Plaignant
Télésystème
Mobiles International Inc. (Mark Boutet, vice-président, Communications)
Mis en cause
Jan Ravensbergen et Mary Lamey, journalistes, et
The Gazette (David Yates, rédacteur « section affaires » et
Raymond
Brassard, directeur de l’information)
Résumé de la plainte
Télésystème Mobiles International
soumet au Conseil trois articles publiés par le
quotidien TheGazette
entre le 10 juillet et le 4 août 2001. Le plaignant estime que le
contenu et la formulation des informations publiées représentent plusieurs
manquements à la déontologie journalistique, notamment dans le traitement de
l’information et l’absence de rectification.
Griefs du plaignant
Le vice-président des Communications de
Télésystème
Mobiles International (
TIW), Mark
Boutet, dépose une plainte contre
The Gazette ainsi que contre les
journalistes Jan Ravensbergen et Mary Lamey, et le
rédacteur David Yates. La plainte vise trois articles parus sous les titres : «
TIW bond scheme
draws S1/4P’s
flak », paru le 10 juillet
2001, « BCI dials
up steady
revenue », le 24 juillet 2001 et «To
the highest bidder… », le
9 août 2001.
Le plaignant précise que même s’il ne
soumet que trois articles,
The Gazette
a publié, entre le 9mai et le 28 août, pas moins de 14
articles faisant mention de son entreprise, démontrant ainsi véritablement une
insistance indue.
M. Boutet considère que tant le contenu que
la formulation des informations publiées par
TheGazette illustrent les manquements suivants à la
déontologie professionnelle : inexactitude des faits; absence de rigueur et de
pondération de l’information; insistance; acharnement indus; déséquilibre de
l’information, confusion des genres journalistiques et absence de
rectification. Ces fautes
professionnelles ont été commises malgré une totale disponibilité des
plaignants à renseigner les journalistes mis en cause. Le plaignant expose en
détail dans un document de 32 pages les raisons et les preuves de ce qu’il
avance.
Pour M. Boutet, les accrocs à la
déontologie dénoncés sont d’autant plus répréhensibles et dommageables que son
entreprise est une société cotée en bourse et que bon nombre de lecteurs des
pages d’affaires prennent des décisions d’investissement à partir des
informations qu’ils y retrouvent.
Commentaires du mis en cause
Commentaires du journaliste financier, Jan
Ravensbergen:
Le journaliste financier du quotidien
The
Gazette affirme que les allégations des
plaignants au sujet de ses deux articles publiés en juillet 2001 ne sont pas
fondées. Il répond ensuite aux
griefs exposés par le plaignant selon leur ordre de présentation.
Selon M. Ravensbergen,
TIW n’a pas fourni de preuve substantielle de l’inexactitude des
faits. Une lecture attentive de la plainte révèle plutôt chez la compagnie un
réel désir de refroidir le porteur de mauvaises nouvelles. Pourtant, ce n’est
pas le journaliste mais Standard 1/4
Poor’s
Corp
. qui a jugé pertinent d’informer les investisseurs, institutionnels
et privés, de l’existence d’un stratagème (
scheme).
Ce stratagème visait à réduire sa dette constituée d’obligations à rendement
élevé – aussi appelées obligation de pacotille (
junk bonds
) – de plus de la moitié en la faisant passer de 480 à 195 millions
US, un geste équivalant à un défaut de paiement. Ce sont des termes inhabituels
et forts chez ces grands spécialistes habitués de l’évaluation des risques sur
les marchés financiers. C’est ce qui a décidé le journaliste à produire cette
nouvelle. Il s’agit d’ailleurs d’une compagnie dont le siège social est à
Montréal et dont la Caisse de dépôt et placement du Québec a détenu pendant
fort longtemps une part importante des actions.
Le journaliste indique qu’au-delà d’un
communiqué obscur, il n’a pu obtenir d’informations substantielles. Le
communiqué avait été écrit par des avocats et à son avis, il n’était pas
formulé de manière à être compris par des gens ordinaires. Le 10 juillet, après
avoir reçu une demande de rectification de la part de M. Boutet, le journaliste
lui a demandé le texte pertinent à l’affaire, qu’il a platement refusé,
invoquant la confidentialité. Le journaliste fait remarquer qu’à la suite de la
demande verbale de rectification de la part de M. Boutet,
The Gazette était prête à préparer une rectification, en autant que
la compagnie en démontrait la raison d’être.
Pour M. Ravensbergen, les griefs pour
« absence de pondération de l’information,
insistance, acharnement indus et
absence de rigueur dans le traitement de l’information » sont des
allégations vagues et subjectives. À cause du manque de transparence et
d’ouverture, manifesté par TIW, il
n’existe pas de moyen adéquat de les vérifier.
Le journaliste aborde ensuite la «
non-vérification des erreurs de fait ». Il relève que dans sa plainte, M. Boutet
indique une erreur de fait d’une tierce partie. Et malgré ce qu’en dit le
plaignant, il ne se rappelle pas que celui-ci lui en ait parlé.
Pour lui, les documents fournis par le
plaignant indiquent qu’ils sont arrivés à 11 h 34 le 10juillet, soit après
que son article du 10 juillet – qui constitue le cœur du litige – ait été
publié. Le réseau Bloomberg News
avait alors émis une correction indiquant que l’analyste David Lambert de la
National
Bank
Financial
soutenait que TIW représentait
réellement un achat spéculatif (speculatif
buy). Son article
dans The Gazette et le titre qui le
coiffait rapportaient erronément l’information (inexacte) publiée par
Bloomberg News le 9 juillet, qui faisait
référence à la décision de M.Lambert en terme de déclassement (
downgrade
) plutôt que d’un maintien (
maintain)
de sa valeur.
Selon le journaliste, M. Boutet était sûrement au courant de
l’erreur de Bloomberg le 10 juillet
mais il n’a pas demandé de correction, malgré plusieurs communications avec les
mis-en-cause entre temps. Il a plutôt attendu jusqu’au 29 avril 2002 pour
déposer une plainte au Conseil de presse.
En regard des griefs pour confusion des
genres journalistiques et pour déséquilibre de l’information, il s’agit encore,
selon le journaliste, d’allégations vagues et subjectives sur lesquelles il ne
donne pas d’explications.
M. Ravensbergen explique qu’en juillet
2001, soit durant la période pointée par le plaignant, M.Charles Sirois
était l’actionnaire qui détenait le contrôle chez
TIW. Le journaliste a rédigé bon nombre de nouvelles
pour The
Gazette au cours des récentes années, non seulement au sujet de
TIW mais au sujet de plusieurs autres
compagnies sous le contrôle ou l’influence de M. Sirois, notamment
Teleglobe
Inc,
Dolphin Telecom PLC, ESP
Media, Look Communications Inc.
et Microcell Communications Inc
.
À ces nouvelles s’ajoutaient plusieurs chroniques sur l’évolution
des affaires de M.Sirois, aussi bien quand elles allaient bien que quand
les affaires ont mal tourné.
M. Ravensbergen rappelle qu’il est
chroniqueur financier à
The Gazette
depuis 1978 et c’est la première fois depuis ce temps qu’il est
impliqué dans une plainte devant le Conseil de presse.
Commentaires
des autres mis-en-cause:
Pour leur part, la journaliste Mary Lamey et le rédacteur
David Yates n’ont fourni aucun commentaire.
Réplique du plaignant
Selon le plaignant, les commentaires de M.
Ravensbergen ne répondent en rien aux faits évoqués dans la plainte. Et malgré
ce que prétend le journaliste, ce n’est pas pour empêcher la diffusion de
«mauvaises nouvelles » que TIW
a déposé cette plainte. Même si l’année 2001 a été difficile pour sa compagnie,
aucune autre plainte n’a été déposée au Conseil de presse. La présente plainte
porte sur des manquements sérieux à la déontologie. Les actionnaires de
TIW et le public investisseur ont droit
à une information factuelle et véridique, dénuée de commentaires ou d’opinions
personnelles de la part de
The Gazette
et de ses journalistes.
Le plaignant reproche au rédacteur de la «
section affaires, M. Yates, de ne pas avoir daigné retourner ses appels en
juillet 2001. Et encore aujourd’hui, dans le cadre de cette plainte, il refuse
de fournir des explications ou même d’appuyer ses propres journalistes.
M. Boutet choisit tout de même de répondre
au journaliste et d’abord, à son affirmation selon laquelle
TIW n’a pas fait la preuve d’erreurs de
fait dans son article du 10 juillet 2001. Il démontre par un exemple que
l’article rapportait le contraire de ce que la compagnie avait inscrit dans son
communiqué.
Au sujet de la transparence dont aurait
manqué sa compagnie, il répond que c’est justement pour rencontrer ses
obligations réglementaires de divulgation que
TIW a mentionné dans son communiqué « la présence des clauses
restrictives reliées au non-paiement et à des événements de défaillance
similaires à celles des obligations précédentes ». Le plaignant rappelle que la
diffusion d’un communiqué comme celui émis par
TIW expose les officiers et administrateurs de la compagnie à des
poursuites judiciaires. De plus, tel que mentionné au journaliste à plusieurs
reprises, compte tenu de la nature privée des échanges, la divulgation
d’informations par TIW était limitée
par les règlements de la
Securities
and
Exchange Commission.
En réponse à l’argument selon lequel son
article a été rédigé dans des conditions difficiles et avec une heure de tombée
rapprochée, le plaignant fait observer que le communiqué a été émis le vendredi
6 juillet 2001 et que l’article en question a été publié le mardi 10 juillet
2001. Et le journaliste a omis de préciser qu’il s’agit de son second article,
un premier ayant été publié le 7 juillet. De plus, si le communiqué de
TIW manquait de transparence, le
journaliste aurait dû communiquer avec lui. Il lui avait demandé son numéro de
téléphone cellulaire à plusieurs reprises et le plaignant se rappelle même
avoir eu une conversation avec le journaliste justement le 9 juillet au matin,
pour corriger une erreur de fait.
Pour illustrer son accusation de manque de
rigueur, M. Boutet donne un exemple d’information fausse qu’il aurait été
facile d’aller vérifier sur le site de NASDAQ ou auprès de
TIW. Selon lui, le journaliste n’a fait aucun effort pour vérifier
cette information.
Répondant ensuite à M. Ravensbergen qui
disait ne pas se souvenir d’une conversation téléphonique au cours de laquelle
il lui avait fait part d’une rectification publiée par
Bloomberg, le plaignant estime que si le journaliste a utilisé
Bloomberg comme source de ses articles,
il est juste de présumer qu’il avait lui-même lu cet article de
Bloomberg.
En regard de la confusion des genres
journalistiques, le plaignant rappelle que M. Ravensbergen se définit comme un
« financial journalist » plutôt qu’un
« financial commentator » ou un «
analyst ». Ainsi, il devait dans le
contexte, éviter les opinions personnelles. Et ce, d’autant plus qu’il
confirmait dans son premier article qu’il n’avait parlé à aucun analyste et
qu’aucun analyste n’est mentionné ni cité dans le second article.
M. Boutet
termine sa réplique en rappelant que cette plainte ne concerne pas seulement M.
Charles Sirois, mais également les droits des actionnaires de
TIW et ceux du public d’obtenir une
information véridique et factuelle de la part de
The Gazette.
Analyse
La présente plainte concernait deux articles du journaliste Jan Ravensbergen, et un article de la journaliste Mary Lamey. Seul M.Ravensbergen a présenté une défense sous forme de commentaires à la plainte.
Un des principes les plus souvent rappelés par le Conseil de presse du Québec est que les choix rédactionnels, le traitement journalistique de même que la façon de présenter l’information relèvent du jugement et des prérogatives des médias et des professionnels de l’information, qui sont par ailleurs tenus de respecter les faits en tout temps.
Or, le reproche le plus souvent invoqué par le plaignant visait précisément des erreurs de faits. Après étude des documents soumis par MM. Boutet et Ravensbergen, le Conseil a constaté plusieurs manquements à ce chapitre, et ce, dans chacun des trois articles portés à son attention.
Un bloc de griefs déposé par M. Boutet portait sur le manque de pondération de l’information, l’insistance, et l’acharnement contre sa compagnie. L’examen a donné raison au plaignant en permettant de relever qu’à plusieurs reprises le journaliste avait présenté une image inutilement négative et injustement malhonnête de l’entreprise du plaignant, tout en donnant en contrepartie une impression exagérément avantageuse de son principal concurrent. Le reproche concernant la partialité a donc été retenu.
Un reproche visait particulièrement la journaliste Mary Lamey: celui d’avoir tenu des propos induisant le lecteur en erreur. Après examen, le Conseil a effectivement constaté certains propos de cette nature.
Insatisfait du traitement journalistique, le plaignant avait alors tenté d’obtenir correction de la part des mis-en-cause. Le Conseil considère qu’en ne souscrivant pas à l’obligation professionnelle qu’il avait de rectifier certains faits concernant le premier article contesté, le quotidien a manqué à son devoir. De même en est-il dans le cas de l’article de Mme Lamey, dont le rectificatif publié s’est avéré incomplet. Enfin, le Conseil déplore que le plaignant n’ait pu obtenir à ce sujet les explications du rédacteur David Yates.
Après considération de l’ensemble des éléments soumis à son attention, le Conseil de presse retient un blâme contre les journalistes Jan Ravensbergen et Mary Lamey ainsi que contre le rédacteur David Yates et le quotidien The Gazette.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C11C Déformation des faits
- C13A Partialité
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15A Manque de rigueur
- C19A Absence/refus de rectification
- C20A Identification/confusion des genres