Plaignant
Jean-Paul
L’Allier, maire de la ville de Québec
Mis en cause
Dominic
Maurais, journaliste, et Télévision
Quatre Saisons -Québec (Pierre
Martineau, rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
Baker
Leisure Group, firme
amÉricaine spécialisée dans les études de marché, a reçu un mandat en février
2001 d’ExpoCité, organisme de la Ville de Québec regroupant divers centres de
divertissement, dans le but de redéfinir la vocation de ce site et de le
réaménager. Le rapport préliminaire de la firme a fait l’objet de deux
reportages sur la chaîne TQS, les 16
et 17 avril 2002.
Le maire de
Québec, Jean-Paul L’Allier, porte plainte contre cette chaîne de télévision et
le journaliste Dominic Maurais pour la diffusion de ces reportages qui, selon
lui, feraient preuve de sensationnalisme et remettraient en cause certaines
normes professionnelles fondamentales de la profession: intérêt public,
vérité, équité, exactitude et rigueur.
Griefs du plaignant
Selon le plaignant, le document n’avait
pas un caractère public car il s’agissait d’un résumé de quelques pages d’un
volumineux rapport d’étape qui échapperait à la définition des documents
publics soumis à la Loi d’accès à l’information. Jusqu’à ce qu’une décision
soit prise, il conservait le statut de document de travail confidentiel.
Le plaignant considère ensuite que
les documents diffusés n’étaient pas d’un grand intérêt public. Il s’agirait en
effet de fragments d’un rapport d’étape qui serait vieux de quelques mois et
qui contiendrait des données et des hypothèses de travail déjà abandonnées. Le
journaliste aurait ainsi exagéré l’importance des informations reçues en
présentant un reportage à caractère sensationnaliste et en induisant les
auditeurs en erreur sur l’importance des informations diffusées.
De
plus, le maire Jean-Paul L’Allier souligne que l’administration municipale de
Québec s’était engagée à rendre public le rapport final et donc ne tenait pas
le public éloigné des grandes décisions de l’administration.
Le plaignant dénonce
ensuite la technique de l’embuscade, dont le mis-en-cause aurait fait usage
pour interroger Pierre Bilodeau, directeur adjoint de l’entretien aux
équipements et aux opérations de la Ville de Québec. Le journaliste aurait agi
de manière à obtenir des images donnant un caractère sensationnel et dramatique
à l’information.
Le plaignant
considère également que le journaliste a induit une personne en erreur en
recourant au mensonge par omission (il ne lui aurait pas révélé sa fonction de
journaliste) et en utilisant une fausse identité pour lui extorquer un document
de travail. Considérant que l’information en jeu serait d’intérêt public minime
et que le journaliste aurait caché au public le fait qu’il a eu recours à un
procédé condamnable, le plaignant demande au Conseil de presse de blâmer le
média.
Enfin, le journaliste aurait transgressé
les normes professionnelles de la rigueur et de l’exactitude en rapportant de
manière erronée les informations du rapport d’étape. Ainsi, le document aurait
été présenté comme les conclusions de l’étude alors qu’il s’agit d’un rapport
intérimaire dont certaines des recommandations seraient obsolètes (avenir de
l’hippodrome, construction d’un hôtel de 300 à 500 chambres par exemple).
Ensuite, il aurait établi des projections sans fondement en déclarant que le
projet coûterait 271 millions de dollars alors que son coût, selon la firme
Baker Leisure Group, devait varier entre
105 et 225 millions.
Le
plaignant a joint les documents suivants:
–
Un communiqué d’ExpoCité du 18 avril 2002
indiquant que le rapport final du projet sera rendu public.
–
Un
résumé de l’entreprise Baker Leisure
Group à l’attention de la Ville de Québec au sujet du coût du projet
ExpoCité.
Commentaires du mis en cause
M. Pierre Martineau indique en premier lieu
qu’il considère les allégations du plaignant exagérées.
Il soutient que le projet d’ExpoCité a
un intérêt public car il concerne des infrastructures publiques et que des
centaines d’emplois dépendent des actions de la ville. De plus, les divers
scénarios du projet seraient présents dans ce rapport d’étape, d’où
l’importance de l’obtenir.
Il souligne que jamais
TQS n’a prétendu qu’il s’agissait d’un
rapport final et définitif.
En ce qui concerne le recours à la
fausse identité, le rédacteur en chef indique que le journaliste ne s’est pas
fait passer pour un dirigeant de la ville. Il aurait simplement employé un
subterfuge permis par le code de déontologie de la Fédération professionnelle
des journalistes du Québec. Il cite ainsi l’article 4a sur la cueillette de
l’information par des procédés clandestins permise lorsque l’information est
d’intérêt public et qu’il n’y a pas d’autres moyens de l’obtenir. De plus,
TQS a révélé sa façon de faire au public
lors de la rediffusion du même reportage le 18 avril. Selon lui, la seule faute
que l’on pourrait reprocher au média serait de ne pas l’avoir dévoilée dès la
première diffusion.
En ce qui a trait au grief de l’entrevue
d’embuscade, le mis-en-cause indique qu’il s’agissait simplement d’un
«vox populi», c’est-à-dire d’une série d’entrevues-réactions avec
des personnes qui ont le loisir de commenter ou de refuser l’entretien. Il
souligne que les questions posées à M. Bilodeau étaient directes et précises et
ne comportaient aucun piège.
Réplique du plaignant
Le maire de la ville de Québec se réjouit
tout d’abord que M. Martineau ne conteste pas le caractère non public du
rapport d’étape.
Il indique ensuite que le mis-en-cause
cherche à confondre le degré d’intérêt public du rapport final (qu’il ne nie
pas) avec celui du rapport de travail qui fait l’objet de la présente plainte.
Le plaignant rappelle que le journaliste a
caché sa véritable identité à l’employée de la compagnie amÉricaine de
consultants afin de la tromper, et que ce subterfuge n’aurait pas été communiqué
au public lors de la diffusion du premier reportage.
Le maire explique ce qu’est le «vox
populi» dont parle le mis-en-cause, afin de démontrer que le cas présent
ne relève pas de ce procédé. Selon lui, cette technique a pour but d’inviter
les citoyens dits ordinaires à commenter divers événements (climat, élections,
sport…). Il reconnaît ensuite que M. Bilodeau n’a pas souffert de la technique
d’embuscade utilisée par le journaliste; néanmoins il estime que ce procédé
manque d’équité et est utilisé de façon sensationnaliste.
Analyse
Les citoyens ont le droit inaliénable d’être pleinement et adéquatement renseignés sur les faits, les gestes et les décisions des responsables de l’administration publique.
Par ailleurs, un gouvernement peut, pour des raisons d’intérêt public, interdire ou retarder la publication de certaines informations.
Or, tel que reconnu par les mis-en-cause, les informations recueillies par le journaliste Dominic Maurais ne faisaient partie que d’une étude préliminaire de la firme Baker Leisure Group qui devait ensuite rendre un rapport final à la Ville de Québec. C’est sur ce rapport que la Ville devait réfléchir avant de prendre une décision.
Les médias et les professionnels de l’information ne doivent pas déformer la réalité en recourant au sensationnalisme.
Compte tenu qu’il s’agissait d’un rapport d’étape en cours de réflexion, et considérant la nature incertaine et partiellement périmée des informations, le Conseil considère que le ton et la présentation de l’émission donnent un caractère sensationnaliste au reportage et tendent à exagérer la portée des informations contenues dans le dossier. Les auditeurs pouvaient donc être induits en erreur sur le véritable caractère du rapport de la firme de consultants, ce qui est contraire à l’éthique professionnelle.
Les journalistes doivent éviter de recourir à la fausse représentation dans la collecte de l’information. Il peut leur être nécessaire dans certains cas particuliers (par exemple quand leur sécurité est menacée), de ne pas divulguer leur identité et leur statut mais de tels cas doivent demeurer exceptionnels. Une décision de ce type ne doit donc être prise qu’en regard du caractère d’intérêt public de l’information ainsi recherchée.
Or, dans les circonstances, le Conseil estime que le recours à une fausse identité par le journaliste était un procédé nullement nécessaire, et donc inacceptable, d’autant plus que la Ville avait pris l’engagement de diffuser le rapport final. Le Conseil prend toutefois note que lors de la seconde diffusion du reportage, le présentateur a dévoilé au public cette méthode reprochable.
En conséquence, le Conseil de presse retient la plainte et blâme le réseau de Télévision
Quatre Saisons – Québec et son journaliste Dominic Maurais pour les motifs expliqués plus haut.
Analyse de la décision
- C11B Information inexacte
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C15H Insinuations
- C23C Recours à une fausse identité