Plaignant
Mme Marie-France Carpentier
Mis en cause
Patrick Lagacé, Paul Simier et Michel Larose, journalistes et Le Journal de Montréal (Dany Doucet, directeur de l’information); Mathieu Perreault, journaliste et le quotidien La Presse (Marcel Desjardins, vice-président et éditeur adjoint)
Résumé de la plainte
Les quatre plaintes concernent essentiellement un traitement journalistique, considéré comme inapproprié, sur des questions touchant le Mouvement Raëlien. Mme Marie-France Carpentier porte plainte contre le quotidien le Journal de Montréal et les journalistes Patrick Lagacé, Paul Simier et Michel Larose, de même que contre le quotidien La Presse et le journaliste Mathieu Perreault. Les articles contestés ont été publiés les 10 et 27 février 2001, les 28 et 29 mars 2001, et le 16 avril 2001 dans le cas du Journal de Montréal, et le 29 mars 2001 dans le cas du quotidien La Presse. La plaignante a formulé des griefs détaillés pour chacun des articles.
Griefs du plaignant
A. PLAINTE CONTRE PATRICK LAGACé ET LE JOURNAL DE MONTRéAL :
Pour Mme Carpentier, l’article du 28 mars « critique injustement les états-Unis et le Congrès amÉricain » pour avoir choisi d’écouter les deux points de vue opposés sur le sujet controversé du clonage humain. L’article ridiculise le chef d’une religion en le traitant de gourou. Il attire le mépris sur une minorité religieuse par son vocabulaire et diffame le chef d’une communauté religieuse en communiquant l’idée qu’il est dangereux.
La plaignante reproche également à l’article du 29 mars d’attirer le mépris sur un chef de religion par le choix du vocabulaire utilisé et en relève des exemples. Elle dénonce aussi la description de l’apparence vestimentaire de Mme Boisselier et le mépris ainsi attiré sur elle. La façon de l’auteur « de mener le débat est de diffamer et insulter des personnages qui, pour les membres de la religion raëlienne sont importants ». La discrimination systématique que le journaliste fait sur les personnages-clés de la religion raëlienne ressemble à de la propagande. Comme le journaliste n’oserait pas traiter de façon aussi injurieuse les dirigeants de religions conventionnelles, il s’agit, en conclut la plaignante, de discrimination.
B. PLAINTE CONTRE PAUL SIMIER ET LE JOURNAL DE MONTRéAL :
Article du samedi 10 février 2001. Mme Carpentier estime que M. Simier accuse faussement le gouvernement du Québec de commettre un acte répréhensible alors que ce gouvernement ne fait qu’exercer un de ses droits. Elle lui reproche d’insinuer que le groupe des Raëliens n’est autre chose qu’une minorité religieuse en le qualifiant de « secte ». Le journaliste ferait du sensationnalisme et attiserait le mépris sur un groupe identifiable en utilisant des termes comme « gourou » et « secte »; il inciterait un organisme du gouvernement et les lecteurs du journal à faire de la discrimination; et en ferait également lui-même à l’égard du groupe de Raëliens; il suggérerait aux lecteurs qu’ils sont victimes d’un acte répréhensible perpétré par une minorité religieuse; et enfin il attiserait la haine sur un groupe identifiable.
Article du 27 février 2001. La plaignante formule essentiellement les mêmes reproches et d’abord celui de la « discrimination sur la religion des Raëliens ». Par ses propos, M. Lagacé a induit le lecteur en erreur et ainsi, fait de la discrimination pour motif religieux; par son vocabulaire, il méprise une minorité religieuse en la traitant de « secte » et en lui en déniant des droits et diffame son chef en communiquant l’idée qu’il est dangereux. Enfin, le journaliste démontre de la haine qu’il tente de propager en laissant croire que la religion raëlienne est indigne de bénéficier du statut de religion.
C. PLAINTE CONTRE MICHEL LAROSE ET LE JOURNAL DE MONTRéAL :
Au sujet de son article publié le 16 avril, la plaignante reproche à Michel Larose sa discrimination à l’égard d’une minorité religieuse par son mépris, et sa diffamation à l’égard des filles de cette religion. Le chef de cette religion est lui aussi traité avec mépris à travers les termes ou les expressions utilisées. Mme Carpentier reproche au journaliste la phrase « aller dans une conférence de Raël, c’est comme aller dans un club de danseuses, les filles sont là pour séduire la clientèle ». En plus d’être diffamante et méprisante, cette déclaration est faite sous le couvert de l’anonymat. Le journaliste rapporte faussement que c’est « un groupe » qui l’a dite. Enfin, le journaliste utilise le mot secte au lieu de « minorité religieuse » et il véhicule l’idée diffamatoire que « Raël est dangereux, c’est une secte » et que « les sectes sont dangereuses ».
D. PLAINTE CONTRE MATHIEU PERREAULT ET LA PRESSE :
Au sujet de son article publié le 29 mars, Mme Carpentier reproche au journaliste Mathieu Perreault de faire de la diffamation en comparant Raël à un médecin eugéniste nazi. Le journaliste se fait le « complice de cette diffamation en la rapportant, et coupable de distiller la haine ». Elle ajoute que le journaliste fait de la discrimination systématique sur la figure de proue de la minorité religieuse des Raëliens.
Commentaires du mis en cause
A. COMMENTAIRES DU JOURNAL DE MONTRéAL, POUR LE JOURNALISTE PATRICK LAGACé :
M. Dany Doucet invoque le dictionnaire Le Petit Robert pour affirmer que le mot « secte » n’est pas péjoratif. De même fait-il pour la définition du mot « gourou », et l’expression « avoir pignon sur rue ». Il précise ensuite que les mots « symptomatique », « preachers » et « omniprésent » sont utilisés dans des citations et sont conformes aux règles du journalisme. Il reconnaît « que l’auteur utilise des expressions comme » hurluberlu » qui s’est présenté devant le Congrès dans son » célèbre pyjama blanc » », mais estime que cela n’est pas méprisant mais descriptif : Raël a choisi de s’habiller d’une manière différente des autres membres de la société; c’est un choix qu’il assume, sinon, il ne l’aurait pas fait. M. Doucet réfute ensuite l’utilisation incorrecte de « bunker » et rétorque, dans le cas de la tenue de Mme Boisselier, qu’elle a choisi de se présenter ainsi devant le Congrès amÉricain et que tout journaliste a droit de le noter. Enfin, même si la description des débats entre le Dr Boisselier et des membres du Congrès peut déplaire, elle n’est, selon lui, que le compte rendu de ce à quoi le journaliste a assisté.
B. COMMENTAIRES DU JOURNAL DE MONTRéAL, POUR LE JOURNALISTE PAUL SIMIER :
Commentant les deux articles à la fois, M. Doucet affirme, dictionnaire à l’appui, que le mot « secte » n’est pas péjoratif et qu’il est pertinent d’appliquer à Raël le terme de « gourou ». Il défend ensuite l’utilisation de « vitrine » : Ufoland est la vitrine des croyances des Raëliens. Le directeur de l’information explique que ce centre cherche à attirer des touristes et rien ne permet de croire qu’il s’agit d’un endroit de culte. Il demande : « pourquoi alors Mme Carpentier le compare-t-elle à « des églises, des chapelles et basiliques « , ce qui lui permet d’accuser l’auteur de sensationnalisme et de discrimination? ». M. Doucet ajoute que pas une seule fois dans ses articles le journaliste ne fait référence à une quelconque « église [ou religion] des Raëliens », mais il parle plutôt d’une attraction touristique. Les accusations de la plaignante au sujet de la religion sont le fruit de son imagination qui voit des attaques, du dénigrement, de la discrimination, du mépris et de l’incitation à la haine dans touts les mots et dans toutes les phrases qu’elle lit, sans discernement.
Le directeur de l’information explique que le journaliste spécialisé en tourisme a cherché à savoir comment Tourisme Québec en était venu à annoncer l’Ufoland, un centre qui sert à financer un groupe religieux marginal. Ses textes ont permis de préciser que le groupe de Raël est reconnu comme une religion officielle, comme bien d’autres groupes religieux marginaux. Ils ont également permis de connaître le processus de décision concernant les panneaux touristiques et le contenu du site web du gouvernement, dans le respect des droits des personnes et des groupes reconnus. Il ajoute que ces questions se posaient puisque l’état est en principe séparé des églises et qu’il n’en défend aucune. Le ton des articles est informatif et explicatif. Et si un titre a pu déplaire à la plaignante, il n’était pas de l’auteur.
C. COMMENTAIRES DU JOURNAL DE MONTRéAL POUR MICHEL LAROSE :
Le directeur de l’information précise le sens de certains mots et de certaines expressions. Il dit rappeler pour la troisième fois que le mot secte n’est pas un terme péjoratif et que selon le dictionnaire le Petit Robert, un « gourou » est un « maître spirituel » ou encore un « maître à penser », ce qu’est Raël. En ce qui a trait à « messie » il indique que le mot n’a rien de péjoratif mais que, dans le texte de M. Larose il a été utilisé à mauvais escient : selon le dictionnaire, il s’agit d’un « libérateur désigné et envoyé par Dieu » alors que Raël a plutôt été choisi par les élohims pour annoncer leur retour en 2035. Il rappelle que Jésus aussi parlait de « ses brebis » et on ne l’a jamais accusé de faire preuve de mépris.
M. Doucet explique ensuite que ce qu’ont dit les gens interviewés fait partie de la liberté d’expression et que le journaliste s’est contenté de rapporter leurs paroles, les guillemets en faisant foi. Il défend également l’utilisation du mot « nymphette », en ajoutant que le journaliste a décrit ce qu’il a vu.
D. COMMENTAIRES DE LA PRESSE :
Commentaires du vice-président et éditeur adjoint, Marcel Desjardins :
Selon M. Desjardins, le texte du journaliste Mathieu Perreault sur la comparution de Claude Vorilhon devant un sous-comité du Sénat amÉricain reflète les échanges qui s’y sont déroulés. Durant ces audiences sur le clonage, Claude Vorilhon et Brigitte Boisselier ont été interrogés et contre-interrogés avec beaucoup de vigueur. Leur point de vue a été vertement critiqué et il est évident que l’article reflète cet état de fait.
Commentaires du journaliste Mathieu Perreault :
Le journaliste indique qu’il a écouté les audiences du 28 mars sur Internet en suivant la transmission vidéo Internet du réseau CSPAN et c’est ainsi qu’il a fait ses choix journalistiques. Il rappelle un certain nombre de croyances des Raëliens. Il indique que sur la base du credo des Raëliens, Raël apparaît comme le gourou d’un mouvement religieux. Selon le journaliste, c’était visiblement l’opinion de beaucoup de membres et invités à la session qui s’impatientaient quand Raël affirmait ses croyances au lieu de répondre à certaines questions. Il explique ensuite la référence aux médecins nazis, qu’a faite un invité présent. S’il a cité cette comparaison, c’est qu’elle contenait des explications intéressantes.
Réplique du plaignant
A. RéPLIQUE à PATRICK LAGACé :
Mme Carpentier reconnaît que la définition du mot « secte » mise de l’avant par M. Doucet « est effectivement une des définitions du mot, mais elle n’est plus du tout utilisée dans ce sens, dans le monde francophone, depuis les années 1980. » Pour appuyer ses dires, elle donne sept citations d’auteurs qui, à leur manière et dans leurs termes, indiquent le caractère péjoratif et dépréciateur du mot « secte » dans son usage contemporain. La plaignante répond ensuite à l’utilisation du mot « gourou » par une citation du dictionnaire Larousse dans laquelle on lui reconnaît un sens ironique. Elle demande alors pourquoi ne pas utiliser des termes neutres et non discriminatoires. Elle termine en défendant la tenue blanche de Raël, la comparant à celle du pape, pour répliquer à l’ironie du journaliste.
B. RéPLIQUE à PAUL SIMIER :
Mme Carpentier reprend la même démonstration que dans la plainte précédente concernant le caractère péjoratif des mots « secte » et « gourou ». Elle indique ensuite que M. Doucet soulève un faux débat en prétendant que Ufoland est un lieu religieux de la religion raëlienne, non identifié comme tel dans le guide touristique mais qui aurait dû l’être, et en affirmant que son journal ne parle que d’une simple attraction touristique sans référence à la religion.
La plaignante poursuit sa démonstration pour conclure que « dans tous les cas, la position proposée par M. Doucet en est une de soutenir, d’encourager, voire d’inciter à la discrimination gouvernementale envers une minorité religieuse ». Elle explique qu’en vertu du principe de liberté religieuse, la loi autorise les groupes religieux à obtenir des fonds du public et à recruter de nouveaux membres. Elle cite des exemples de l’église catholique et rappelle que l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, dont le Canada est signataire, stipule la liberté de faire du prosélytisme. Elle conclut en affirmant que la promotion du site Ufoland était légale et légitime mais que le journaliste a essayé de créer une controverse en communiquant le fait qu’il y avait matière à scandale.
C. RéPLIQUE à MICHEL LAROSE :
Mme Carpentier reprend la même réponse que dans les deux plaintes précédentes concernant le caractère péjoratif des mots « secte » et « gourou ». Elle ajoute que les membres du Mouvement raëlien disent de Raël qu’il est leur prophète et l’appellent même « notre prophète bien-aimé ». La plaignante conteste l’utilisation du terme « brebis ». Comme le journaliste fait usage d’autres expressions humiliantes pour qualifier une personne, et elle en donne des exemples, il s’agit en l’occurrence de mépris.
La plaignante s’étonne que le Journal persiste à justifier son manque de respect envers les femmes membres de la religion raëlienne. La description que fait le journaliste des tenues vestimentaires des Raëliennes est évidemment sexiste et discriminatoire. La tenue vestimentaire est un choix personnel et il est inacceptable que le journaliste traite les Raëliennes comme des objets sexuels. à l’appui de ses affirmations, elle cite des extraits du livre de l’auteure Susan Palmer « Pour en finir avec les sectes ». Elle répond par le même moyen au dernier élément de l’article concernant « le signe du groupe, le svastika inscrit dans une étoile de David ».
D. RéPLIQUE à MATHIEU PERREAULT :
Mme Carpentier indique qu’elle ne peut accepter l’explication de M. Desjardins : ce qu’elle reproche à cet article n’est pas le fait qu’il exprime une controverse mais le fait qu’il soit écrit dans un langage abusif, méprisant, diffamatoire et de nature à susciter ou entretenir une campagne haineuse. L’accumulation des termes défavorables à cette minorité religieuse amène, chez le lecteur, un sentiment de mépris pour le représentant de cette religion et un rejet de ses idées.
La plaignante affirme que les campagnes de haine ont toutes le même modèle, en utilisant les médias pour propager le mépris et le rejet. M. Vorilhon et ceux qui suivent ses idées ont droit à leurs idées. On peut être en accord ou en désaccord avec ces idées et le dire. Mais les insultes et l’utilisation de termes méprisants contre un groupe ou son leader sont inacceptables.
Analyse
Le choix d’un sujet, son importance, la façon de le traiter de même que le style de celui qui écrit, relèvent de la discrétion rédactionnelle des professionnels de l’information.
De plus, le fait de rapporter des événements ou des propos n’implique pas que le journaliste ou le média appuie et endosse ou condamne automatiquement les gestes et les paroles des personnes impliquées. Une fonction primordiale et une assise fondamentale de l’information sont de rapporter les faits.
Les six articles à l’étude portaient sur le Mouvement raëlien. Le Conseil a observé, au passage, le caractère original et personnel qu’ont choisi d’arborer le Mouvement et ses représentants, de même que les positions idéologiques peu orthodoxes qu’ils soutiennent et qui peuvent à tout le moins laisser perplexe. S’il est vrai que les journalistes doivent respecter les mouvements religieux, ils doivent également rendre compte de la réalité. Et quand un chef spirituel a des comportements qui sortent de l’ordinaire, qui étonnent – ou détonnent – socialement, les journalistes peuvent le souligner en toute légitimité. Raël, qui est un Occidental, ne se présente ni à l’occidentale, en tenue de ville, ni en costume traditionnel de l’Orient, mais dans son costume blanc. C’est son choix. Mais il ne faut s’étonner qu’il ne passe pas inaperçu et que les journalistes rapportent que sa comparution devant un sous-comité du Congrès amÉricain ait fait sourire plus d’un citoyen.
Le Journal de Montréal et La Presse ainsi que leurs journalistes pouvaient légitimement rapporter les événements dans le style qui leur est propre et en utilisant un vocabulaire qui ne correspond pas nécessairement aux conceptions sociales de la plaignante, sans pour autant être considérés comme ayant fait du sensationnalisme et ayant attisé le mépris.
En effet, le Conseil s’est toujours refusé à établir un lexique de termes à employer ou à éviter. Un tel choix relève de la discrétion rédactionnelle des organes d’information qui doivent cependant peser judicieusement l’emploi de ces termes.
La contestation par Mme Carpentier des six articles en question a conduit le Conseil à se pencher particulièrement sur la définition et l’utilisation du mot « secte ». Cet examen a permis d’établir que dans le contexte des reportages analysés et plus largement dans le contexte social actuel, l’utilisation de ce terme, de même que celui de « gourou », n’avait pas la portée négative dénoncée.
Cependant, comme les spécialistes de la question semblent s’entendre pour faire la distinction entre « secte » et « mouvement religieux » et également reconnaître que depuis quelques années l’acception du mot « secte » glisse progressivement vers un sens de plus en plus péjoratif, le Conseil invite les journalistes et les médias à la prudence dans l’utilisation de ce terme pour ne pas donner à leurs propos un sens qu’ils n’ont pas.
Décision
Pour ces raisons, le Conseil de presse ne retient pas les plaintes de Mme Marie-France Carpentier contre les quotidiens La Presse et Le Journal de Montréal et leurs journalistes.
Le Conseil émet toutefois une réserve sur les articles du journaliste Michel Larose du Journal de Montréal parce que ces textes oscillent entre le reportage et le commentaire. De fait, l’utilisation d’expressions comme « une de ces brebis aux airs de nymphette a refusé… l’accès à son maître » et « le cirque s’est poursuivi » contribue à entretenir la confusion des genres journalistiques.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C13B Manipulation de l’information
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15H Insinuations
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C18D Discrimination