Plaignant
Société Radio-Canada (Jean Pelletier, directeur des nouvelles télévisées)
Mis en cause
Don Macpherson, journaliste et The Gazette (Raymond Brassard, directeur de l’information)
Résumé de la plainte
Au nom de la Société Radio-Canada (SRC), le directeur des nouvelles, Jean Pelletier, porte plainte contre le quotidien The Gazette et son journaliste Don Macpherson pour un article publié le 20 septembre 2001. M. Pelletier trouve intolérable la calomnie selon laquelle la SRC s’est engagée dans la pratique du checkbook journalism (sic), de même que l’impossibilité d’obtenir une rétractation de la part des mis-en-cause.
Griefs du plaignant
Le directeur des nouvelles télévisées dénonce le fait que, sans avoir préalablement vérifié auprès de la SRC, le journaliste a écrit que cette dernière, dans sa série de reportages sur la fraude électorale dans le comté d’Anjou, s’était engagée dans la pratique douteuse du checkbook journalism (sic), c’est-à-dire de payer des sources pour obtenir des informations.
M. Pelletier a tenté d’obtenir une rétractation, mais ce fut peine perdue. The Gazette lui aurait répondu que M. Macpherson n’a fait qu’exprimer une opinion, ce qui est son droit le plus strict. M. Pelletier ne croit pas qu’un columnist, au nom du droit d’exprimer des opinions, puisse le faire au mépris des faits et de la vérité. Et pour lui, écrire d’une entreprise de presse qu’elle a acheté ses sources est l’accusation la plus grave que l’on puisse porter et elle ne peut donc être prise ainsi à la légère.
Le directeur tient à ajouter que l’enquête menée par la SRC n’a pas été facile et que beaucoup de temps et d’énergie y ont été consacrés. Le journaliste Philippe Schnobb a méticuleusement respecté toutes les normes et pratiques journalistiques qui régissent la SRC. Selon lui, le dossier annexé à sa plainte parle de lui-même. Ce dossier comprend la demande de rectification adressée à The Gazette, l’article de M. Macpherson, la réponse de l’éditorialiste en chef Peter Hadekel à la demande de rectification de même que la réponse de M. Pelletier à M. Hadekel.
Commentaires du mis en cause
Le journaliste amorce ses commentaires en affirmant que cette plainte n’est pas fondée. Il rappelle le reproche de M. Pelletier, soit d’avoir écrit, au sujet de Radio-Canada et au mépris des faits et de la vérité que « the network engages in the dubious practice of « chequebook journalism », or paying sources for information. »
M. Macpherson considère qu’il s’agit d’une interprétation raisonnable, dans le contexte d’une chronique d’analyse et d’opinion, des informations qu’il a obtenues d’une source dont la crédibilité et l’autorité lui semblent impeccables : le juge qui a entendu les témoignages sous serment dans le procès d’Alberto Berardinucci et, notamment, celui du journaliste Philippe Schnobb. Ces informations apparaissent d’ailleurs dans le jugement écrit du juge Serge Boisvert cité dans sa chronique.
Le plaignant lui a répondu qu’il n’a été question de paiement de la part de Radio-Canada (à certaines sources) qu’après la diffusion du reportage et qu’après que ces sources aient été menacées. Mais M. Pelletier a omis de mentionner que le journaliste de Radio-Canada avait promis, avant la diffusion de son reportage, « une assistance possible » à deux de ses sources.
à l’appui de son affirmation, M. Macpherson cite deux phrases du jugement : « Jamais selon elle (le témoin Cathy Gouin), il n’a été question qu’elle soit payée pour obtenir sa version. Cependant, le journaliste Philippe Schnobb les avait assurés, elle et son conjoint, d’une assistance possible si, après la diffusion des reportages, leur sécurité était menacée. »
Pour M. Macpherson, cette promesse « d’assistance possible » apparaît aller à l’encontre d’un principe inscrit dans la politique journalistique de la SRC : « Radio-Canada ne rémunère pas ses sources d’information. La tâche du journaliste est de recueillir des informations données librement. » Le journaliste fait alors ressortir la contradiction entre cette politique et la pratique vantée par M. Pelletier.
Le journaliste mis en cause relève également le reproche que lui fait M. Pelletier d’avoir écrit : « the PQ provided not only the story of Anjou telegraphing but also interview subjects ». Il réplique en indiquant que sa source est le jugement écrit du juge Boivert. On y trouve, à la page trente du document, la mention : « Il est aussi exact que l’enquête (des irrégularités électorales) a débuté dans une perspective partisane à l’initiative du Parti Québécois d’Anjou, et que (le témoin Jean-Luc) Poirier a été rencontré par un bénévole du Parti Québécois avant de donner une première version aux journalistes et aux enquêteurs. »
M. Macpherson cite également un autre extrait apparaissant en page quatre du document où il est mentionné que c’est vraisemblablement par l’entremise d’un bénévole du Parti Québécois que Poirier a accepté de donner une entrevue à Radio-Canada. Le journaliste ajoute que c’est également ce qu’a dit le journaliste Philippe Schnobb dans son reportage, toujours disponible par Internet et dont il donne la référence.
Le journaliste conclut en disant que s’il a commis des erreurs, « c’est d’avoir accepté le jugement d’un tribunal… et d’avoir cru le reportage de Radio-Canada ».
Est annexée aux commentaires copie du jugement du 18 septembre 2001 présidé par l’honorable juge Serge Boisvert et opposant le Directeur général des élections à l’accusé Alberto Berardinucci.
Réplique du plaignant
Le directeur des nouvelles de la SRC répond que les commentaires de M. Macpherson ne justifient nullement l’accusation grave qui a été portée à l’endroit de Radio-Canada et considère que la plainte devrait être retenue.
Selon lui, le juge Boisvert a reconnu qu’il n’a jamais été question que Radio-Canada paie une source pour obtenir de l’information. Il cite à son tour le jugement du 18 septembre 2001, p. 10 : « Jamais, selon elle, il n’a été question qu’elle soit payée pour obtenir sa version. »
M. Pelletier explique que Radio-Canada a simplement agi en entreprise de presse responsable en acceptant, pour des raisons humanitaires, de fournir une assistance à des personnes dont la sécurité était menacée en raison de la diffusion d’un reportage dans le cadre duquel ces personnes avaient courageusement dénoncé une fraude électorale grave.
Pour le directeur, il n’y a aucun rapport entre payer une source pour obtenir de l’information et porter assistance à des personnes dont la sécurité est en danger à la suite de la participation à un reportage. Il dit ne pas comprendre pourquoi M. Macpherson réfère aux règles journalistiques de la SRC quant à la rémunération des sources, règles qui ont été scrupuleusement respectées.
Pour démontrer que Radio-Canada a toujours refusé de rémunérer ses sources, il cite un autre jugement du juge Boisvert, daté du 13 juin 2001, sur une matière connexe : « Poirier espérait également être payé par Philippe Schnobb pour les renseignements fournis. Malgré les refus de [Belleville] et Schnobb de le payer, Poirier a accepté de participer à un reportage télévisé préparé par le journaliste. »
M. Pelletier explique qu’à cause des représentations faites par les procureurs de Radio-Canada (requête en cassation de subpoena), le journaliste Philippe Schnobb n’a pas eu à témoigner sur l’ensemble de son enquête journalistique. Il n’était donc pas possible pour le juge Boisvert de saisir entièrement le rôle et la portée de l’enquête du journaliste Schnobb dans l’affaire.
Dans ce contexte, le journaliste Macpherson ne pouvait simplement se fonder sur le jugement du juge Boisvert pour affirmer que le Parti Québécois « provided not only the story of the Anjou telegraphing but also interview subjects ». Il devait, pour faire un travail journalistique responsable, contacter Radio-Canada avant de faire pareilles affirmations. De même en est-il du reportage qui aurait dû faire, lui aussi, l’objet d’une vérification.
Les copies des jugements sont également annexées par les plaignants.
Analyse
Les choix rédactionnels, le traitement journalistique de même que la façon de présenter l’information relèvent du jugement et des prérogatives des médias et des professionnels de l’information, qui sont par ailleurs tenus de respecter les faits en tout temps. L’article contesté appartient à la chronique, un genre journalistique qui, tout en laissant une grande latitude à son auteur, n’est pas sans limite à cet égard.
Or l’examen de la plainte a permis au Conseil de prendre connaissance des sources sur lesquelles le journaliste faisait reposer ses affirmations, les jugements du juge Boisvert, et ainsi apprécier cet aspect du respect des faits dans l’article mis en cause.
La comparaison entre certains éléments apparaissant à ces jugements et les formulations dans l’article des mis-en-cause n’indiquent aucune transgression de ce principe. Ainsi, le Conseil a considéré que les faits rapportés par le journaliste Don Macpherson sont conformes à ceux que l’on trouve dans les textes du juge Boisvert. D’autant plus que cette source de renseignement – un jugement de la Cour – ne pouvait être considérée autrement que comme hautement crédible.
Le Conseil n’a pas adhéré à l’explication des plaignants à l’effet que ce que les témoins Cathy Gouin/Yves Morin avaient reçu consistait en une « aide humanitaire » décidée après coup pour dépanner ces sources. L’interprétation du Conseil est plutôt à l’effet que ce que ces témoins ont reçu en échange de leur fourniture d’informations, ce sont des compensations assimilables à une rémunération. D’ailleurs, il est indiqué au jugement que la SRC a dû ainsi verser plus de mille dollars au couple Gouin/Morin.
Dans ce contexte de sources valides, de faits décrits à l’intérieur des limites journalistiques et nonobstant le désir des plaignants d’avoir été consultés, le Conseil estime que le journaliste n’a pas transgressé les limites journalistiques assorties à la chronique.
Par conséquent, le Conseil de presse rejette la plainte contre le quotidien The Gazette et son chroniqueur Don Macpherson.
Analyse de la décision
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C19A Absence/refus de rectification
Date de l’appel
24 January 2002
Décision en appel
Après examen, les membres de la Commission ont accueilli favorablement l’appel. Ceux-ci sont d’avis que l’article de M. Macpherson fait preuve d’ambiguïté et manque singulièrement de nuances en associant un reportage de Radio-Canada à la pratique du « check-book journalism ». Aux yeux de la Commission, tout confirme que la SRC n’a aucunement, dans le dossier en cause, rémunéré des sources pour obtenir de l’information, conformément à sa politique journalistique.
Griefs pour l’appel
Société Radio-Canada (Jean Pelletier, directeur des nouvelles télévisées)