Plaignant
Michel Chayer
Mis en cause
Kristian Gravenor, journaliste, et Mirror (Alastair Sutherland, rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
Michel Chayer porte plainte contre le journaliste Kristian Gravenor et l’hebdomadaire Mirror pour un article publié sous la rubrique « The Front Home Financing » paru dans l’édition du 31 janvier au 6 février 2002. Le plaignant reproche au journaliste d’avoir dénigré la Caisse populaire Desjardins et son représentant, M. Gaston Tremblay. Il dénonce certaines de ses allégations et considère douteuse l’éthique journalistique de M. Gravenor.
Griefs du plaignant
L’article visé porte le titre « Domestics Down – Coldhearted Caisse leaves Filipinas sleeping par terre ». Le plaignant reproche au journaliste d’avoir dénigré la Caisse populaire Desjardins, pour le compte de M. Harvey Litvack de l’agence « Magical Filipina », en rapportant ses propos : « They (la Caisse populaire Desjardins) don’t like the idea of a minimum wage Oriental girls being owners ».
En intitulant l’article comme ils l’ont fait, il apparaît évident que les mis-en-cause ont endossé les allégations servies par M. Litvack contre la Caisse populaire et particulièrement contre son représentant, M. Gaston Tremblay.
Selon le plaignant, le journaliste laisse implicitement entendre que c’est le racisme et la discrimination qui motivent la Caisse populaire Desjardins à agir de la sorte. Et cette rhétorique du journaliste relève de sa croisade francophobe, car il cherche à démontrer que les Canadiens français sont une bande d’intolérants et de racistes.
Toujours selon le plaignant, M. Gravenor berne ses lecteurs, est inique à l’encontre de M. Tremblay et de la Caisse et méprisant à l’encontre de tous ceux qui, au fil du temps, ont été escroqués par M. Litvack. Le plaignant ajoute une charge contre ce dernier, l’accusant d’être un escroc notoire pour avoir été déjà impliqué dans de nombreuses affaires frauduleuses. Selon lui, M. Litvack est un habitué des tribunaux et une personne dangereuse. Le plaignant dit parler en connaissance de cause puisqu’il a déjà eu maille à partir avec lui.
En appui à ses affirmations, M. Chayer dépose un document de 47 pages contenant des plumitifs civils et criminels concernant M. Litvack, et d’autres documents visant à démontrer sa thèse.
Commentaires du mis en cause
Pour M. Gravenor, le plaignant l’accuse de mener une « campagne francophobe » alors qu’il a simplement rapporté une controverse impliquant la Caisse populaire. Il s’agit d’une idée absurde puisque la nouvelle aurait été rédigée exactement de la même façon, sans égard à l’arrière-plan ethnique de l’institution financière, que s’il s’était agi de la Banque Royale, de la Banque de Montréal, de la CIBC ou de toute autre banque. Le journaliste ajoute qu’il a déjà rapporté par le passé des griefs et des délits commis par diverses banques. Est-ce que M. Chayer va considérer qu’il s’agit d’attaques racistes d’un autre type?
Le journaliste dit avoir eu une discussion longue et ouverte avec le représentant de la Caisse populaire responsable du dossier de M. Litvack. Il lui a alors demandé spécifiquement si sa Caisse avait refusé l’hypothèque de l’immigrante en question sur la base de son revenu trop bas et de la nature de son travail. Le représentant de la Caisse n’a alors pas nié ces raisons.
Pour M. Gravenor, le plaignant croit que le journaliste a fait erreur en rapportant que le salaire des femmes et la nature de leur travail était une cause possible du refus de leur fournir le financement promis. Mais la Caisse populaire a eu l’opportunité de nier l’information et elle ne l’a pas fait. L’absence d’un tel déni confirme, pour lui, la possibilité de l’existence d’un biais de la part de la Caisse à l’égard des femmes originaires des Philippines et ce qui, selon lui, était bel et bien la réalité.
Pour le journaliste, la plainte de M. Chayer est non fondée et frivole. elle est basée sur une suggestion fausse et fâcheuse voulant qu’il entretienne une hostilité générale envers les personnes de langue française du Québec, une idée qu’il considère comme injurieuse et libelleuse. Il suggère au conseil qu’une telle plainte soit ignorée à l’avenir, à moins qu’elle ne présente un meilleur fondement tant par les faits que par les raisons sur lesquelles elle repose.
Réplique du plaignant
En ce qui concerne l’objet de sa plainte, M Chayer explique que ce n’est qu’accessoirement qu’il mentionnait l’apparente croisade francophobe du journaliste. Ce qu’il reprochait à M. Gravenor, c’était son total manque de rigueur journalistique dans un traitement complaisant qu’il avait accordé à Harvey Litvack. Pour lui, l’article de M. Gravenor est pernicieux en laissant entendre que l’Œuvre de M. Litvack est désintéressée.
C’est le hasard qui a voulu que le plaignant soit une des victimes de M. Litvack. Il parle de l’escroquerie qu’il a ainsi vécue et donne les coordonnées de son avocate à titre de témoin. M. Chayer s’attaque ensuite à M. Litvack : « L’humanitarisme et le désintérêt qu’affiche sans vergogne le dénommé Harvey Litvack font parti constamment de sa mise en scène pour faire avaler des couleuvres aux gogos qui se présentent à lui […] même après avoir escroqué des centaines de petits épargnants […], il se trouve encore quelqu’un pour l’encenser en la personne du journaliste Kristian Gravenor », affirme le plaignant.
M. Chayer ajoute qu’un simple coup de téléphone à la « Federation of Filipino Canadian Association of Quebec » aurait permis au journaliste de vérifier la crédibilité du dénommé Harvey Litvack. Pour sa part, en téléphonant à ladite Fédération, on lui a répondu que l’agence opérée pas M. Litvack n’était pas recommandable et qu’elle était bien connue à la Fédération pour avoir fait l’objet de nombreuses plaintes. Il ajoute que les plumitifs de M. Litvack et la lecture de ses dossiers de la cour auraient révélé l’ampleur de ses magouillages, de même que ses nombreux alias dont il fait la nomenclature. Puisque ces informations lui étaient accessibles, elles l’étaient également au journaliste.
M. Chayer s’en prend ensuite à une omission de M. Gravenor concernant le fait que le M. Tremblay mentionné dans l’article travaille à la direction « Redressement et recouvrement » de Desjardins; et le fait que si ce dernier a refusé de commenter le dossier dont il a la charge, ce n’est pas qu’il acquiesçait à l’énoncé de la question que lui posait le journaliste.
Le plaignant dénonce ensuite les salaires réduits des jeunes filles et la part d’argent qui peut revenir à M. Litvack. Il indique qu’il a tenté de sensibiliser la direction du Mirror et le journaliste mais il n’a jamais obtenu de retour d’appel ni de correctif.
Cette première réplique datée du 6 mai 2002 est suivie de quatre « compléments à la réplique » acheminés par M. Chayer pour étayer et expliquer davantage sa plainte.
Complément du 8 mai : Le plaignant affirme avoir vérifié lui-même auprès de la « Federation of Filipino Canadian Association of Quebec » et que le président, de même que sa femme, l’ont assuré que M. Litvack n’était pas recommandable et qu’il exploitait les jeunes filles à son emploi.
Complément du 12 mai : M. Chayer affirme avoir vérifié et que, contrairement à ce que prétend M. Gravenor, aucune des 14 jeunes domestiques philippines mentionnées dans l’article n’est bénéficiaire d’un quelconque titre de propriété. Le plaignant dépose des copies des extraits du registre de l’Inspecteur général des institutions financières du Québec et d’autres documents pour démontrer son affirmation.
Complément du 19 juin : Le plaignant ajoute au dossier deux lettres : une à la députée fédérale Yolande Thibault lui communiquant la situation de l’exploitation des jeunes filles philippines et l’autre, à M. Tremblay de la Caisse populaire Desjardins pour lui demander de lui envoyer par écrit la position de la Caisse dans l’affaire.
Complément du 3 juillet : M. Chayer dépose un extrait du registre de l’Inspecteur général des institutions financières du Québec montrant la radiation d’office de l’entreprise de M. Litvack.
Analyse
La chronique et la « column » sont des genres journalistiques qui laissent à leurs auteurs une grande latitude dans l’expression de leurs points de vue et de leurs jugements. Ils permettent aux journalistes qui les pratiquent d’adopter un ton de polémiste pour prendre parti et exprimer leurs critiques, ce qu’ils peuvent faire dans le style qui leur est propre, même par le biais de l’humour et de la satire.
Cependant, la latitude reconnue aux chroniqueurs n’est pas sans limite. Ainsi, ceux-ci doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer des personnes ou des groupes.
Après examen de la plainte, le Conseil de presse ne peut accueillir les griefs à l’effet que le journaliste laisse implicitement entendre que la Caisse populaire Desjardins est motivée dans ses actions par le racisme et la discrimination et que cette rhétorique du journaliste relève de sa croisade francophobe. Le Conseil a considéré que le plaignant n’avait pas fourni une preuve suffisante pour démontrer l’existence de tels manquements à la déontologie.
En ce qui a trait au grief portant sur le traitement complaisant accordé à M. Litvack par un manque de rigueur journalistique, le Conseil de presse ne peut que donner raison au plaignant sur cet aspect. Il est apparu au Conseil que le journaliste a repris les affirmations de M. Litvack sans les vérifier alors que quelques vérifications simples auraient pu l’amener à une toute autre version de l’histoire.
Enfin, en ce qui concerne l’omission du titre de M. Gaston Tremblay, du service « Redressement et recouvrement » de la Caisse populaire Desjardins, le Conseil a considéré qu’il était impossible de conclure, sans risquer de verser dans le procès d’intention, que le journaliste avait omis cette information parce qu’il tentait ainsi de biaiser volontairement le récit de sa rencontre avec M. Tremblay, en faveur de M. Litvack.
Pour ces raisons, le Conseil de presse accueille partiellement la plainte contre l’hebdomadaire Mirror et son journaliste Kristian Gravenor.
Analyse de la décision
- C12B Information incomplète
- C15B Reprendre une information sans la vérifier
- C15H Insinuations