Plaignant
Alexandre Popovic
Mis en cause
Karim Benessaieh, journaliste, et La
Presse (Marcel Desjardins, vice-président et éditeur adjoint)
Résumé de la plainte
Membre
organisateur de la manifestation de la Journée internationale contre la
brutalité policière du 15 mars 2002, Alexandre Popovic porte plainte contre le
journaliste Karim Benessaieh pour son article intitulé «Une manifestation
contre la brutalité policière… vire au saccage», publié dans l’édition de
La Presse du 16 mars 2002.
Griefs du plaignant
Le
plaignant considère l’article de M. Benessaieh outrageux: ce serait un
tissu de mensonges digne d’un rapport de police et indigne de la profession
journalistique. Il contribuerait à faciliter le travail de répression politique
de la police et de désinformation du Service de police de la Ville de Montréal
(SPVM).
Il remet
tout d’abord en cause l’angle de traitement de la manifestation:
l’article ne focaliserait que sur les aspects criminels de l’événement et non
sur ses véritables enjeux, sur les revendications et les messages de
protestation des manifestants.
Pour
appuyer sa thèse, il dénonce tout d’abord le contenu du titre qui selon lui est
trompeur: par l’utilisation du terme «saccage», le
journaliste exagèrerait l’importance des dommages qui ont eu lieu lors de la
manifestation.
Selon lui,
le journaliste ne respecterait pas non plus le principe de la présomption
d’innocence des 371 personnes qui ont été arrêtées par la police.
Le
plaignant fait également mention de plusieurs inexactitudes dans l’article de
M. Benessaieh. Tout d’abord, le journaliste rapporterait erronément le nombre
de manifestants ainsi que le nombre d’arrestations effectuées.
Ensuite,
selon M. Popovic, le journaliste aurait déformé la réalitéen écrivant
que«quelque 150 protestataires ont fait fi de l’ordre [de se
disperser lancé par la police]». Selon le plaignant, les manifestants
n’ont tout simplement pas entendu l’ordre de la police qui s’est déroulé dans
des conditions telles qu’il était pratiquement inaudible.
Puis, il y
aurait un manque de vérification des informations de la part de M. Benessaieh.
Contrairement à ce qu’affirme le journaliste dans son article, le plaignant
indique que la manifestation contre la brutalité policière de 2001 aurait bien
eu lieu. Il y aurait même eu deux marches ayant fait l’objet de deux articles
dans La Presse (un de ces articles
accompagne la plainte).
Il critique
également la confusion qui aurait été faite entre deux organisations
différentes qui manifestaient le même jour et dont le sujet était le
même: Le Collectif Opposé à la Brutalité Policière (COBP) et le Mouvement
Action Justice (MAJ).
Pour finir,
le plaignant précise que le journaliste n’a rendu aucun service au droit à la
liberté d’expression, aux 371 victimes de la répression policière et au public
en général, et conséquemment à sa propre profession.
La plainte
de M. Popovic est complété par un article de 2001 traitant de la Journée
internationale contre la brutalité policière et d’un communiqué annonçant la
manifestation de 2002. Ce dernier précise en sous-titre que les «Agents
En Civil Ne Seront Pas Les Bienvenus… Et Les Caméras De Télévision Non Plus!».
Commentaires du mis en cause
Le
principal grief de M. Popovic, concernant la focalisation excessive de
l’article sur les aspects criminels de cette marche, est selon le mis-en-cause
non fondée: depuis trois ans les différentes marches contre la brutalité
policière auraient provoqué des désordres et des arrestations à répétition
justifiant le sujet de l’article. Le mis-en-cause accompagne ses propos d’un
extrait d’article publié dans Le Devoir
le 18 mars 2002 relatant des dérapages dus à ces marches.
D’autre part,
le journaliste explique que son article n’avait pas pour but de traiter de la
cause des manifestants mais bien celui de décrire une intervention policière.
De ce fait tous les éléments d’information provenaient de rapports policiers et
du porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal, le commandant
André Durocher.
Concernant
le nombre d’arrestations et de blessés, il aurait été techniquement impossible
de connaître le bilan final en fin de soirée avant la tombée du journal,
l’opération de police s’étant terminée aux petites heures du matin, estime le
journaliste.
En ce qui
concerne le titre de l’article, le journaliste précise que le terme
«saccager» signifie «mettre en désordre», il serait
donc approprié à la description de l’événement: il y aurait manifestement
eu des désordres (graffitis, fenêtres brisées…) commis par les quelques
manifestants responsables.
Au sujet de
la présomption d’innocence qui aurait été bafouée, M. Benessaieh souligne qu’à
la fin de son article il rappelle que la majorité des personnes arrêtées ne
devrait faire face qu’à des accusations d’attroupement illégal.
Le
mis-en-cause reconnaît ensuite quelques erreurs dans la rédaction de son
article. Il a effectivement confondu les deux organisations (le Mouvement
Action Justice et le Collectif Opposé à la Brutalité Policière) effectuant
toutes deux une marche contre la brutalité policière le 15 mars 2002. Il
reconnaît également que l’article ne rapportait guère les motivations du COBP
car il ne savait pas à ce moment-là que cette organisation effectuerait cette
marche.
Le
journaliste souligne que pour rectifier ses erreurs, deux articles sont parus
les jours suivants dans La Presse
corrigeant le bilan final des arrestations, rappelant la différence entre les
deux organisations et faisant part des préoccupations de ceux qui trouvaient
l’intervention policière trop musclée. Le mis-en-cause accompagne ses
commentaires de deux articles (l’un du journaliste Raymond Gervais et l’autre
signé Éric Trottier).
Les
commentaires de M. Benessaieh sont suivis de ceux de Marcel Desjardins qui
endosse pleinement les explications du journaliste. Il ajoute que M.
Benessaieh, contrairement à ce qu’affirme M. Popovic, ne focalise pas
obsessivement l’article sur les aspects présumément criminels de l’événement,
mais tout simplement sur la manifestation elle-même ainsi que sur son
déroulement.
Réplique du plaignant
Avant de
répondre à la défense de M. Benessaieh point par point et de façon détaillée,
le plaignant dénonce le lien de dépendance entre les services de désinformation
de la police et «l’industrie de l’information» qui se serait
dramatiquement accru au sein de la profession. Il considère la situation comme
très préoccupante: elle mettrait en péril l’intégrité même de la
profession journalistique au Québec.
À ce sujet,
le plaignant estime qu’il était du devoir du journaliste de prendre un minimum
de distance par rapport à ses sources, compte tenu de la nature même de
l’événement. Il s’agit en effet d’une manifestation contre la brutalité
policière pendant laquelle les forces de police ont été appelées à intervenir.
Toujours
selon M. Popovic, M. Benessaieh ayant puisé ses uniques sources d’information
au Service de police de Montréal, il n’a pu faire autrement que de focaliser
sur les aspects criminels de l’événement afin de légitimer une répression qu’il
estime démesurée.
Concernant
la rédaction du titre de l’article, il répète qu’il trouve le terme
«saccage» exagéré car très réducteur: il n’illustrerait pas
l’événement correctement et donnerait une image fortement péjorative des
manifestants.
Analyse
Le Conseil de presse rappelle que le choix d’un sujet et la façon de le traiter appartiennent aux professionnels de l’information. Ils doivent être libre de relater les événements et de les commenter sans entrave.
Cependant, la presse ne peut se permettre de donner une image déformée des faits. Les médias compromettraient le droit à l’information si, dans leur façon d’aborder les événements, ils se laissaient guider par une philosophie ou un courant d’idées donné, ou s’ils taisaient ou rapportaient avec parti pris l’information concernant ceux qui les critiquent ou dont ils ne partagent pas les points de vue.
Le sujet de l’article mis en cause focalise sur les dommages commis par les manifestants, ainsi que sur l’intervention des forces de police. Cette description de l’événement apparaît pleinement justifiée, la destruction du mobilier urbain étant avérée.
En revanche, les quelques inexactitudes observées dans l’article de M. Benessaieh – le nombre des manifestants et d’arrestations, et une référence inexacte à la manifestation de l’année précédente – sont à relativiser. Il faut prendre en considération le fait que le journal, dans les éditions suivantes, a pris soin de brosser un portrait plus exhaustif de l’événement. La Presse a en effet rectifié les faits erronés par la parution, les jours suivants, d’articles concernant la philosophie des manifestants ainsi que leur point de vue sur l’intervention des forces de police durant la manifestation.
Considérant que les choix d’information des médias ne se mesurent pas seulement de façon quantitative, sur la base d’une seule édition ou d’une seule émission, mais aussi de façon qualitative, le Conseil de presse rejette la plainte de M. Popovic.
Analyse de la décision
- C03A Angle de traitement
- C03B Sources d’information
- C11A Erreur
- C11B Information inexacte
- C11F Titre/présentation de l’information
- C12A Manque d’équilibre
Date de l’appel
24 January 2003
Décision en appel
Après
examen, les membres de la Commission ont conclu majoritairement, par un vote de
5 contre 1, de maintenir la décision rendue en première instance. Un membre de
la Commission, Mme Cécile Larouche, a inscrit sa dissidence sur cette décision,
estimant que les inexactitudes contenues dans l’article en cause auraient
justifié que la plainte soit retenue par le Conseil; un avis qui n’est
toutefois aucunement partagé par les cinq autres membres de la Commission.
Griefs pour l’appel
Alexandre Popovic