » spécialiste en effets placebo » qui n’a aucune
compétence en hyperbarie et en paralysie cérébrale. S’agit-il de négligence ou
de parti pris? Ni l’un ni l’autre ne sont excusables.
4.
Iniquité. La plaignante réitère le manque d’équité
évident dans cette émission: deux minutes dix secondes ayant été
accordées au Dr Marois et à elle-même contre une trentaine de minutes
consacrées à l’explication du fameux effet placebo et au Dr Collet. La
plaignante rejette l’argumentation des mis-en-cause dont la logique lui
échappe.
5.
Occultation d’information déterminante. M. D’Astous
prétend de façon mensongère ne pas avoir été mis en présence de l’article
envoyé pour publication par la revue médicale TheLancet qui fait
état de la conclusion officielle de la recherche. Or le Dr Marois affirme qu’il
a lu avec le journaliste la conclusion et le résumé de l’article qui spécifie
qu’il faut continuer la recherche et que seulement deux hypothèses peuvent être
retenues, sans qu’on ait pondéré leur plausibilité. Le journaliste savait que
l’article du Lancet ne donnait absolument pas préséance à une hypothèse
par rapport à l’autre. S’il avait eu l’intégrité de mentionner cet article cosigné
par les chercheurs et le Dr Collet, il lui devenait impossible de privilégier
une des deux hypothèses comme il l’a fait. La plaignante se demande pourquoi le
journaliste n’a pas confronté le Dr Colet avec les conclusions de son propre
article.
6.
Déformation des propos recueillis. Lors de l’entrevue,
la plaignante a précisé au journaliste que ce que les parents voulaient c’était
la poursuite de la recherche, mais cette fois, en vérifiant les effets de la
pression seule, de l’oxygène seul, d’une combinaison des deux et du placebo. Le
Dr Marois, dans la lettre qu’il a fait parvenir au Conseil, a tenu les mêmes
propos. La plaignante demande alors d’où vient l’idée qu’il suffirait de tenter
l’expérience avec un masque à oxygène comme il est proposé dans l’émission?
Mme Lachaud indique que ceci résume
sa position et celle des parents qu’elle représente et se dit heureuse que le
Dr Marois appuie leurs démarches.
Une seconde réplique datée
du 20 mars et faisant suite aux derniers commentaires du journaliste invite
celui-ci à communiquer avec les chercheurs de renommée internationale (dont
elle donne les noms) qui se sont prononcés en faveur de la nécessité de
poursuivre la recherche. Elle y dénonce des allégations gratuites avancées
vis-à-vis du Dr Marois et des chercheurs dissidents et reproche au journaliste
d’avoir tiré ses propres conclusions et d’avoir dirigé son reportage de manière
à servir ses positions personnelles. Elle y indique enfin que cette
désinformation ne peut que nuire à la recherche scientifique et que le
journaliste confond la lutte des parents pour la poursuite de la recherche avec
son obligation de la divulgation d’une information neutre, complète et non
biaisée, ce qui lui incombait.
À la Réplique 2 viennent
s’ajouter des informations complémentaires à la réplique.
Le document daté du 16 mars et reçu
le 26 mars, totalise 30 pages:
clarifications du Dr P. Marois à la suite des
commentaires de C. D’Astous;
extraits de la revue The Lancet, sommaire et
article;
un article du Devoir;
un article signé par les docteurs Marois et Vanasse sur
l’analyse des résultats (10pages);
divers communiqués annonçant la publication des
résultats de l’étude québécoisedans la revue britannique The Lancet;
lettre du Dr Claude Roy au Dr Michel Vanasse;
un communiqué du comité de parents pour la recherche
signé Annie Lachaud;
un autre communiqué sur le sujet, en anglais.
Analyse
D’entrée de jeu, le Conseil de presse tient à préciser que l’objet de son analyse n’était pas d’établir la validité scientifique du traitement hyperbare – un sujet qui ne fait pas l’unanimité de toute évidence au sein de la communauté médicale, mais bien de s’assurer que le traitement de l’équipe de » Découverte » s’est effectué dans le respect de l’éthique journalistique.
Au visionnement de l’émission en cause, le Conseil a été en mesure de constater que si la première tranche du reportage portait sur le traitement par l’oxygénothérapie hyperbare, la seconde portion visait essentiellement le phénomène placebo.
Visiblement, l’angle de traitement choisi par les mis-en-cause ne satisfait pas la plaignante qui s’attendait à une émission portant sur l’expérience scientifique et ses conclusions.
Le Conseil rappelle à ce propos que l’attention que les médias décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre. Nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information.
Tout en reconnaissant aux mis-en-cause le droit au choix du contenu de leur émission, le Conseil estime qu’en omettant de mentionner le différend observé entre les chercheurs et en évitant d’aborder la question, ils ont laissé derrière eux une ambiguïté entre les notions de » chercheurs « , de » cochercheurs » et de « comité de conseillers « , ceux qui ont pris position dans le dossier.
La plaignante reprochait également aux artisans de » Découverte » d’avoir accordé trop de temps au Dr Marchand qui n’a aucune compétence en hyperbarie. Ce choix relevait également de la latitude rédactionnelle reconnue aux médias et n’avait, aux yeux du Conseil, aucun des impacts que la plaignante dénonce sur l’image ou la réputation du Dr Marois. Il en va de même en ce qui concerne
l’équilibre entre le temps qui a été accordé à la plaignante et celui consacré à l’explication du fameux effet placebo et au Dr Collet.
Concernant l’occultation d’une information déterminante, à savoir que le Dr Collet avait modifié sa position avant de cosigner l’article de la revue médicale The Lancet, le Conseil de presse estime que le journaliste était justifié de ne pas conclure immédiatement sur le résultat, la dispute n’étant pas terminée et la revue non encore publiée. Par conséquent, le journaliste n’apparaît pas en faute à cet égard.
De même en est-il de l’omission concernant la poursuite de la recherche en vérifiant les effets de la pression seule, de l’oxygène seul, d’une combinaison des deux et du placebo. Le fait de ne pas mentionner ces avenues relève encore une fois de la liberté rédactionnelle, comme le fait de faire référence à un masque à oxygène sans pression. Il est d’ailleurs intéressant d’observer que cette référence figure dans l’article de la prestigieuse revue scientifique The Lancet, même si elle est postérieure à la diffusion de l’émission.
Enfin, le Conseil a également pris en considération le fait que le reportage en cause a laissé le mot de la fin à la plaignante qui y affirme sa foi dans le traitement hyperbare.
Après étude des éléments soumis à son attention par la plaignante et au-delà des réserves déjà exprimées, le Conseil de presse juge non fondée la plainte contre la Société Radio-Canada (SRC), le journaliste Claude D’Astous et le réalisateur Yves Lévesque.
Analyse de la décision
- C11C Déformation des faits
- C12A Manque d’équilibre
- C13A Partialité
- C13B Manipulation de l’information
- C23D Tromper sur ses intentions