Plaignant
Carl
Charbonneau
Mis en cause
Mario
Roy, journaliste, et La Presse
(Marcel Desjardins, vice-président et éditeur adjoint)
Résumé de la plainte
La plainte de M. Carl Charbonneau vise un
éditorial du journaliste Mario Roy du quotidien
LaPresse, paru le 1er mars 2002 sous le titre «
Ramonet et Castro, même combat ». L’article concernait la visite d’une
délégation française à la Foire du livre à La Havane. Le plaignant reproche au
journaliste un manque à l’éthique journalistique, en omettant de livrer au
public une information complète et conforme aux faits au sujet de la présence
de M. Ignacio Ramonet à Cuba. Ce manquement aurait eu pour effet d’induire le
public en erreur.
Griefs du plaignant
Pour M. Charbonneau, la description de la situation et des faits objectifs
induit le public en erreur. « M. Roy tire des jugements de valeur à partir du
tableau fallacieux qu’il peint d’un événement. »
Premièrement, le plaignant reproche au journaliste d’avoir livré une
information incomplète et non conforme aux faits et aux événements en ayant
omis de mettre la présence de M. Ramonet dans son contexte, c’est-à-dire de
préciser qu’il faisait partie d’une délégation française nombreuse menée par le
ministère des Affaires extérieures de France.
Deuxièmement, l’éditorial laisse
entendre « que M. Ramonet est allé discourir avec complaisance sur les
bienfaits du régime castriste qu’il aurait décrit comme un « délicieux
despotisme » ». Le délicieux despotisme auquel réfère le journaliste n’a
absolument rien à voir avec le gouvernement cubain. Cet extrait est plutôt tiré
d’un article de M. Ramonet, intitulé « un délicieux despotisme ». On y constate
clairement l’erreur : « En s’appuyant sur le pouvoir de l’information et des
technologies, les États-Unis établissent ainsi, avec la passive complicité des
dominés, ce qu’on pourrait appeler une oppression affable ou un « délicieux
despotisme ». Surtout quand ce pouvoir se double d’un contrôle des
industries culturelles et de la domination de notre imaginaire. » (
Le Monde diplomatique, mai 2000, p. 5).
Le plaignant considère que M. Roy a « bâclé » son travail
dans cet éditorial et qu’il a contrevenu «
aux règles les plus élémentaires du journalisme, telles qu’apparaissant dans le
guide de déontologie du Conseil de presse. »
Le plaignant mentionne
qu’il a fait parvenir une lettre à La
Presse demandant une rectification à l’article. Aucune rectification n’a
été faite et on a pas daigné lui répondre. M. Charbonneau a, par ailleurs, fait
parvenir le texte éditorial au service de communication du
Monde diplomatique, pour recevoir à sa grande surprise une réponse
courtoise de M. Ramonet qui le remerciait pour « ce texte savoureux, bourré
d’erreurs ».
Commentaires du mis en cause
M. Mario Roy expose ses commentaires en
quatre points.
Premièrement,
sur le fait que monsieur Ramonet ne soit pas d’accord avec l’éditorial
incriminé, le journaliste fait remarquer qu’il est assez peu fréquent, en
effet, que des personnes publiques mises en cause de façon plutôt négative dans
des éditoriaux entérinent les arguments utilisés.
Deuxièmement, si
le journaliste et La Presse ne se
sont pas rétractés, c’est qu’ils n’avaient pas à le faire comme les
commentaires suivants le démontreront.
Troisièmement,
l’éditorial« rapportait la présence de M. Ramonet à Cuba où,
flanqué du président cubain Fidel Castro, il a livré une longue allocution sur
le thème du « délicieux despotisme » ». Ce qui est rigoureusement
exact, et le journaliste ne voit pas en quoi il était essentiel de préciser que
M. Ramonet faisait partie d’une délégation française nombreuse menée par le
ministère des Affaires extérieures de France. Peut-être est-ce intéressant au
niveau de la petite histoire du Quai d’Orsay; mais il est douteux que le
lecteur y aurait trouvé, dans le contexte évoqué, matière à fournir un
éclairage particulier.
Et
quatrièmement, M. Roy indique que son éditorial visait à mettre en opposition
et à dénoncer cette contradiction que les agissements d’un journaliste de
«gauche » étaient susceptibles de donner de la légitimité à un homme
d’État se trouvant à la tête d’un régime non démocratique. Selon M. Roy, on
peut estimer en toute bonne foi que progrès et démocratie vont de pair, comme
on peut estimer que parler d’un «délicieux despotisme » met en présence
deux termes «mutuellement exclusifs ». Quiconque connaît l’œuvre de M.
Ramonet sait qu’il a régulièrement utilisé des termes comme celui de
«despotisme » pour désigner certaines sociétés démocratiques. Et c’est
précisément ce qui est apparu ironique dans les circonstances évoquées.
Dans ses commentaires, M. Desjardins appuie
complètement ceux de son journaliste.
Réplique du plaignant
M. Charbonneau
répondra aux quatre points soulevés par le journaliste.
En réponse au
point selon lequel M. Ramonet était en désaccord avec l’éditorial incriminé, le
plaignant souligne qu’il n’a pas évoqué ce commentaire afin de renforcer sa
plainte sur le fond. Il n’en a fait mention que pour démontrer le fait que
La Presse n’a jamais daigné accuser
réception à sa demande de rectification, alors qu’au contraire, M. Ramonet, lui
a envoyé un mot.
Le plaignant est
tout à fait d’accord sur le point avancé par le journaliste en ce «qu’il
est assez peu fréquent que des personnes publiques mises en cause de façon
plutôt négative dans les éditoriaux
entérinent les arguments utilisés ». En
effet, reprend le plaignant, si le journaliste devait tenir compte de l’opinion
des « personnes publiques mises en cause » comme argument appuyant un
plaidoyer sur le fond, la réplique de M. Roy commencerait bien mal.
M. Charbonneau
souligne que le journaliste se trompe lorsqu’il affirme «qu’il n’était
pas essentiel de préciser que M. Ramonet faisait partie d’une délégation
française nombreuse menée par le ministère des Affaires extérieures de France
»: le journaliste voulait dénoncer «les agissements d’un
journaliste « de gauche » susceptible de donner de la légitimité à un
homme d’État se trouvant à la tête d’un régime non démocratique ». Le plaignant
fait remarquer que la légitimité conférée par l’État français – un État
démocratique – en envoyant une délégation
officielle à La Havane, surpasse de loin celle d’un citoyen faisant
partie de cette délégation. Si pour le journaliste «progrès et démocratie
vont de pair », il était de son devoir de dévoiler avant tout au lecteur les
agissements d’un État démocratique qui donne sa légitimité à un régime non
démocratique – ce qui n’empêchait nullement M. Roy de dénoncer les journalistes
de gauche qui le font. Il était donc tout à fait essentiel de mentionner la
délégation officielle française afin de révéler la situation réelle – en
contexte – au lecteur.
Répondant à M.
Roy qui se défend d’avoir falsifié des faits en notant qu’il est
«rigoureusement exact » que M. Ramonet, flanqué du président cubain, a
livré une longue allocution sur le thème du «délicieux despotisme », le
plaignant tient à faire remarquer que tout ceci est exact, si on considère le
langage comme un ensemble d’icônes vides de sens.
Le plaignant
tient à souligner que l’argument principal de sa plainte – omis par ailleurs
par le journaliste dans sa réplique –
est que M. Roy ait laissé entendre, intentionnellement ou pas, que M.
Ramonet soit allé discourir avec complaisance sur les bienfaits du régime
castriste qu’il aurait décrit comme un «délicieux despotisme ».
En terminant, le plaignant mentionne que
loin de lui l’idée d’empêcher M. Roy d’avoir des opinions et de les exprimer,
et qu’il est en bonne partie d’accord avec M. Roy au sujet des agissements de
M. Ramonet à La Havane. Et bien qu’il soit d’accord avec la latitude accordée
aux éditorialistes, cela ne leur donne pas le droit de tomber dans la
diffamation en usant «d’arguments fallacieux ».
Analyse
L’éditorial et le commentaire se distinguent de l’information brute en ce qu’ils constituent des tribunes réservées soit à l’éditeur, soit à l’éditorialiste, soit au commentateur pour qu’ils expriment leurs convictions, leurs tendances et leurs points de vue. Le Conseil de presse rappelle que comme tous les professionnels de l’information, ceux-ci doivent respecter les faits et faire preuve de rigueur et d’intégrité intellectuelle dans l’évaluation des situations qu’ils commentent.
La plainte formulée visait un manquement en regard de l’équilibre, de l’exhaustivité et de l’exactitude de l’information. Le plaignant reprochait au journaliste d’avoir induit le public en erreur en omettant de préciser que M.Ignacio Ramonet faisait partie de la délégation française officielle invitée lors de sa présence à la 11e Foire du livre de La Havane.
Le plaignant réprouvait également que M. Roy ait mal interprété les propos de M. Ramonet prononcés lors de son allocution à cette foire du livre. M. Charbonneau précisait que le «délicieux despotisme» auquel se réfère le journaliste ne concernait nullement le régime du gouvernement cubain, mais la dénonciation de l’impérialisme culturel des pays riches.
Après examen, le Conseil tient d’abord à émettre une réserve en regard de la mise en contexte de l’événement qui aurait pu être plus complète, évitant ainsi toute ambiguïté dans l’esprit du lecteur.
Ceci dit, le Conseil rappelle que la liberté éditoriale dont disposait M. Roy lui donnait le droit de commenter cette allocution comme il l’entendait et de faire les rapprochements qu’il voulait.
Au delà de la réserve exprimée et en raison de ce qui précède, le Conseil de presse rejette la plainte à l’encontre du journaliste Mario Roy et du quotidien La Presse.
Analyse de la décision
- C12D Manque de contexte