Plaignant
Jocelyne Girard-Bujold (députée de Jonquière)
Mis en cause
Louis Champagne,
animateur, et CKRS 590 (Richard
Turcotte, directeur général)
Résumé de la plainte
La plainte formulée par Mme Jocelyne Girard-Bujold, députée
de Jonquière, contre M. Louis Champagne, animateur à la station
CKRS 590, concerne une chanson diffusée
en ondes lors de l’émission « Champagne pour tout le monde » les 16 octobre et
1er et 13 novembre 2001. Ladite chanson porterait atteinte à la réputation
de la plaignante, et contribuerait à la discréditer et à la ridiculiser de
diverses façons.
Griefs du plaignant
La plaignante indique de prime abord que la chanson en cause
a été composée et interprétée par l’animateur Louis Champagne, dans le but même
de la ridiculiser. Elle précise que l’animateur utilise sa voix et a recours à
des techniques de montage qui la font répéter des mots, hésiter et bégayer. De
plus, il utilise de façon répétitive le mot « non », laissant ainsi entendre
qu’elle refuse de répondre aux questions de l’animateur. Enfin la plaignante
réprouve la phrase insinuant qu’elle a des troubles s’apparentant à la
folie: « Je vous le demande Mme Bujold, vos fils se touchent ou
s’twistent? ». Et de dénoncer la vulgarité de l’animateur lorsqu’il
chante: «Lorsque le gros loup vient vous questionner, dépêchez-vous
d’ l’envoyer ch… ».
La plaignante en réfère ensuite à l’article quatre du Code
d’éthique de l’Association canadienne des directeurs de l’information
radio-télévision, lequel prévoit que: « Les journalistes de la radio et
de la télévision démontreront un respect constant pour la dignité, la vie
privée et le bien-être de tous ceux et celles avec qui ils traitent (…) ».
Mme Bujold soutient également que M. Champagne s’est
soustrait au respect de la politique de Radiomutuel, selon laquelle:
–
l’utilisation des propos grossiers et/ou vulgaires n’ont pas
leur place dans la programmation des stations;
–
les individus et les groupements ont le droit au respect, ils
ne devraient être ni harcelés, ni insultés, ni ridiculisés.
En résumé, la plaignante dénonce un geste gratuit qui porte
non seulement atteinte à sa réputation, mais aussi, et surtout, à sa
crédibilité. Elle demande que l’animateur Louis Champagne se rétracte sur les
ondes de CKRS 590, et qu’il présente
des excuses publiques à son endroit. Mme Bujold souhaite enfin que la dite
chanson soit retirée du site Internet de la station et qu’elle ne soit plus
rendue disponible.
Commentaires du mis en cause
M. Turcotte rappelle en premier lieu que l’émission «
Champagne pour tout le monde » est une émission d’actualité et d’affaires
publiques, de services et de divertissement. Il rappelle que le rôle de
l’animateur dans une telle émission est de coordonner les différents éléments
en un tout stimulant et cohérent afin de maintenir l’intérêt des auditeurs.
Concernant la chanson interprétée par Louis Champagne lors
de son émission, M. Turcotte affirme que cette chanson n’est ni plus ni moins
qu’une parodie et une caricature verbale relatives à Mme Bujold. Selon lui, en
tant que députée de Jonquière à la Chambre des communes et personnage public,
Mme Bujold « doit s’attendre à faire l’objet de critiques, même musclées, de
même que de parodies… ». Il soutient à cet égard que « le droit québécois
établit clairement qu’en tant que personnages publics, les politiciens doivent
avoir une tolérance plus élevée quant à la critique médiatique ».
M. Turcotte réprouve par ailleurs l’interprétation que Mme
Bujold a donnée à la chanson en cause,et refuse d’admettre que l’auditeur
moyen croira que Mme Bujold refuse de répondre aux questions de l’animateur, ou
que celui-ci insinue qu’elle a des troubles s’apparentant à la folie. M.
Turcotte précise que « la chanson représente l’expression de l’opinion de
l’animateur Champagne dans le contexte où Mme Girard-Bujold, députée de
Jonquière pour le Bloc Québécois à la Chambre des Communes, s’inscrit très
souvent, elle tout comme son parti, contre toute initiative du gouvernement
fédéral et ainsi dit toujours « non » à toutes les propositions du gouvernement
en place ».
Il indique enfin
qu’« elle a cependant dit oui et était d’accord, quant à la proposition du
gouvernement fédéral d’augmenter les salaires des députés », ce qui explique,
selon lui, la référence faite dans la chanson au salaire de la plaignante.
Au total, M. Turcotte soutient que la chanson en cause est
une critique tout à fait permise et pertinente, qui pouvait donc bien être
diffusée en public.
Réplique du plaignant
Mme Bujold indique être consciente du fait que les hommes et
femmes politiques doivent s’attendre à faire l’objet de critiques de la part de
la population et des médias. Elle rappelle qu’elle a d’ailleurs été le sujet de
plusieurs caricatures reprenant des traits personnels « comme mes cheveux ou
mes vêtements », et qu’elle n’a « jamais été outrée par celles-ci ».
La plaignante reste cependant convaincue que la phrase « Je
vous le demande, vos fils se touchent ou s’twistent? » fait expressément
référence à des troubles s’apparentant à la folie ou portant atteinte à ses
capacités mentales et intellectuelles, et a engendré une atteinte à son
honneur, à sa réputation et à sa dignité. Selon Mme Bujold, de tels propos vont
directement à l’encontre de l’article quatre (4) de la Charte québécoise des
droits et libertés qui prévoit que « toute personne a droit à la sauvegarde de
sa dignité, de son honneur et de sa réputation ».
Mme Bujold en réfère ensuite à la jurisprudence des
tribunaux québécois qui ont sanctionné ce genre de propos comme dans la cause
Hervieux-Payette c. Société Saint-Jean Baptiste de Montréal
, où la Cour supérieure du Québec a reconnu que « la limite
raisonnable à la liberté d’expression se situe là où débute la responsabilité
applicable à la diffamation… ».
La plaignante se dit par ailleurs surprise des commentaires
de M. Turcotte, à l’effet que la chanson «représente l’expression de
l’opinion de l’animateur Champagne dans le contexte où Mme Girard-Bujold,
députée de Jonquière pour le Bloc Québécois à la Chambre des Communes,
s’inscrit très souvent, elle tout comme son parti, contre toute initiative du
gouvernement fédéral et ainsi dit toujours « non » à toutes les propositions du
gouvernement en place ». Elle rappelle à cet égard que le Bloc Québécois est un
parti d’opposition à Ottawa, et que le rôle d’un tel parti est de bonifier les
propositions du gouvernement au pouvoir: « c’est la raison pour laquelle
nous mettons un point d’honneur à veiller à ce que le gouvernement en place
voit aux intérêts des commettants. Ceci n’empêche en rien que j’ai souvent
appuyé des projets du Gouvernement ».
La plaignante conclut en réitérant sa volonté d’empêcher
qu’un média ne diffuse une information biaisée ou diffamante.
Analyse
Les animateurs doivent respecter les opinions de leurs interlocuteurs et éviter à leur endroit tous propos, attitudes ou tons offensants. Le public est en droit de s’attendre à ce qu’ils n’abusent pas de leur fonction ou de leur latitude pour imposer leurs points de vue personnels ou écarter ceux qui n’y correspondent pas.
Mme Bujold reprochait à l’animateur Louis Champagne de l’avoir injustement discréditée et ridiculisée par le biais d’une chanson diffusée sur les ondes de CKRS 590 lors de l’émission « Champagne pour tout le monde » . La plaignante dénonçait à la fois le niveau de langage, très discutable, de l’animateur, et les propos offensants dont il a usé à l’antenne à son encontre.
À l’écoute et à l’examen de la chanson incriminée, le Conseil de presse est d’avis que M. Champagne a fait usage dans le présent cas d’un humour d’un bien mauvais goût, sans qu’il ne s’agisse toutefois là d’une réelle entorse à la déontologie journalistique. La plaignante, qui occupe une fonction publique, doit s’attendre à faire l’objet de critiques médiatiques, même d’un goût discutable.
Cela dit, le Conseil tient à émettre une réserve sur l’usage en ondes, dans une émission présentant un contenu informatif, de procédés radiophoniques s’apparentant à de l’information-spectacle. Car il y là un danger de confusion des genres; le public a le droit de savoir si l’émission qu’il écoute en est une de divertissement, d’information, d’humour, ou si elle renferme à la fois tous ces genres, plus ou moins confusément.
Cette réserve ayant été exprimée, le Conseil de presse rejette sur le fond la présente plainte à l’endroit de l’animateur Louis Champagne et de la station de radio CKRS 590 de Jonquière.
Analyse de la décision
- C15H Insinuations
- C15I Propos irresponsable
- C15J Abus de la fonction d’animateur
- C17A Diffamation
- C17D Discréditer/ridiculiser
- C17E Attaques personnelles
- C17G Atteinte à l’image