Plaignant
Les Centres Jeunesse de la Mauricie et du Centre-du-Québec (Dominique
Lafrance, Richard Desrochers et Me Pierre Martin)
Mis en cause
Joël Goulet, journaliste, et
Télévision Quatre Saisons (Bernard
Guérin, directeur des Affaires juridiques)
Résumé de la plainte
La plainte vise un reportage
diffusé sur les ondes de Télévision
Quatre Saisons dans le cadre de l’émission «
Le grand Journal » présentée à 17 h 00 et à 22 h 00 le 8 août
2001. Le reportage était relatif à une situation où un adolescent de 14 ans
aurait, sur une période de quatre années, abusé sexuellement sa sœur maintenant
âgée de 12 ans. Les plaignants réprouvent que
Télévision Quatre Saisons ait privilégié le sensationnalisme au
mépris du respect de la confidentialité et du principe de la non-identification
des personnes mineures, en permettant d’identifier l’adolescent et la présumée
victime lors du reportage.
Griefs du plaignant
MM. Dominique Lafrance et Richard
Desrochers, membres des Centres Jeunesse de la Mauricie et du Centre-du-Québec,
ainsi que Me Pierre Martin portent plainte contre
TQS au sujet d’un reportage diffusé dans le cadre du «
Grand Journal » le 8 août 2001.
Les plaignants soutiennent que
pour la réalisation de son reportage, TQS
a privilégié le sensationnalisme, aux dépends du respect de la
confidentialité et de la non-identification des personnes mineures: « il
est de notre devoir de dénoncer un tel traitement médiatique d’une information
ayant certains caractères confidentiels… ».
Les plaignants réprouvaient tout
d’abord qu’au cours du reportage, « il est possible de voir et d’identifier
clairement tant le père de l’adolescent que le nouveau conjoint de sa mère ».
Ils déploraient également que lors de la prise d’images relatives à
l’adolescent, il soit possible d’en identifier la coiffure et la tenue
vestimentaire. Ils reprochaient par ailleurs que le journaliste Joël Goulet et
son cameraman aient pris des images de la résidence où habitaient la victime et
l’adolescent, permettant ainsi de les identifier. Les plaignants affirment
enfin que le journaliste et son cameraman ont filmé la présumée victime des
actes reprochées à l’adolescent. Ils ont de plus dénoncé les « termes excessifs
laissant planer une idée de drame d’horreur » utilisés par le journaliste Joël
Goulet lors du « Grand Journal »
diffusé à 17 h 00 et à 22 h 00.
Selon les plaignants, le
reportage de TQS constituerait donc
une contravention à l’article 38 de la Loi sur les jeunes contrevenants et à
l’article 83 de la Loi sur la protection de la jeunesse.
Les plaignants précisent également que l’identification de
l’agresseur et de la victime a causé de graves préjudices à ces derniers,
victimes d’ostracisme dans leur milieu scolaire et d’une véritable «
stigmatisation sociale » depuis la diffusion de l’émission de
TQS. Les plaignants souhaitent voir la
fin des reportages qui, au-delà de la nouvelle, permettent par des images et
des informations à caractère nominatif, l’identification d’un jeune dans sa
communauté.
Commentaires du mis en cause
M. Guérin rappelle de prime abord
la nécessité de dissocier l’aspect légal de l’aspect éthique de la plainte
soumise au Conseil de presse, et que ce dernier devrait se limiter aux
questions d’éthique journalistique soulevée par la présente plainte.
M. Guérin souligne par ailleurs
que tout au long du reportage mis en cause, de nombreuses caches ont été
apposées pour masquer tant le mineur impliqué que tout autre personne apparaissant
dans son environnement immédiat. M. Guérin soutient également que
TQS a pris les moyens raisonnables et
les précautions nécessaires pour s’abstenir de diffuser toute mention propre à
permettre l’identification du mineur: « Dans ce reportage, il n’y avait
aucun renseignement nominatif ou image permettant l’identification de la
personne concernée », qu’il s’agisse de son nom, de son adresse, de son image
ou d’une quelconque marque distinctive.
Concernant le grief selon lequel
« il est possible de voir et d’identifier clairement tant le père de
l’adolescent que le nouveau conjoint de sa mère », M. Guérin précise que « ce
n’est qu’en tournant le coin du corridor que cette personne s’est retournée
subitement pour faire face à la caméra » mais que cette personne étant aperçue
très furtivement soit moins d’une seconde, « rien ne permet de conclure si
cette personne est soit le père de l’adolescent, le nouveau conjoint de sa mère
ou quiconque d’autre ».
En ce qui a trait aux images
prises de la résidence de la victime et de l’adolescent, M. Guérin soutient que
la vue de la maison est beaucoup trop anonyme pour permettre quelque
recoupement ou déduction sur l’identité de ses occupants.
Enfin, M. Guérin affirme ne pas
voir en quoi les termes employés par le journaliste sont excessifs, « car il y
a bien peu de mots pour décrire des événements aussi tristes et déplorables que
l’inceste, par surcroît entre frère et sœur ».
Réplique du plaignant
Les plaignants récusent
l’assertion de Me Guérin relative à la minutie apportée par
TQS quant à la non-divulgation des
identités: « nous ne croyons pas que la position de caches sur les
visages ait permis d’atteindre cet objectif ». Et de conclure: « quant
aux images tournées, nous maintenons que, compte tenu de la taille restreinte
de la municipalité, le fait d’avoir pu voir, tant le père du jeune contrevenant
que le nouveau conjoint de sa mère, donne des indices certains quant à
l’identité des enfants impliqués ».
Les plaignants rappellent que
le 2 novembre 2001, TQS diffusait une
suite au reportage du 8 août 2001. L’objet du reportage était le plaidoyer de
culpabilité enregistré par l’adolescent S. L. À l’occasion de ce reportage, des
images diffusées le 8 août 2001 ont été rediffusées et des entrevues avec des
gens du village où habite l’adolescent ont été également présentées: «
cette façon de faire a permis l’identification de ce jeune et de sa famille ».
Les plaignants déplorent les conséquences néfastes pour l’adolescent de la
diffusion de ces reportages, et notamment le fait qu’il ait été l’objet
d’intimidation de la part d’élèves plus âgés.
Analyse
Tout en assurant le droit à l’information, les médias et les professionnels de l’information doivent respecter les droits de la personne dont le droit à la vie privée, à l’intimité, à la dignité et à la réputation. Ils doivent se soucier d’informer réellement le public plutôt que de recourir au sensationnalisme.
Dans le cas précité, les plaignants réprouvaient que Télévision Quatre Saisons ait privilégié le sensationnalisme au mépris du respect de la confidentialité et du principe de la non-identification des personnes mineures, en permettant d’identifier l’adolescent et la présumée victime lors du reportage.
Or, l’analyse du Conseil a permis de constater que bien que TQS ait pris soin de ne révéler ni le nom, ni l’adresse de l’adolescent accusé, ni ceux de la victime, et d’apposer de nombreuses caches tout au long de son reportage, celui-ci n’en permettait pas moins une possible identification des acteurs de ce drame humain.
Le Conseil a par surcroît observé une insistance indue, proche du harcèlement, lors du tournage des images où la caméra était littéralement braquée sur des membres de la famille des accusé et victime. Une insistance indue confinant ici au sensationnalisme.
Aussi, en regard de ces considérations, le Conseil de presse retient la plainte contre Télévision Quatre Saisons et le journaliste Joël Goulet.
Analyse de la décision
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16C Publication de l’adresse/téléphone
- C16G Manque d’égards envers les victimes/proches