Plaignant
Le Curateur public du Québec (Me Marc Bergeron, avocat)
Mis en cause
Diodora Bucur, journaliste, et The Suburban (Jim Duff, rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
Le Curateur public porte plainte contre une série d’articles publiés par The Suburban, les 28 novembre 2001, 23 janvier 2002 et le 6 février 2002, qui traite du cas d’une personne étant sous le régime de la Curatelle publique en vertu d’un jugement rendu par la Cour supérieure. Le Curateur public estime que les droits de son client n’ont pas été respectés, notamment son droit à la vie privée de même que le non-respect du jugement de la Cour rendu dans le dossier de son client.
Griefs du plaignant
Le plaignant dénonce que The Suburban ait fait une série d’articles sur un client relevant de la Curatelle publique, en identifiant cette personne et en publiant sa photo. Pour lui, la conséquence juridique d’un jugement est que le Curateur public doit consentir au préalable à toute captation de l’image de la personne qu’il représente et à toute diffusion d’informations personnelles relatives à la personne représentée.
Le plaignant mentionne également qu’il aurait fait parvenir une lettre au Suburban, lui soumettant les règles à suivre lorsqu’une personne est sous un régime de protection et que, par la suite, le journal aurait tout de même fait paraître un autre article. Et enfin, il déplore que The Suburban ait publié dans le courrier des lecteurs une lettre, envoyée par le Curateur, et qu’il ait dénoncé cette démarche comme étant une tentative d’intimidation des médias, dans un autre article.
Commentaires du mis en cause
Commentaires de Mme Diodora Bucur, journaliste :
Mme Bucur souligne au départ que c’est M. Guttman qui a approché The Suburban pour raconter son histoire : « Laszlo Guttman approached The Suburban with his story last fall. He told me he was desperate to regain his independence and turned to the public for support ». M. Guttman a eu une crise de cŒur en 1999 qui lui a laissé la jambe droite et le bras en partie paralysés, et depuis ce temps il est sous la Curatelle publique. Ses capacités intellectuelles étaient intactes. M. Guttman demandait qu’il soit reçu pour un nouvel examen médical, afin de pouvoir reprendre possession de ses biens. Mme Bucur a téléphoné au bureau du Curateur pour se faire répondre sans cesse que l’information demandée était confidentielle. La journaliste estime que c’était le choix de M. Guttman de vouloir dévoiler son histoire au public. « That’s his individual right to freedom of expression, guaranteed by both the Quebec and the Canadian Charters of Rights and Freedoms ».
Commentaires de M. Jim Duff, rédacteur en chef :
M. Duff appuie la déclaration de Mme Bucur sur le fait que M. Guttman a approché The Suburban pour faire raconter son histoire. M. Duff reconnaît le mandat du Curateur public, de protéger les gens d’eux-mêmes, mais il estime que le Curateur est en contradiction avec les Chartes des droits et libertés québécoise et canadienne.
Il affirme que le Curateur public n’a pas le droit d’enlever arbitrairement et sans un processus public, les libertés fondamentales d’un individu. Il ajoute que The Suburban continuera de monter et de publier des dossiers sur M. Guttman et sur d’autres cas similaires, aussi longtemps que ces situations seront justifiées.
Réplique du plaignant
Le plaignant souligne à nouveau que c’est un tribunal (la Cour supérieure) qui, après analyse de la preuve médicale et psychosociale, rend la décision quant à l’ouverture d’un régime de protection. Et qu’une personne sous la Curatelle ne peut exercer ses droits que par l’intermédiaire de son tuteur ou de son curateur.
Le plaignant ne comprend pas la position du Suburban, d’avoir écrit un autre article, suite à une lettre envoyée par le Curateur public, alors que celle-ci expliquait la procédure à suivre lors de la divulgation d’informations personnelles. Le plaignant souligne aussi que le Vérificateur général du Québec, institution indépendante du gouvernement, vérifie chaque année les comptes et les livres relatifs aux biens administrés par le Curateur public du Québec. Alors, il est faux d’affirmer que le Curateur public du Québec n’a aucun compte à rendre publiquement. Et qu’il est tout à fait possible de critiquer publiquement le Curateur public, à la condition de respecter la confidentialité de l’identité des personnes concernées, tel que la loi l’exige.
En ce qui a trait au retrait des droits fondamentaux tels que prescrit par les Chartes québécoise et canadienne, le plaignant affirme que le Curateur public n’a pas le droit de retirer à une personne ses droits fondamentaux, mais de plus le législateur ne lui en a même pas donné la capacité. C’est le tribunal qui dispose de cette question. Il ajoute que le Curateur n’a aucunement pour politique de refuser systématiquement toute demande de prise de photo ou d’entrevue avec les personnes qu’il représente. Chaque demande est analysée au mérite en regard du meilleur intérêt de la personne.
Le plaignant veut rappeler aux mis-en-cause qu’ils ont l’obligation comme tout le monde de respecter les lois en vigueur. Et c’est pourquoi il estime parfaitement irresponsables et même stupéfiants les propos de M. Duff lorsqu’il dit qu’il continuera à agir de la même façon qu’il a agi dans le dossier, et qu’il entend défier la loi, au péril des droits des personnes sous tutelle ou Curatelle publique.
Analyse
Dans le traitement des questions touchant les drames humains, les professionnels de l’information, tout en assurant le droit à l’information, doivent respecter les droits de la personne dont le droit à la vie privée, à l’intimité, à la dignité et à la réputation. Ils doivent également se soucier d’informer réellement le public.
La plainte formulée par le Curateur public visait un manquement à l’interdiction de divulguer l’identité d’une personne sous le régime de la Curatelle publique. Le plaignant mentionne que toute personne étant sous ce régime ne peut transmettre personnellement des informations sur son dossier, qu’il doit s’en référer à son tuteur ou curateur.
Comme les sujets abordés dans le présent dossier touchaient à la fois des matières relevant du domaine juridique et de celui de l’éthique journalistique, la décision du Conseil de presse ne vise évidemment qu’à trancher dans les questions relevant de l’éthique journalistique, laissant aux juristes et aux tribunaux le soin de statuer sur la partie qui relèvent de leur compétence.
En traitant du dossier de M. Guttman, les mis-en-cause expliquaient qu’ils obéissaient à une demande explicite de leur client qui tentait de recouvrer ses droits. Les mis-en-cause invoquaient que d’interdire la publication de ces informations étaient une atteinte aux droits et libertés de la personne, telles que décrite dans les Chartes québécoise et canadienne.
The Suburban mentionne également qu’il a essayé d’obtenir de l’information sur le dossier de M. Guttman, mais s’est fait répondre que l’information était confidentielle.
Il est important de préciser que le Conseil reconnaît toute légitimité à une instance gouvernementale ou un tribunal, pour des raisons d’intérêt public, d’interdire ou de retarder la publication de certaines informations.
Cependant, dans le dossier en cause, bien que le plaignant invoque un jugement de la Cour supérieure, le Conseil observe que les difficultés dans ce dossier ont commencé quand M. Guttman a tenté d’exercer lui-même, par la voie d’un média, son droit à la liberté d’expression. Et c’est ce que les mis-en-cause lui ont permis de faire sur la base de leur certitude que malgré un handicap physique, ses facultés mentales étaient intactes. Dans les circonstances, le Conseil ne peut donc retenir de grief à cet égard contre les mis-en-cause pour avoir permis à une personne de s’exprimer publiquement.
Par ailleurs, dans ses commentaires, le plaignant déplore que les mis-en-cause aient traité une lettre du Curateur, dans le courrier des lecteurs et aient dénoncé, dans un autre article, cette lettre comme étant une tentative d’intimidation des médias. Le Conseil tient à rappeler que nul ne peut dicter à la presse le contenu de l’information sans s’exposer à faire de la censure ou à orienter l’information.
Enfin, pour des raisons qu’on peut comprendre au terme de ce dossier, le Conseil estime qu’en certaines circonstances, une meilleure collaboration entre médias et organismes gouvernementaux est souhaitable pour éviter une confrontation inutile et préjudiciable aux personnes plus vulnérables qui se trouvent aux prises avec ces institutions.
Considérant que ni le média, ni la journaliste n’a enfreint de règle en regard de la déontologie professionnelle dans le présent dossier, le Conseil de presse rejette donc la plainte formulée à l’encontre de l’hebdomadaire The Suburban et de sa journaliste Diodora Bucur.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C03D Emplacement/visibilité de l’information
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16D Publication d’informations privées
Décision en appel
Après examen, les membres de la Commission ont conclu unanimement de maintenir la décision rendue en première instance. En revanche, les membres de la Commission sont d’avis que l’histoire rapportée par The Suburban aurait été mieux servie si le journal aurait pris soin de protéger l’anonymat de M. Guttman.
Griefs pour l’appel
Le Curateur public du Québec (Me Marc Bergeron, avocat)