Plaignant
Michel Chayer
Mis en cause
Kristian Gravenor, journaliste, et Mirror
(Alastair Sutherland, rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
Michel Chayer porte plainte contre l’hebdomadaire
Mirror et son journaliste Kristian
Gravenor pour des informations parues dans ce journal dans la semaine du 22 au
28 novembre 2001 sous le titre «Tongue
Taliban hits NDG » et qui seraient biaisées et fallacieuses.
Griefs du plaignant
Selon le plaignant, l’article portait sur les procédures
prises par la Commission de la protection de la langue française à l’encontre
d’un « impie », par le biais des «
language bureaucrats ». Les
informations rapportées dans l’article seraient biaisées et fallacieuses. Elles
laisseraient insidieusement entendre que la commission
emploie des méthodes fascistes.
Le
plaignant cite alors un extrait de l’article : «
A spokesman from ALLIANCE QUEBEC says that language bureaucrats usually
stall in the face of shopkeepers who resist compliance. » «
They come (la Commission) and liquidate your
stuff… ».
Le plaignant
ajoute : « Le reste est à l’avenant : DIE KRISTALLNACHT ».
M. Chayer formule ensuite ainsi les griefs qu’il retient
contre l’hebdomadaire et son journaliste :
« – Gravenor ne mentionne pas que le boutiquier Sam
Servello, de la boutique ROCK, aurait reçu un préavis de la Commission avant de
se faire servir une amende, laissant entendre qu’on lui aurait servi tout de
go;
– Le journaliste suggère que, notamment, ledit boutiquier
fut mis à l’amende parce que le mot « sandwich » y était mal orthographié;
– Sans bémol, le journaliste rapporte intégralement les
propos du porte-parole d’ALLIANCE QUEBEC, Andrew Male, tels que cités plus
avant. »
Le plaignant annexe les pages 5 et 7 du journal et ajoute,
en post scriptum : « L’article du même journaliste, en page 7,
intitulé : « Not towing the line »,
donne le ton de ce dernier ».
Commentaires du mis en cause
Pour M. Gravenor, le plaignant affirme que son article
accuse la Commission pour la protection de la langue française d’avoir agi à la
manière des fascistes (
with the methods of fascists). Et le
plaignant revient à la charge, sans explications, en ajoutant en gros caractère
souligné « die Kristallnacht » un
terme allemand faisant référence à cet événement du 9 novembre 1938, quand des
Allemands antisémites ont pillé 7000 entreprises juives et tué 100
personnes de cette dénomination.
Le journaliste ne
voit pas le lien que fait le plaignant entre son article et l’histoire
allemande, car ce dernier n’y fait aucunement allusion. Ayant obtenu son
diplôme de maîtrise à l’Université Concordia après avoir étudié la montée du
fascisme en Europe, il considère avoir une excellente connaissance de ce que
signifie le mot « fascist ». Il
serait donc le dernier à faire une utilisation impropre de ce terme et trouve
l’accusation du plaignant fausse et injurieuse.
M. Gravenor répond que, selon M. Chayer, l’article aurait
insinué que M. Servello n’avait reçu aucun préavis avant l’amende en question;
mais, à nulle part son article n’indique-t-il ou ne laisse-t-il entendre une
telle chose.
De même, le plaignant insinue que son article raconte que le
boutiquier a été mis à l’amende parce que le mot « sandwich » était mal épelé.
Mais ce n’était pas ce qu’il a dit. Parallèlement à son exemple utilisant le
mot « sandwich » [dans la vitrine], son article mentionnait également un
collant unilingue, des annonces de dimensions
identiques et une affiche « open/closed » tout cela était présenté comme
des exemples illustrant où le magasin de M. Servello a été jugé en
contravention avec les lois en vigueur.
Un autre reproche du plaignant portait sur la citation du
porte-parole d’Alliance
Quebec,
Andrew Male. Mais le mis-en-cause
dit ne pas savoir exactement ce que lui reproche le plaignant. S’il est
nécessaire de justifier cette citation, il en explique la raison : M. Male est
cité parce que son organisation a joué un rôle actif par le passé, et parce
qu’il a l’intention d’intervenir à nouveau dans le dossier. Le porte-parole de
la Commission de la protection de la langue française aurait pu lui aussi être
cité s’il avait répondu au téléphone au même moment. Mais celui-ci a attendu
plusieurs jours pour lui retourner son appel et alors, son article était déjà
terminé.
En ce qui a trait à l’autre article annexé par le plaignant
et intitulé « Not
towing
the line », n’ayant aucune idée de
ce qu’il peut lui reprocher et le considérant comme un bon article, il ne peut
faire aucun commentaire à son sujet.
Il termine en indiquant que les personnes familières avec le
Mirror reconnaîtront que son mandat
est d’être le défenseur des opprimés. Le Mirror
cherche constamment à procurer une voix à ceux qui sont stupidement harcelés par
des bureaucrates, qu’ils appartiennent aux niveaux municipal, fédéral ou
provincial.
Réplique du plaignant
Le plaignant précise qu’il ne se plaignait pas que le
journaliste avait utilisé les termes «fascisme », « fascistes » ou « K
ristallnacht » en référence aux méthodes
imputées à la Commission de la protection de la langue française. Il
voulait plutôt signifier que la lecture de l’article de M. Gravenor lui « avait
tendancieusement suggéré que ladite Commission, en appliquant la loi, use de
méthodes relevant du fascisme ».
Il relève
des expressions et explique leur signification selon lui : « Tongue Taliban
hits NDG», «
… language bureaucrats usually stall in the
face of shopkeepers who resist compliance», «They come and liquidate
your stuff ». Ces propos, selon lui, dénigrent le travail de la
Commission.
Le plaignant poursuit sa démonstration pour conclure, en
substance, que n’importe qui possédant un peu d’entendement et de références
historiques ne peut que convenir que ce que relate M. Gravenor s’apparente aux
méthodes déployées par les fascistes. Et, au terme de son raisonnement il
conclut qu’ainsi le journaliste en vient à démontrer que la Commission est un
organisme fasciste, ou à tout le moins une organisation fascisante. C’est ce
qui explique ces références explicites dans sa plainte.
Pour M. Chayer, le journaliste induit ses lecteurs en erreur
et, en décrivant la Commission comme une instance hargneuse, ses écrits frisent
la littérature haineuse. Il commente les études universitaires du journaliste
et ce que celui-ci n’est pas censé ignorer. Si la réaction du journaliste à sa
plainte a été de la trouver « fausse et injurieuse », il qualifie à son tour le
titre de l’article de «douteux ».
Le plaignant explique alors les raisons pour avoir associé
l’article contesté à celui intitulé « Not
towing the line » soit le ton utilisé par le journaliste dans cet article
comme dans plusieurs autres articles auxquels il fait référence. Il donne enfin
des exemples visant à démontrer ce qu’il considère comme l’éthique
journalistique « douteuse » de M. Gravenor.
Informations complementaires:
Ayant pris connaissance de la plainte de M.
Chayer, le conseiller juridique de la
Commission de protection de la langue française, Me Jean Dansereau, communique
au Conseil la position de la Commission au soutien de cette plainte. Non
seulement la Commission estime-t-elle que M.Chayer a raison de reprocher
au journaliste les qualificatifs qu’il a utilisés pour décrire l’action de la
Commission, mais elle est d’avis que ces outrances verbales ne sont que trop
répandues et qu’elles justifieraient de la part du Conseil une enquête plus
approfondie.
Le conseiller juridique fait ensuite ressortir que si la
liberté d’expression doit être défendue, les journalistes ont également des
responsabilités en tant que meneurs d’opinion. Et le fait d’utiliser le
qualificatif de « talibans » n’a rien d’innocent et de fortuit lorsqu’on
prétend décrire ainsi le travail de la Commission. Le conseiller juridique demande
alors s’il faut expliquer ce que sont les talibans et s’interroge sur le
rapport entre ce régime et l’application de la Charte de la langue française
par la Commission.
Me Dansereau rappelle en outre que cet entrefilet a été
publié en novembre 2001, un mois à peine après les événements du 11 septembre.
On est donc en droit de penser que le journaliste a pratiqué un procédé connu
sous le nom d’amalgame, qui vise à discréditer ceux qu’on attaque
en les associant à une réalité perçue comme
négative.
L’article du Mirror,
selon le conseiller juridique, contenait un certain nombre de faussetés et de
demi-vérités. Mais devant les précédentes demandes de rectificatifs, restées
sans effet, il aurait été vain de demander au journal
The Mirror d’indiquer à ses lecteurs que la Commission ne fait pas
usage de rubans à mesurer, qu’elle n’impose pas d’amendes, puisque c’est là la
prérogative des tribunaux, et qu’elle n’a pas non plus le pouvoir de confisquer
les biens des contrevenants. La Commission est chargée d’un processus
d’enquête.
Le conseiller juridique se défend de dire qu’il s’agit de
complot et il indique que la Commission ne peut adhérer aux insinuations du
plaignant lorsqu’il fait allusion à la « nuit de cristal » dans l’Allemagne
hitlérienne. Cependant, la Commission peut souscrire au bien-fondé de la
plainte soumise sans endosser le style et le ton de la dénonciation.
La Commission affirme donc que c’est le plaignant qui a
raison : « le lecteur du Mirror est
irrésistiblement amené à penser que la Commission agit, à l’égard des présumés
contrevenants, à la manière des régimes politiques musclés. »
Le représentant de la Commission termine en déplorant que le
Conseil de presse n’agisse pas de sa propre initiative pour mettre un frein à une
campagne de dénigrement contre les fonctionnaires chargés d’appliquer la Loi
101, campagne ayant pour effet de discréditer également la charte, les
organismes qui l’appliquent et le Québec tout entier.
Analyse
La chronique et la « column » sont des genres journalistiques qui tiennent autant de l’éditorial que du commentaire et du reportage d’information. Ces genres journalistiques laissent à leurs auteurs une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue et de leurs jugements. Ils permettent aux journalistes qui les pratiquent d’adopter un ton de polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, ce qu’ils peuvent faire dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire.
Le Conseil tient à souligner, par ailleurs, que la latitude reconnue aux chroniqueurs n’est pas sans limite. Ainsi, ils doivent éviter tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer des personnes ou des groupes.
Après examen de la plainte, le Conseil de presse ne peut accueillir les griefs tels que présentés par le plaignant. Ainsi, le Conseil n’a rien observé dans le texte du Mirror qui permette de conclure de façon raisonnable à des éléments de nature fascisante. De même en est-il des trois reproches exposés par M. Chayer portant sur le préavis de la Commission pour la protection de la langue française, sur l’orthographe du mot « sandwich » et sur la citation du porte-parole d’ Alliance Quebec.
Le Conseil tient en revanche à émettre une réserve sur le titre qui coiffe l’article du Mirror « Tongue Taliban hits NDG », un titre qu’il considère à tout le moins mal choisi. Bien que le Conseil n’ait pas à établir de lexique des termes que les professionnels de l’information doivent employer ou éviter, ces derniers doivent cependant se montrer en tout temps respectueux des événements et des personnes et éviter, à l’endroit de ces dernières, des termes méprisants et susceptibles d’atteindre à leur réputation. Ils doivent en même temps éviter de donner à des événements et des personnes une image si caricaturée qu’elle en devient inexacte.
Au-delà de cette réserve exprimée, le Conseil de presse rejette sur le fond la plainte contre l’hebdomadaire Mirror et son journaliste Kristian Gravenor.
Analyse de la décision
- C11C Déformation des faits
- C12B Information incomplète
- C12D Manque de contexte
- C15H Insinuations
Date de l’appel
19 September 2002
Décision en appel
Les membres de la Commission ont conclu à l’unanimité de
maintenir la décision rendue en première instance.
Griefs pour l’appel
M. Michel Chayer interjette appel à la décision du Conseil
de presse.