Plaignant
M. Donovan King
Mis en cause
Gaétan Charlebois, journaliste et Hour (Dimitri Katadotis, rédacteur en chef) et Pat Donnelly, Lucinda Chodan et Alan Hustak, journalistes et The Gazette (Raymond Brassard, directeur de l’information)
Résumé de la plainte
La plainte de M. King vise le quotidien The Gazette et l’hebdomadaire Hour. Le plaignant souhaite que la lumière soit faite sur le cauchemar qu’il a vécu au Festival Fringe de Montréal, édition 2001, alors que sa pièce expérimentale « Car Stories » a été évincée du Festival. Le tout s’est soldé selon lui par une atteinte à sa réputation, par la démolition de sa pièce expérimentale et par une distorsion et un assassinat de la vérité par les deux médias mis en cause.
Griefs du plaignant
M. King reproche au journaliste Gaétan Charlebois de l’hebdomadaire Hour et aux journalistes Pat Donnelly, Lucinda Chodan et Alan Hustak du quotidien The Gazette d’être responsables du désastre qu’il a dû vivre lors du Festival Fringe de Montréal. Par le biais d’un texte de 31 pages, fait par un journaliste amateur, et qu’il estime représenter en général la vérité (what I largely believe to be the thruth), il expose sa version des faits.
M. King inclut à sa plainte les articles incriminés de The Gazette et de Hour, qu’il a annotés, ainsi que des preuves et des sources d’information pour confirmer ses dires : son spectacle a été mis à la porte du Festival après que The Gazette ait menacé de retirer sa commandite et sa couverture de presse et ce, à la suite d’une insulte faite à une critique culturelle du journal. Pour lui, il s’agit d’un cas d’injustice et de conflit d’intérêts lors d’une commandite.
Les quatre textes visés plus spécifiquement par les plaintes sont, pour Hour, l’article paru le 21 juin 2001 sous le titre « The end of it » et celui paru le lendemain intitulé « Breaking story ». Pour The Gazette, l’article du 21 juin 2001 est intitulé « Car Stories parked in limbo » et celui du 22 juin, « Cars are the stars ».
Commentaires du mis en cause
Commentaires de l’hebdomadaire Hour :
Les mis-en-cause de Hour n’ont fourni aucun commentaire à la plainte qui leur a été transmise.
Commentaires de Lucinda Chodan, directrice adjointe à la rédaction, The Gazette :
Mme Chodan indique qu’elle a déjà répondu à M. King que ses allégations, à l’effet que The Gazette ait demandé que « Car Stories » soit retirée du Festival, sont fausses. Si M. King a une preuve démontrant une menace quelconque de la part de The Gazette de retirer sa commandite ou sa couverture, qu’il la produise. Jusqu’ici, il n’a pas été capable de le faire. Mme Chodan répond ensuite à quelques allégations de M. King.
La directrice adjointe à la rédaction explique qu’elle est la personne, au journal, qui décide ultimement du type et de l’envergure de couverture de tous les événements de la section artistique. Et elle n’a pas eu à traiter de la question du retrait de la pièce. Pour elle, cette décision devait être prise par le Festival seulement. La couverture artistique de The Gazette a été décidée indépendamment de cette production. Sa seule intervention à caractère « punitif » en rapport avec « Car Stories » a été de réprimander sa critique de théâtre, Pat Donnelly, pour avoir refusé de payer son entrée, quand elle a appris les histoires provoquées par ce refus de la journaliste.
Loin d’avoir tenté de faire évincer « Car Stories » du Festival, quand elle a eu vent des rumeurs concernant le retrait de la couverture et de la commandite, elle a pris contact avec Jeremy Hechtman du Festival Fringe pour l’informer que tout cela était faux. Elle lui a également dit qu’elle avait bien ri quand elle avait appris l’accrochage entre M. King et Pat Donnelly, et qu’elle serait désolée de voir la production « Car Stories » flanquée dehors du Festival. M. Hechtman lui a alors confirmé qu’elle avait dissipé ses inquiétudes en regard de la commandite de The Gazette.
The Gazette a modifié, vers le milieu de l’événement, sa couverture du Festival Fringe, passant de la mini critique (mini-reviews) à une combinaison de critiques (reviews) et d’articles de fond (features stories, i.e. interviews, profiles, news stories, etc.). La directrice adjointe à la rédaction précise alors que c’est ce que faisait déjà The Gazette pour les autres festivals et elle ajoute des explications sur ce réalignement du choix éditorial, fait notamment à cause de la nouvelle page « city-life ». Mme Chodan souligne que The Gazette n’a jamais cessé de couvrir le Festival ni menacé de le faire et que la façon de le couvrir ne regarde que son journal.
En ce qui concerne le retrait de la commandite de l’événement, ces décisions sont prises par le service du marketing de The Gazette, qui n’a aucun lien avec la rédaction du journal. Son personnel prend ses décisions indépendamment du contenu éditorial. Quand elle a entendu parler du problème, elle a contacté Nancy Diggins du service du marketing qui lui a répondu ne pas avoir eu connaissance d’une controverse à propos de « Car Stories » jusqu’à ce que la nouvelle de Alan Hustak paraisse dans l’édition du 2 juin. Mme Diggins n’a jamais mentionné qu’elle, ou que quelqu’un de son service, a proféré des menaces de retirer la commandite de l’événement.
Quand est parue la nouvelle sur l’expulsion de « Car Stories », un journaliste a demandé au directeur artistique du Fringe, Jeremy Hechtman, si cette expulsion avait un lien avec la menace de The Gazette et celui-ci il a répondu que non. The Gazette a alors publié la nouvelle et la citation de M. Hechtman, disant que la pièce avait été expulsée du Festival pour une longue liste de raisons. Mme Chodan affirme donc qu’il n’y a pas eu de camouflage à The Gazette concernant « Car Stories ».
Enfin, Mme Chodan met en doute l’existence de la « journaliste amateur » qui serait l’auteure de « l’exposé » qui accompagnait la plainte de M. King au Conseil de presse et elle étale les résultats de ses recherches en ce sens. Elle conclut que, selon elle, ce « journaliste amateur » est M. King lui-même. Elle salue au passage le talent dramatique du plaignant et son énergie, ajoutant qu’elle a aussi été inondée de courrier de sa part depuis sa participation au Festival. Elle souhaite que s’arrête cette histoire. Elle invite donc le Conseil de presse à faire les vérifications qui s’imposent auprès de la communauté artistique.
Mme Chodan annexe à ses commentaires les articles de The Gazette des 21 et 22 juin, de même qu’un courriel du plaignant daté du 19 juin et une lettre du directeur artistique du Festival Fringe, Jeremy Hechtman, disant apprécier qu’elle ait dissipé les rumeurs concernant la commandite, le conflit d’intérêts au sujet de la commandite et de la critique impartiale.
Réplique du plaignant
Selon le plaignant, il apparaît clairement de la réponse de Mme Chodan que celle-ci ne dit pas la vérité ou qu’elle refuse pour des raisons inconnues d’investiguer et de faire rapport sur la corruption qui aurait eu cours au Festival. Selon lui, il est évident qu’il y a eu camouflage. On n’a qu’à contacter les artistes pour confirmer que Jeremy Hechtman a parlé des menaces de The Gazette. M. King cite alors le témoignage d’un participant à « Car Stories » concernant le retrait de la commandite et de la couverture, et concernant même une poursuite en diffamation qu’entreprendrait The Gazette. Il se dit d’accord avec ces affirmations qu’il a également entendues de Jeremy Hechtman et de Lisa Levack. Pour M. King, l’évidence est claire : le « mandat d’exécution » expédié par Lisa Levack est en quelque sorte le lien entre l’arrêt de la publication par The Gazette des critiques de spectacles et l’affichage public de la lettre à l’éditeur critiquant ouvertement la conduite de Pat Donnelly.
Quand Mme Chodan dit qu’elle avait ri de l’avis public et qu’elle a réprimandé la journaliste pour ne pas avoir payé, il demande pourquoi Pat Donnelly n’est pas retournée au Festival durant plusieurs jours. Il demande également pourquoi Jeremy Hechtman a parlé des menaces de Mme Chodan et qu’il a ensuite expulsé la troupe; et pourquoi Lisa Levack a expédié cette lettre qu’il qualifie de « mandat d’exécution » (Death Warrant) dont il annexe une copie.
L’explication de Mme Chodan de vouloir ramener la couverture du Festival Fringe dans la ligne de couverture des autres festivals est aussi, pour le plaignant, une explication pour le moins tirée par les cheveux. The Gazette couvre le Festival Fringe de la même manière depuis des années au moyen de critiques et Mme Chodan doit connaître l’extrême importance qu’accordent les artistes à la couverture de presse, et plus spécialement aux critiques. Or, The Gazette l’a interrompue durant plusieurs jours, après que sa lettre ouverte ait été affichée.
Le journaliste de Hour, Gaétan Charlebois, disait dans son article que la décision de Mme Chodan représentait un vide épouvantable dans la couverture du Fringe, le plus important événement-théâtre de l’année, dans une ville desservie par un seul quotidien anglophone.
Quand Mme Chodan dit que la façon de couvrir le Festival ne regarde qu’eux, M. King estime que la plupart des artistes seraient en désaccord, spécialement dans un cas où il y a un évident potentiel de conflit d’intérêts, à cause d’une commandite.
La question à laquelle Mme Chodan s’est refusée à répondre depuis le début est : « Pourquoi The Gazette a-t-elle cessé de faire la critique des spectacles? ». Pour le plaignant, il est hautement improbable qu’elle ait voulu compromettre les espoirs de tant d’artistes juste parce qu’elle voulait modifier la façon de couvrir les événements. Cela aurait dû se faire avant et non au milieu de l’événement.
à cette question, le plaignant répond lui-même en examinant le moment où a été prise la décision de revoir la façon de couvrir. Il fait le rapprochement entre le moment du changement et celui où Mme Donnelly a été provoquée ou critiquée. M. King continue sa démonstration en impliquant ensuite Mme Levack et M. Hechtman. Selon le plaignant, Mme Chodan poursuit ses efforts de camouflage. Si des investigations sont faites auprès de son groupe ou auprès de M Hechtman ou de Mme Levack, il apparaîtra clairement que Jeremy Hechtman avait dit que The Gazette avait menacé de retirer sa couverture et sa commandite à cause de sa lettre ouverte (notice).
M. King ajoute qu’il y a plusieurs questions d’extrême importance sur lesquelles Mme Chodan a refusé d’investiguer et de faire rapport, et il donne des exemples dont celui des huit questions posées par la journaliste amateur.
Le plaignant en profite pour réaffirmer, à ce sujet, qu’il n’est pas l’auteur de l’exposé. Il insiste sur le pouvoir exercé par The Gazette sur les artistes de Montréal autant comme journal que comme commanditaire. Le journal a notamment le pouvoir de faire et de défaire des artistes spécialement quand il abuse de sa situation. Mme Chodan lui ayant donné amplement de bonnes raisons d’avoir peur et ayant démontré clairement pourquoi, la journaliste amateur a de bonnes raisons de ne pas révéler son identité.
M. King relève aussi que la lettre du théâtre Mainline n’est pas datée et ne porte aucun cachet de date de réception. Pour lui, elle a été trafiquée et elle est frauduleuse. Le plaignant enchaîne avec des explications sur le besoin de camouflage de Mme Chodan et suggère des hypothèses comme celle où elle aurait elle-même demandé au théâtre Mainline de fabriquer le document.
à sa réplique de six pages, M. King annexe une liste de noms de trois pages, de personnes à contacter pour vérifications.
Analyse
Avant de faire connaître sa décision, le Conseil aimerait rappeler qu’il se définit comme un organisme chargé d’assurer la promotion et la protection du droit à l’information et de la liberté de la presse. Par conséquent, son objet et sa juridiction se concentrent sur l’univers médiatique et les questions qui le concernent. Le Conseil n’a donc retenu de la plainte volumineuse de M. King que les griefs qui avaient trait à de présumés manquements à l’éthique journalistique.
Après recherches et examen des documents soumis par les parties, le Conseil en arrive aux conclusions suivantes, en ce qui regarde les articles soumis à son attention. Les deux textes du quotidien The Gazette, celui de la rédaction daté du 22 juin et celui du journaliste Alan Hustak publié la veille, n’ont révélé aucune entorse à la déontologie journalistique.
De même en est-il des deux chroniques du journaliste Gaétan Charlebois de l’hebdomadaire Hour, qui se situaient à l’intérieur des limites permises par le genre journalistique. La liberté rédactionnelle reconnue aux médias lui permettait de couvrir l’événement comme il l’a fait et de choisir les informations qu’il jugeait à propos de communiquer, même si cette couverture ne correspondait pas à ce qu’aurait attendue le plaignant.
à ce sujet, la déontologie indique que l’attention que les médias décident de porter à un sujet particulier relève de leur jugement rédactionnel. Le choix de ce sujet et sa pertinence, de même que la façon de le traiter, leur appartiennent en propre. Nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information. C’est sur la base de ces principes que le Conseil a examiné tour à tour la conduite des quatre journalistes mis en cause par M. King dans sa plainte.
En ce qui concerne les journalistes Hustak et Charlebois, le Conseil considère qu’ils se sont acquittés adéquatement de leur travail, selon les règles déontologiques en usage et n’a décelé aucun des manquements relevés par le plaignant.
Mme Lucinda Chodan était visée au premier chef par les griefs de M. King. Le Conseil a considéré qu’en vertu des principes relatifs à la liberté rédactionnelle, la journaliste et directrice adjointe à la rédaction à The Gazette avait le droit de modifier le choix éditorial et la couverture par son média.
La recherche montre également qu’en apprenant l’incident impliquant Mme Donnelly, elle s’est acquittée de ses responsabilités et a réprimandé celle-ci. Les explications de Mme Chodan sur l’arrêt de la couverture et sur la commandite sont apparues vraisemblables et tout à fait acceptables aux yeux du Conseil. Par conséquent, elle ressort également exonérée de cette plainte.
La dernière journaliste visée par la longue diatribe du plaignant, la journaliste et critique de théâtre Pat Donnelly, était celle qui était au cŒur de l’action. Le plaignant indiquait que la règle du jeu de « Car Stories » stipulait que tout le monde paie un droit d’entrée, même le producteur. Selon M. King, la journaliste Pat Donnelly de The Gazette a mal reçu cette décision et frustrée par l’obligation de payer, elle a déclenché une tempête. Le tout se terminant par la menace du quotidien de retirer sa couverture et sa commandite, et faisant en sorte que « Car Stories » soit ultimement expulsé du Festival.
Le Conseil considère donc que s’il y a faute de la part de la journaliste, celle-ci s’est produite dans un contexte de provocation construit autour du spectacle « Car Stories » depuis une vision et une approche particulière de l’action dramatique propre à M. King. Mme Donnelly a été en quelque sorte embarquée dans le jeu. S’il n’est pas dans l’intention du Conseil de nier toute responsabilité de l’incident à la journaliste, il devient difficile de lui reprocher, dans le feu de l’action, d’avoir réagi de la sorte.
De plus, la journaliste a été réprimandée par Mme Chodan pour avoir refusé de payer son billet. Il appert au Conseil que même si cette pratique de payer son entrée est peu usuelle dans le monde de la critique et du spectacle, elle présente pour les journalistes un excellent moyen de se mettre à l’abri de toute pression des organisateurs. Avoir omis de le faire étant pratiquement l’usage dans le milieu, le Conseil n’a pas considéré ce geste comme un manquement déontologique grave.
En ce qui a trait à l’accusation d’avoir brandi la menace que son journal cesse sa couverture et sa commandite, et même celle de poursuite judiciaire, le Conseil considère que cette accusation n’a pas été démontrée et ne pourrait la retenir sans tomber dans le procès d’intention, d’autant plus que seul le plaignant est en mesure de l’affirmer.
Enfin, le Conseil n’a rien trouvé dans son analyse des faits qui permette de conclure à une conspiration ou à une collusion visant à exclure « Car Stories » et M. Donovan King du Festival Fringe.
Décision
Par conséquent, le Conseil de presse rejette la plainte de M. King contre le journaliste Gaétan Charlebois et l’hebdomadaire Hour ainsi que contre les journalistes Pat Donnelly, Lucinda Chodan et Alan Hustak du quotidien The Gazette.
Analyse de la décision
- C02B Moment de publication/diffusion
- C02F Création/retrait de rubriques/d’émissions
- C06C Appel au boycottage/représailles
- C22H Détourner la presse de ses fins
- C23L Altercation/manque de courtoisie