Plaignant
Jean-Paul Le Bourhis
Mis en cause
Louise Cousineau, journaliste et La
Presse (Marcel Desjardins, vice-président et éditeur adjoint)
Résumé de la plainte
Le plaignant est auteur de
téléromans. Sa production récente, «Rivière-des-Jérémie», doit
prendre l’antenne sur les ondes de la Société Radio-Canada (SRC)
dans les jours suivants et la journaliste Louise Cousineau a assisté au
visionnement de trois épisodes de la série. Jean-Paul LeBourhis estime
les critiques de la journaliste injustes, jugeant que sa réputation a été
sévèrement malmenée dans trois articles parus les 6 et 12 septembre 2001 dans
le quotidien LaPresse.
Griefs du plaignant
Le plaignant considère que sa
réputation a été gravement entachée par les insinuations malveillantes de Mme
Cousineau dans son article du 6 septembre, ainsi que par l’insistance indue
qu’elle a mise à dénigrer le téléroman dont il est l’auteur. Dans deux autres
articles parus le 12septembre, et sans nommer explicitement le plaignant,
elle s’amuse à descendre une œuvre dont à peu près tout
le démérite reviendrait à son seul auteur.
Il illustre par certains exemples ses
motifs de plainte.
La journaliste a d’abord laissé entendre que son projet d’émission a pu
susciter l’attention des patrons de Radio-Canada, parce qu’il est « un
gars chanceux ». Il explique qu’il n’y a aucun lien contractuel entre lui et la
SRC, le projet ayant été développé en responsabilité partagée avec un
producteur privé. Il rappelle qu’il a près de 20 ans de métier et qu’il a écrit
et piloté les séries Paul, Marie et les enfants, Graffiti et ZAP
qui lui a valu un prix Gémeaux. Dire qu’il est un auteur «chanceux»
revient à dire que la série a fini par être produite grâce à quelque savante
entourloupette ou passe-droit dont il aurait profité; une insinuation vicieuse
qui démontre un manque de rigueur et d’exactitude chez Mme Cousineau.
Le plaignant relève un peu plus loin que la journaliste a écrit au sujet
d’un comédien : «M.Darceuil m’a paru un peu insignifiant. Mais
c’est peut-être le personnage ». Le plaignant ne comprend pas comment on peut
s’en prendre aux gens comme ça, ce qui lui apparaît friser l’atteinte à la
réputation. Il relève également que la journaliste a conclu qu’il faudrait
attendre à la sixième semaine de diffusion pour s’intéresser au téléroman,
alors qu’elle n’a visionné que trois épisodes seulement de la série.
D’autre part, le 12 septembre, dans un premier article traitant des
attentats–suicides survenus la veille aux États-Unis, la journaliste a « réussi
l’exploit » de faire une allusion méchante au téléroman dont il est l’auteur en
écrivant : « Les programmations régulières ont été abandonnées partout hier
soir. À Radio-Canada, la première de «Rivière-des-Jérémie»
attendra la semaine prochaine. Vous n’avez rien manqué ». Ce qui équivaut, pour
lui, à dire que la première de ce téléroman ne valait même pas la peine d’être
diffusée.
Dans le second texte du même jour, portant cette fois sur une série
télévisée intitulée « L’Or », la journaliste écrivait : « Je me suis dit : si
«L’Or» est aussi insignifiant que
«Rivière-des-Jérémie», la série qui devait commencer hier soir et
qui a été reportée à la semaine prochaine, à cause de l’attentat – à toute
chose, malheur est bon – je vais quitter au bout d’une demi-heure ». M.LeBourhis
demande quel élément nouveau du dossier
de la «Rivière-des-Jérémie» depuis le visionnement de la semaine
précédente pouvait justifier un commentaire de cet ordre. Il considère son
travail et sa réputation salis devant des centaines de milliers de lecteurs.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du vice-président et éditeur
adjoint, Marcel Desjardins:
M. Desjardins transmet sans aucun
commentaire la réponse fournie par la journaliste.
Commentaires de la
journaliste Louise Cousineau:
Selon Mme Cousineau, il ne faut
pas faire de paranoïa. Quand elle dit que M.LeBourhis est
chanceux que son œuvre ait fini par se rendre à l’écran, c’est tout ce qu’elle
dit. Qu’il a de la chance. Il a gagné la loterie des téléséries. Pour la
journaliste, une série peut être recalée pour diverses raisons qui n’ont rien à
voir avec sa qualité, bonne ou mauvaise. Elle énumère plusieurs raisons
possibles et ajoute que M.LeBourhis a eu de la chance de passer à
travers tous les obstacles qui existent entre une idée et l’œuvre terminée.
Mme Cousineau annexe à ses
commentaires trois articles écrits par d’autres journalistes au sujet de
«Rivière-des-Jérémie» et fait remarquer qu’aucun ne manifeste
beaucoup d’enthousiasme.
Quant au fait qu’elle a écrit que
la première de la série avait été remise à la semaine suivante à cause des
événements du 11 septembre, et qu’on n’avait rien manqué, elle reconnaît
«qu’il s’agissait d’un deuxième épisode de ma mauvaise humeur ». Pour
elle, la série de M.LeBourhis compte 26 épisodes et s’il y a
quelqu’un d’insistant, entre elle et lui, c’est plutôt lui.
Mme Cousineau en rajoute,
indiquant que le plaignant n’a pas souligné qu’elle avait écrit une nouvelle
fois sur son oeuvre. Après avoir vu deux épisodes d’une autre série à TVA,
elle a fait remarquer que le réalisateur était le même que pour
«Rivière-des-Jérémie», où il a fait du très bon travail, alors que
ce n’était pas évident avec l’œuvre de M.LeBourhis.
Quant à sa réputation, qu’il
trouve entachée, Mme Cousineau estime que le plaignant devrait se rassurer :
les critiques les plus malveillantes n’ont jamais réussi à tuer une mauvaise
émission de télévision. La journaliste donne trois exemples de séries ayant
reçu de très mauvaises critiques mais attiré plus d’un million de
téléspectateurs.
Réplique du plaignant
Le plaignant répond que sa
plainte ne visait pas le jugement négatif de Mme Cousineau sur la série mais
plutôt « le dérapage amorcé dans sa première critique où elle se demandait
pourquoi, à la SRC, on avait retenu et développé le projet de téléroman
«Rivière-des-Jérémie». Son dérapage s’est accentué la semaine suivante
quand les attentats terroristes de la veille à New-York lui ont fait dire : « À
toute chose, malheur est bon ». Le plaignant n’en revient pas que la
journaliste n’en ait pas profité pour s’excuser ou pour corriger publiquement
le tir.
M.LeBourhis explique
qu’il a développé son idée d’émission, non pas comme si, par un heureux hasard,
il pouvait remporter la mise mais en travaillant longuement une idée. C’est sa
façon de faire et celle habituellement employée par ses collègues. Il rappelle également
qu’il n’est pas tout à fait un débutant dans le métier.
Le plaignant répond aux
commentaires de Mme Cousineau sur l’absence de mention de sa chronique du 5
octobre : il ne pouvait en parler dans sa plainte puisque celle-ci avait été formulée
à la mi-septembre, soit plus de deux semaines avant la parution de la
chronique.
M.LeBourhis ne
s’attend pas à voir la journaliste cesser de lapider son émission mais il
invite les journalistes et les représentants de La Presse à s’interroger
sur les conséquences de leur gestes avant d’asséner avec une constance qui
ressemble à de l’acharnement des coups de matraque d’une telle violence sur la
tête d’un auteur.
Analyse
La critique et la chronique sont des genres journalistiques qui tiennent davantage de l’éditorial et du commentaire que du reportage d’information. Ces genres laissent à leurs auteurs une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue, de leurs jugements et de leurs opinions.
Cette latitude n’est toutefois pas absolue en ce que les auteurs de tels articles doivent mesurer la portée de leurs écrits de façon à éviter de jeter gratuitement et inutilement le discrédit sur les personnes ou les groupes concernés. En contrepartie, les professionnels de l’information doivent également éviter l’autocensure.
Dans le cas présent, le Conseil est d’avis que la journaliste n’a pas outrepassé la latitude qui était sienne en exprimant son opinion comme elle l’a fait sur la série «Rivière-des-Jérémie», si sévère soit-elle aux yeux du plaignant.
Elle avait ainsi le droit de s’interroger sur les motifs de la Société Radio-Canada de choisir cette série télévisée.
M.LeBourhis estimait également que la journaliste avait nui à sa réputation ainsi qu’à celle d’un comédien par ses propos.
Le Conseil rappelle qu’en décidant de publier une oeuvre, un auteur l’expose inévitablement au jugement du public et en même temps à celui de la critique. Si un auteur est libre d’écrire, de faire produire et de diffuser une œuvre, la critique est également libre d’aimer ou non cette oeuvre et de l’exprimer.
Pour ces raisons et n’ayant relevé aucune entorse à la déontologie dans les textes soumis à son attention, le Conseil de presse rejette la plainte contre la journaliste Louise Cousineau et le quotidien La Presse.
Analyse de la décision
- C01C Opinion non appuyée sur des faits
- C11C Déformation des faits
- C15H Insinuations
- C17G Atteinte à l’image
Date de l’appel
18 October 2002
Décision en appel
Les membres de la commission ont
conclu à l’unanimité de maintenir sur le fond la décision rendue en première
instance.
La Commission tient cependant à
émettre une réserve à propos du troisième commentaire de madame Cousineau sur
la série « Rivières-des-Jérémie », un commentaire étroitement associé aux
événements du 11 septembre 2001 et voulant que – et nous citons – « à toute
chose malheur est bon ». Tout en reconnaissant la grande liberté dont jouissent
les critiques, les membres de la Commission y voient là une association
discutable, voire excessive.
Griefs pour l’appel
M. Jean-Paul Le Bourhis
interjette appel à la décision du Conseil de presse.