Plaignant
Parti action canadienne / Aile québécoise (Ken Fernandez, président)
Mis en cause
Naomi Bloch,
journaliste et Mirror (Alastair
Sutherland, rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
En tant que président de l’Aile
québécoise du Parti action canadienne, Ken Fernandez porte plainte contre Naomi
Bloch du journal Mirror pour n’avoir
fait qu’une enquête superficielle et avoir ainsi privé le public de
renseignements de haute importance, ainsi que de l’avoir lui-même présenté de
façon diffamatoire. De plus, il a tenté en vain de rejoindre la direction du
journal qui l’aurait laissé sans réponse. La plainte concerne la préparation et
le contenu de l’article paru le 7 juin 2001 dans le journal
Mirror sous le titre «
Happy
Contrails ».
Griefs du plaignant
Le plaignant reproche à Mme Bloch
de ne pas avoir mentionné dans son article certaines informations concernant
l’emploi d’une substance chimique, le malathion, alors qu’elle savait que son
utilisation posait un danger pour la santé publique. M. Fernandez lui reproche
également d’avoir omis des informations concernant des maladies et des
problèmes éprouvés à la suite de pulvérisations par avion, et ce, alors qu’il
lui avait fourni des données et des sources. Le plaignant relève également
d’autres omissions commises par la journaliste concernant des bactéries et des
virus dangereux alors que, selon lui, ces informations auraient dû l’inciter à
soulever des questions et à faire enquête.
En ce qui a trait aux sillages
chimiques aériens laissés par les avions, le plaignant reproche à Mme Bloch de
ne pas avoir pris connaissance de la documentation qu’il lui a fournie et de
n’avoir pas contacté les personnes mentionnées. M. Fernandez considère donc que
la journaliste n’a pas agi de façon responsable et qu’elle a ainsi empêché les
lecteurs du Mirror «d’obtenir d’importantes informations sur les
sillages chimiques notés à Gatineau et à Montréal ». De plus, elle aurait
rapporté ses propos de façon diffamatoire car il aurait alors été présenté
comme «paranoïaque », en dépit des sources et des informations fournies.
Le plaignant déplore aussi que les photos des sillages d’avion dont il a parlé
à la journaliste n’aient pas été publiées, alors qu’il avait passé un
après-midi complet avec le photographe du Mirror.
Le plaignant relève au passage
une contradiction de la journaliste sur les observations qu’il lui a
communiquées. Il termine en lui reprochant de lui avoir fait croire qu’elle le
prenait au sérieux et qu’elle allait utiliser ses documents, mais elle ne l’a
pas fait, et l’a « peint sous les traits d’un cinglé en marge de la politique
». Enfin, M. Fernandez indique qu’il n’a jamais reçu de retour à ses appels
téléphoniques au rédacteur en chef.
Le plaignant annexe l’article
controversé et 20 pages de documentation pertinente à sa thèse.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du rédacteur en chef du
Mirror, Alastair Sutherland:
M. Sutherland explique qu’avant
la publication de la nouvelle, il a eu une brève conversation avec le
plaignant. Il lui a alors dit qu’il était familier avec la controverse au sujet
des sillages des avions, qu’il trouvait intéressante. Jamais, cependant,
n’a-t-il dit qu’il croyait que cela avait à faire avec l’armée amÉricaine.
Il a confié le sujet à Mme Bloch
qui non seulement est chef des nouvelles mais qui est également celle qui
détient le meilleur bagage scientifique de tous ses journalistes. Il inclut, en
guise d’illustration de son travail, deux exemples d’articles sur des sujets
scientifiques controversés. Ce qu’il attendait d’elle, c’est un article de 800
mots environ, qui expliquerait le mieux possible et avec circonspection les
deux versions d’un dossier complexe, mais sans être ni réductrice ni alarmiste.
Il considère que c’est ce qu’a réussi à faire Mme Bloch qui a été rigoureuse
autant dans sa recherche que dans son reportage.
Il ajoute la réponse de la journaliste à la sienne.
Commentaires de la
journaliste Naomi Bloch:
À l’origine, c’est M. Fernandez
qui a pris contact avec le Mirror et l’article qui en a résulté traite
des préoccupations dont il lui a fait part lors de leur conversation
téléphonique (transcription de la conversation annexée). La journaliste
reconnaît que le plaignant avait certaines préoccupations tout à fait légitimes
concernant les directives du gouvernement canadien en regard du virus du Nil
occidental (West Nile virus).
Elle a estimé que cette entrevue soulevait trois grandes questions :
1.
Est-ce
que le gouvernement a vaporisé du malathion sans informer le public?
2.
Pourquoi
le groupe mis sur pied par Santé Canada, que ce ministère décrit comme un
groupe multidisciplinaire, comprend-t-il le ministère de la Défense nationale
ainsi que des représentants d’intérêts privés, i.e. des représentants de
compagnies de produits chimiques?
3.
Que
sont ces sillages que M. Fernandez a vu traîner derrière des avions,
particulièrement au-dessus d’un espace densément peuplé comme le centre-ville
de Montréal?
Dans son article, la journaliste
a donc traité des accusations de M. Fernandez à l’effet que le gouvernement
pouvait être en train d’empoisonner la population tout en retenant des
informations concernant le bien-être public. Elle avait d’ailleurs reçu
d’autres appels de Montréalais qui avaient pris connaissance de l’information
de M. Fernandez et qui craignaient que leur secteur ne soit vaporisé au
malathion.
Tel qu’indiqué dans son article,
elle a discuté avec M. Richard Aucoin, membre du comité multidisciplinaire et
directeur de la Division de l’évaluation et de la pérennité des produits de l’Agence
de réglementation de la lutte antiparasitaire (PMRA/ARLA). Il lui a fourni,
entre autres, les réponses aux interrogations de M. Fernandez au sujet de la
composition du groupe multidisciplinaire de Santé Canada.
Mme Bloch a ensuite contacté le
ministère québécois de l’Environnement. Selon la loi en vigueur à ce moment, on
devait obtenir la permission du bureau régional du ministère de l’Environnement
avant toute vaporisation aérienne de pesticide. Elle a été référée à Mme Hélène
Ross, du bureau régional de Montréal; sa réponse est dans l’article. Le
ministère québécois de la Santé n’a pas retourné ses appels avant l’heure de
tombée.
La journaliste s’est ensuite
entretenue avec deux pilotes commerciaux qui lui ont indiqué le rapport
de l’U.S. Environmental Protection Agency
sur les sillages aériens. Ils lui ont également déclaré qu’ils n’avaient jamais
entendu parler de sillages chimiques (
chem
trails) et se disaient surpris que de nombreux sites Internet
suggèrent que les avions qui laissent derrière eux des traînées de condensation
laisseraient, en fait, des traînées chimiques dangereuses.
En regard des reproches de M.
Fernandez à l’effet que la journaliste a fait une enquête «superficielle
» (superficial inquiry) auprès des autorités, Mme Bloch répond qu’elle a
contacté les personnes dont relevaient les sujets soulevés lors de leur
entrevue. Même si le plaignant considère leur réponse superficielle, elle ne
voit personne d’autre qui aurait pu faire la lumière sur la composition du
comité multidisciplinaire ou préciser si les avions ont déversé des produits
chimiques sur des citoyens non informés.
Elle a accepté avec gratitude la
documentation demandée à M. Fernandez
et celle-ci a constitué, avec beaucoup d’autres sources de son cru, la base de
son article. Les télécopies de M. Fernandez lui ont par ailleurs permis de
comprendre comment celui-ci arrivait à ses conclusions. Comme elle ne traitait
pas des effets du malathion sur la santé ou sur le procès de
New York, elle n’a fait qu’une référence, au
passage, sur ces sujets.
En ce qui a trait aux
photographies, quand elle a demandé au plaignant de poser pour le photographe,
celui-ci a suggéré d’utiliser une photo trouvée sur un site Internet, photo qui
cherchait à démontrer des sillages chimiques (chemical trails) observés dans
l’Ouest. Il ne lui apparaissait ni
conforme à l’éthique ni approprié d’utiliser de telles photos.
Enfin, elle a appris que
l’éditrice adjointe du Mirror, Geneviève Paiement, avait parlé à M.
Fernandez après la parution de l’article et qu’il lui avait exprimé son
insatisfaction. Ce à quoi elle l’avait invité à adresser une lettre au
rédacteur en chef, ce qu’il n’a jamais fait.
Réplique du plaignant
Le plaignant relève que M.
Sutherland est persuadé que l’article de Mme Bloch a été fait très
rigoureusement alors qu’elle n’a fait aucune mention des effets toxiques du
malathion, malgré la documentation qu’il lui avait envoyée. De même en est-il
de la question de la corruption qui semble exister au sein de la National
Protection Agence (EPA) en ce qui concerne le malathion, et ce d’autant plus
que Santé Canada fait l’éloge du produit.
Le plaignant s’étonne également
que l’article ne fasse aucune référence au procès intenté par des New-Yorkais
contre leur ville, à la suite de pulvérisation au malathion. De même en est-il
concernant l’absence de mention du virus du Nil occidental. Enfin, malgré toute
la documentation fournie par le plaignant, elle a tout simplement accepté une
faible explication d’un militaire à ce sujet.
Analyse
L’attention que les médias décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre. Nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information.
Sur la base de ces principes maintes fois rappelés par le Conseil de presse, M. Fernandez ne pouvait s’attendre à ce que, dans le cadre de son travail, une journaliste réalise le reportage qu’il avait lui-même amorcé par ses propres recherches.
La latitude professionnelle reconnue aux praticiens de l’information autorisait Mme Bloch à privilégier un aspect du sujet lors du traitement de la nouvelle sans que le plaignant ne puisse y voir un manquement par omission. À l’examen des documents fournis, le Conseil a constaté que la recherche effectuée par Mme Bloch était appropriée dans les circonstances et que les réponses obtenues révélaient un haut taux de vraisemblance.
En ce qui a trait à l’humour utilisé en amorce de l’article, le genre journalistique de la « chronique » permet l’utilisation d’un ton humoristique ou polémiste pour traiter d’un sujet. Et les médias et les journalistes peuvent le faire dans le style qui leur est propre. Le Conseil n’a rien observé dans cette pratique qui porte atteinte à l’image de M. Fernandez.
Enfin, en ce qui a trait à l’expression de l’insatisfaction du plaignant qui dit avoir tenté de communiquer avec le rédacteur en chef sans réponse, il appert qu’une occasion de réplique lui a été offerte et que M. Fernandez a choisi de ne pas y avoir recours.
En conséquence et pour ces raisons, le Conseil de presse rejette la plainte contre le journal Mirror et sa journaliste Naomi Bloch.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C09B Droit de réponse insatisfaisant
- C17G Atteinte à l’image