Plaignant
Fondation des accidentés de la
route (Denise Gauthier, présidente)
Mis en cause
Jocelyne Cazin, Pierre-Jean Séguin,
journalistes, et Le Groupe TVA ( » J.E. » – Réal Germain,
directeur général de l’information)
Résumé de la plainte
Mme Gauthier porte plainte pour ce
qu’elle considère comme des » faussetés mensongères « , sur les
agissements prétendument illégaux de la Fondation des accidentés de la route
(F.A.R.), énoncées par la journaliste Jocelyne Cazin lors de l’émission «
J.E. « , le 15 septembre 2000, et par son invité M. Marcel Cypihot.
Griefs du plaignant
La plaignante relève quatre énoncés
considérés comme erronés qu’elle tente de réfuter. Le premier concerne des
services qui auraient été promis à une dame par la F.A.R et qu’elle n’aurait
pas reçus. Pour Mme Denise Gauthier, il est impossible de vérifier les propos
de cette dame, » ce prétendu membre refusant de s’identifier « . Selon
elle, tous les membres de la F.A.R., depuis le début, ont toujours eu droit à
tous les services offerts. Si un membre en règle prétend le contraire, il doit
en faire la preuve s’il veut que sa plainte soit défendable.
Le second énoncé porte sur les
» rabais et taux préférentiels » accordés par la F.A.R. à ses membres.
Selon la plaignante, la journaliste s’est comportée » en espion » en
ayant fait appeler un interlocuteur inconnu pour vérifier auprès de la
Fondation les informations sur les rabais. Elle lui reproche d’avoir affirmé
que » Mme Gauthier est plus bavarde avec un interlocuteur qu’elle ne
connaît pas » et demande » quels sont le ou les secrets supposément
dévoilés par Mme Gauthier que prétend Mme Cazin? « . La plaignante
contredit ensuite Me Marc Bellemare qui déclare n’accorder aucun taux
préférentiel aux membres de la F.A.R.
Le troisième aspect concerne «
l’insatisfaction de certains membres « . La plaignante reconnaît que si
certains membres peuvent être insatisfaits, ce n’est pas le rôle de la
journaliste de prendre fait et cause pour une partie ou encore de laisser
croire au public des affirmations sans fondement. Pour elle, le taux de
satisfaction à la F.A.R. est très élevé puisque très peu de plaintes ont été
reçues à la Fondation depuis son démarrage en 1992.
Le quatrième sujet aborde la
question du » réconfort non obtenu » par Mme Jeannine Joncas, une
cliente membre. Mme Gauthier rétorque qu’étant présidente bénévole de la
F.A.R., elle n’a pas de permission à demander à quiconque pour prendre des
vacances et ajoute » que Mme Cazin n’a pas à exprimer des commentaires
d’ordre moral voire culpabilisants » sur son absence.
MmeGauthier poursuit ensuite
ses explications en impliquant au passage M. Marcel Cypihot, ex-comptable de la
Fondation récemment mis à pied. Celui-ci avait formulé des accusations concernant
les dépenses de la présidente et celle-ci explique le tout par son désir de
vengeance.
La directrice s’applique à réfuter
par la suite toutes les » prétentions » du reportage, dénonçant entre
autres que » Me Bellemare se permet une opinion personnelle quant à la
gestion interne de la F.A.R. en laissant entendre que certaines corporations
sans but lucratif se permettent de ne pas respecter les lois « . Elle
considère que l’intégrité de la F.A.R. et celle de sa présidente sont de ce
fait salies.
La plaignante présente sur quatre
pages une série de données pour tenter de réfuter certaines informations
contenues dans le reportage, notamment sur la facture de sa carte de crédit
utilisée pour l’achat de billets d’avion. Elle reproche au comptable Cypihot de
ne pas être capable de chiffrer avec précision ses accusations et du même coup
demande pourquoi il n’a pas dénoncé tout cela avant, puisqu’il était au service
de la F.A.R. depuis de nombreuses années. Elle se demande également si Me
Bellemare a vraiment dit ce que Mme Cazin rapporte puisque celui-ci n’avait
jamais manifesté ouvertement, au cours des nombreuses années de collaboration,
quelque doute que ce soit.
La plaignante termine en affirmant
qu’elle n’a jamais ni posté, ni » faxé » à » J.E. » un document
dans lequel elle prétend s’être remboursé 3 000 $ pour justifier certaines
dépenses. Si un tel document existe, elle demande donc à Mme Cazin de
l’exhiber. La plaignante annexe enfin les pages de transcription des dialogues
de l’émission.
Commentaires du mis en cause
Mme Jawhar précise que le contenu
de la plainte à laquelle elle répond a été discuté avec l’ensemble des
personnes concernées par la plainte. Mme Jawhar rappelle d’abord que l’émission
» J.E. » s’inscrit dans la tradition du journalisme d’enquête et
qu’elle fait œuvre utile en diffusant des sujets d’intérêt public.
La représentante des mis-en-cause
indique nommément les sources du journaliste Pierre-Jean Séguin et dresse une
liste de documents dont il avait pris connaissance lors de la préparation de
son reportage. Mme Jawhar reprend ensuite dans leur ordre de présentation les
points soulevés par Mme Gauthier pour y répondre.
Relativement aux » services
non reçus « , Mme Jawhar répond que contrairement à ce que prétend Mme
Gauthier, la personne apparaissant à l’écran lors du premier témoignage n’est
pas une « dame inconnue » mais bien Mme Pierrette Lavoie, dont
le nom apparaissait à l’écran lors de sa seconde apparition. Elle avait
auparavant démontré au journaliste qu’elle avait payé sa carte de membre. Mme
Lavoie déclarait à l’écran qu’elle n’avait reçu aucun conseil ni service à la
suite de son inscription à la F.A.R. et son témoignage est tout à fait
crédible.
Au sujet des » rabais et taux
préférentiels « , Mme Jawhar est convaincue que le recours à l’appel
téléphonique anonyme et à la caméra cachée étaient les seuls moyens de
démontrer si effectivement les représentants de la F.A.R. promettaient un taux
préférentiel auprès de certains avocats comme l’affirmaient certains membres.
En entrevue Mme Gauthier a été plutôt évasive sur cette question et, au
téléphone, elle le laisse sous-entendre. D’autre part, la réponse de Me
Bellemare à cet effet est sans équivoque. Vient ensuite la question de «
l’insatisfaction de certains membres « . Mme Gauthier estime que les
dossiers ont été résolus en faveur des membres de la F.A.R. à un taux de 83 %.
Mme Jawhar fait observer que les mis-en-cause ont justement fait diffuser un
extrait où elle fait cette affirmation, lui permettant ainsi d’exprimer son
point de vue. Sur la question du « réconfort non obtenu » la
représentante des mis-en-cause est d’avis que ce témoignage selon lequel Mme
Jeannine Joncas n’a pas reçu les services annoncés par la F.A.R. est tout à
fait crédible.
Les commentaires se poursuivent sur
une série de réponses aux éléments factuels reprochés par la
plaignante:
quel que soit le motif du congédiement de M. Cypihot,
les éléments qu’il a soulevés ont été corroborés par d’autres personnes;
les mis-en-cause sont convaincus d’avoir tous les
documents concernant les factures de salon de coiffure, de nourriture et celles
relatives à un voyage de la plaignante qui a eu la parole sur cette question.
» J.E. » a résumé sa position exprimée dans un affidavit fourni par
son procureur;
les mis-en-cause croient que Me Bellemare était tout à
fait en mesure d’expliquer les devoirs des dirigeants de toute société à but
non lucratif en regard des frais de représentation;
en réponse à Mme Gauthier qui nie l’existence d’un
texte télécopié à M. Séguin concernant ses dépenses, les mis-en-cause répondent
que c’est l’avocat représentant la plaignante qui l’a transmis. Mme Jawhar en
cite plusieurs extraits et mentionne que les mêmes paragraphes se retrouvent
dans un affidavit produit dans un dossier à la Cour. Elle ajoute que les propos
de Mme Cazin, à la fin du reportage, reflètent parfaitement le contenu de ces
documents.
Réplique du plaignant
En réponse aux commentaires, la
plaignante se demande comment une émission comme » J.E. » peut
prétendre faire du journalisme d’enquête en préparant une émission où une seule
et unique version des faits est présentée. Pour elle, les journalistes n’ont
relaté que les prétentions de M.Cypihot, lesquelles prétentions font
d’ailleurs l’objet d’une action en justice. Pour Mme Gauthier, en enquêtant
véritablement, les journalistes auraient appris que M. Cypihot avait été
remercié de ses services auprès de la F.A.R. et qu’il mettait sur pied une
association concurrente, ce qui aurait pu indiquer aux journalistes que celui-ci
avait des motifs de vengeance et de concurrence. Les journalistes auraient dû
faire état non seulement de 3-4 membres insatisfaits mais aussi de ceux qui
sont satisfaits. Ainsi, ils auraient mentionné que son organisme existe depuis
1992 grâce au sérieux de ses actes et gestes. Malheureusement, le journaliste
n’était intéressé qu’à discuter du voyage en Floride, malgré qu’aucune preuve
documentaire n’appuyait ses propos. Elle a tenté au contraire, mais sans
succès, de lui relater tout ce que la F.A.R. faisait pour aider ses membres.
Mme Gauthier complète ses commentaires en exposant ces activités:
interventions politiques et publiques, sessions d’information, bénéfices
financiers et services de
référence, services d’aide et de
support.
Analyse
Une partie des griefs formulés par Mme Denise Gauthier portaient sur l’exactitude de l’information diffusée par l’émission » J.E. « . À cet égard, l’examen de chacun des éléments soumis par la plaignante a révélé qu’ils ne représentaient pas, dans les faits, de manquement déontologique ou de faute professionnelle. Les griefs étaient soit non démontrés par la plaignante, soit non fondés dans les faits.
Àtitre d’exemple, mentionnons que la personne inconnue et qualifiée par la plaignante de « prétendu membre » en avait fourni la preuve au journaliste; elle était identifiée nommément lors de sa seconde apparition à l’écran. De plus Mme Gauthier affirmait que tous les membres de la F.A.R., depuis le début, avaient reçu tous les services offerts, alors que quatre témoignages diffusés en ondes affirmaient le contraire.
Un grief de Mme Gauthier concernait les procédés dits « clandestins » utilisés par » J.E. « , la plaignante considérant alors que la journaliste s’était comportée » en espion « . Dans un avis publié en septembre 1999, le Conseil stipulaitque:
» Les exigences et les difficultés du journalisme d’enquête justifient parfois l’usage de procédés clandestins, lors de la collecte d’informations : micros et caméras cachés […] etc.L’utilisation de pareils procédés doit toujours demeurer exceptionnelle, trouvant alors sa légitimité dans le haut degré d’intérêt public de la nouvelle, et dans le fait qu’il n’existe aucun autre moyen d’obtenir les informations recherchées. »
C’est sur la base de ces principes que le Conseil a considéré que dans le cas présent les mis-en-cause étaient justifiés d’avoir recours aux moyens utilisés. Le Conseil n’y a donc vu aucune entorse à la déontologie.
Sur les aspects de l’impartialité et de la rigueur de l’information, le Conseil a considéré que le fait pour un journaliste d’interroger une personne – la plaignante en l’occurrence – sur des matières en litige n’implique pas automatiquement que ce journaliste prend fait et cause pour un camp contre un autre. En pratique, le journaliste a interrogé la plaignante sur la satisfaction des membres. Le journaliste n’a pas choisi l’angle qu’aurait aimé la plaignante, mais la liberté journalistique l’autorisait à agir ainsi.
En ce qui a trait à des « commentaires d’ordre moral voire culpabilisants » que Mme Cazin aurait exprimés au sujet du voyage en Floride, le contexte du questionnement, de l’avis du Conseil, est celui du journalisme d’enquête et non d’un reportage neutre, et la narratrice ne questionnait pas tant le fait que la directrice prenne des vacances en Floride mais celui de les faire payer par la Fondation.
Mme Gauthier reprochait également aux mis-en-cause de présenter une opinion personnelle de Me Bellemare quant à la gestion interne de la Fondation, ce qui était susceptible de porter atteinte à l’intégrité de la F.A.R. et à celle de sa présidente. Dans les faits, le Conseil a considéré cette intervention comme celle d’un témoin parmi plusieurs qui s’interrogeaient sur le fonctionnement administratif à la Fondation. Le reportage portait sur certaines décisions de Mme Gauthier dans l’exercice de ses fonctions. Et s’il devait y avoir atteinte à la réputation, ce sont les comportements même de la présidente fondatrice qui en seraient la cause et non les personnes qui les dénoncent.
Au terme de son examen, le Conseil de presse considère donc que l’émission « J.E. « , sa présentatrice Jocelyne Cazin et son journaliste Pierre-Jean Séguin, ont respecté dans l’ensemble les règles déontologiques afférentes au journalisme d’enquête et partant, le Conseil rejette-t-il la plainte.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C13A Partialité
- C15A Manque de rigueur
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C15J Abus de la fonction d’animateur
- C17G Atteinte à l’image
- C23E Enregistrement clandestin